Jean Jacques, un esclave à l’abolition de l’esclavage

L’abolition de l’esclavage à Saint-Barthelemy est effective au 9 octobre 1847.

Les esclaves ont d’abord été estimés par le Comité d’Émancipation Graduelle et d’Évaluation des esclaves, mis en place par les autorités pour dédomager les propriétaires avant l’abolition de l’esclavage. Lors de plusieurs réunions à Gustavia, le Comité donne une valeur aux esclaves qui lui sont présentés. Le propriétaire également indique la valeur qu’il attend du Comité. La valeur payée au propriétaire est quasiment toujours inférieure à celle qu’il avait demandée, mais, dans la plupart des cas, les esclaves eux mêmes ont été obligés de participer à ce dédommagement avec leurs propres économies.

Jean Jacques porte le numéro 136 dans les documents du Comité devant lequel il passe le 17 juin 1846. Il est dit âgé d’environ 70 ans et né à Saint-Barthélemy, et il appartient à la veuve Jacques AUBIN, même s’il semble que dans les faits, il soit sous la responsabilité d’un Joseph LÉDÉE.

La veuve Jacques AUBIN c’est Catherine Louise MAYER née vers 1784 et dont la famille vit entre Puerto Rico et le Corossol à Saint-Barthélemy. En premières noces, elle avait épousé Paul Pierre LÉDÉE, le 15 septembre 1798, avec qui elle a eu cinq enfants. Son premier mari décède avant 1820, et elle épouse Jacques AUBIN « Nesty », capitaine de navire. Celui-ci décède rapidement et ils n’ont pas d’enfant. Joseph LÉDÉE est un fils de Catherine Louise et de Pierre Paul, et il est né vers 1803. Joseph Emmanuel LÉDÉE dit « Pont » est propriétaire à Lorient et a vécu un temps à Puerto Rico où il s’est marié avec Simone BERNIER et avec qui il a eu une fille, Joséphine. Il est remarié en 1864 Louise Anne BRIN avec qui il a eu trois enfants avant le mariage. Il semble que les enfants vivent à Saint-Christophe. Je n’ai pas de descendance connue.

FSB 263 – Extrait de la lettre de Jean Jacques

Joseph Emmanuel « Pon » demande 70 Dollars pour Jean Jacques. Le comité ne lui en attribue que 42, mais Jean Jacques donne 6 Dollars de sa poche. On juge le caractère, la santé, la force et l’aptitude à travailler de Jean Jacques comme étant passables. Il a tout de même 70 ans !

Comme on l’a vu dans d’autres articles, lorsqu’il y a des esclaves âgés dans des successions, les héritiers s’engagent à les prendre en charge jusqu’à leur mort. On ne veut pas de vieux esclaves mendiant leurs pitances sur les chemins.

Mr LÉDÉE, c’est bien écrit sur le document, prend la responsabilité de faire en sorte que Jean Jacques ne devienne pas un poids pour la communauté, malheureusement, il est impossible de lire la totalité du petit paragraphe. L’esclave sera entretenu par son propriétaire si celui-ci ne devait ne plus pouvoir prendre soin de lui-même.

Pourtant, le 23 septembre 1847, une poignée de jours avant l’abolition totale de l’esclavage sur notre île, Jean Jacques, « appartenant » à Mr Joseph LÉDÉE « Pont » envoie une terrible lettre au Gouverneur. Malheureusement, il n’est pas le seul dans cette situation dans ces mois qui précédent l’abolition. Abandonnés par leurs maitres qui ne se sentent plus aucune responsabilité envers leurs anciens esclaves, puisqu’ils ne peuvent plus rien leur rapporter, ces pauvres hères se retrouvent sans rien, et, pour peu qu’ils soient malades ou vieux, sont dans une situation désespérée.

« Depuis que j’ai été estimé, le malheur a voulu que j’ai tombé malade. Me voyant sans logement, et sans aucun secours de monsieur Joseph LÉDÉE « Pont » mon maitre, je me suis rendu chez monsieur Jean Baptiste QUESTEL « Divin » qui a eu la bonté de me laisser loger chez mademoiselle Scolastique son sujet ci-devant. Donc, que cette charitable personne a eu soin de moi comme une mère auprès de son enfant.

Voyant que je n’avais aucun secours de mon maitre, pour m’avoir quelques remèdes, et quelques choses pour me soulager, j’ai été forcé de faire tout sacrifice de ce que je possédais. J’ai vendu deux barils de farine manioc, un baril d’igname, des patates, tout ce que j’avais de volailles et un cochon, pour un montant total de 19,60 gourdes.

Si je n’aurais pas fait cela, je ne serais pas vivant.

Encore toujours malade, sans pouvoir travailler pour me solliciter, j’ose recourir à votre excellence, Monsieur le Gouverneur, pour vous supplier très humblement de prendre part à ma pauvre situation comme bon et vieux sujet qui a toujours servi son maitre avec respect et soumission. Mais maintenant, me voyant dans une si terrible et affreuse situation je viens implorer, Monsieur le Gouverneur, votre grâce de voir monsieur mon maître, pour le prier de ma part, de me solliciter les moyens que j’ai disposés dans ma maladie, et que, si c’est un effet de sa bonté de m’accorder quelque chose sur ma valeur vu que je suis un homme vieux et caduc, incapable de pouvoir gagner ma vie,

En attendant cette de bonté, de vous, je suis, Monsieur le Gouverneur, votre très soumis et très obéissant serviteur ».

Jean Jacques, qui avait pris refuge chez elle, épouse Scolastique le 16 janvier 1849.

D’après cet acte, Jean Jacques a 65 ans, Scolastique 67 ans, et ils vivent à Petite-Saline.

Après une vie d’esclavage sur notre île, ils sont enfin libres !



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1 réponse

  1. Bonjour Jérôme,
    il semble que Jean Jacques soit le « vieux noir dit Jean Jacques » né à Saint-Barthélemy, domicilié au quartier de Camaruche qui décède et est inhumé par l’Abbé SUILLAUD, le 12/05/1856 âgé d’environ 75 ans folio 5 http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=SAINT-BARTHELEMY&commune=LORIENT&annee=1856&typeacte=AC_NA

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