La mort tragique de Jean « Israël » LÉDÉE, soldat du Roi de Suéde

Jean LÉDÉE est né vers 1809 au quartier de Marigot à Saint-Barthélemy. Il est le fils de Johannes ou Jean LÉDÉE dit Joinette (natif du quartier de Lorient) et d’Elisabeth BERNIER (native du quartier de Marigot).

Il épouse sa cousine, Berthe BERNIER, née au même quartier le 28 janvier 1814. On la trouve aussi sous Bertille ou Berthe Zulma. Elle est la fille du Capitaine de la milice du Vent de l’île, Joseph BERNIER, de Marigot, et de Jeanne Rose BERRY, de Grand Fond.

Jean et Berthe signent leur contrat de mariage le 25 août 1830, puis ils sont mariés le 28 août au domicile de Joseph BERNIER, à Marigot, par « James H.HAASUM, Major de la place et Premier Membre du Gouvernement de cette île, vu l’absence trop prolongée du curé de la paroisse ». Des mariés et parents, seul Joseph BERNIER sait signer son nom.

FSB 288 – extrait de l’acte de mariage

Le couple aura 11 enfants dont :

Jean Gabriel, né le 17 octobre 1830, il épouse Marie ou Anne DUZANT le 29 juillet 1857, ils auront 7 enfants,

Joseph, né en 1836, il épouse Joséphine DUZANT le 8 octobre 1857, ils auront 7 enfants,

Louis Fréderic, né le 9 juillet 1842, il épouse Rose BERRY le 27 décembre 1875, ils auront 3 enfants,

Alexis dit Robert, né le 17 septembre 1851, il épouse Louise Elvina LÉDÉE le 11 septembre 1883, ils auront 2 enfants,

On trouve l’acte de sépulture de Jean LÉDÉE dans le registre paroissial de 1863, folio 4, en date du 28 février. Il est dit qu’il était soldat, et qu’il est décédé la veille « au fort militaire de Gustavia à l’âge de cinquante-quatre ans ». Comme d’habitude, il n’y a pas beaucoup d’information dans l’acte.

ANOM – Registre paroissial de Lorient 1863

C’est dans un dossier des archives de la Cour de Justice qu’on va en apprendre plus sur le décès de notre Jean « Israël » LÉDÉE.

Le 10 mars 1863, le vice-fiscal Samuel Augustus MATHEWS écrit et adresse un rapport au Gouvernement. « Le 27 février dernier, lors de la mise à feu des canons du Fort Gustave III pour le Salut, un des canons a explosé, projetant par dessus les remparts le soldat Jean LÉDÉE qui a été mutilé, tant par l’explosion elle même, que par sa chute, et il est mort quatre heures plus tard ». Le Vice-Fiscal continue et demande qu’une « enquête soit faite, et que l’affaire soit entendue par la Cour, avec le docteur et tous ceux qui étaient présents, le capitaine, les caporaux et les soldats ».

Les rempart du Fort Gustave 3 – Photo A.M.P

Le 27 février, le docteur MIDDLESHIP présente son rapport, en Anglais, sur l’accident et l’autopsie.  Il indique que « Jean LÉDÉE, un soldat de la garnison royale de l’île de Saint-Barthélemy, entrain de charger un canon du fort de Gustavia à l’occasion d’un Salut, et alors qu’il maniait le pilon pour enfoncer la poudre, la pièce explosa et il fut projeté par dessus le parapet et ses vêtements s’enflammèrent. Moi, soussigné chirurgien de la garnison, suis immédiatement allé lui porter secours, le trouvant dans un état de choc complet, ne souffrant d’aucune grosse ou dangereuse hémorragie, mais dans un plus grand danger à cause du feu qui brûlait ses habits et les herbes sèches du fort autour de lui. Dès que le feu put être éteint sur lui, nous l’avons ramené le plus doucement possible au quartier général du fort au lieu de l’amener à l’hôpital qui est beaucoup plus éloignée. Nous ne pûmes rien faire pour lui d’autre que d’humecter ses lèvres. Il est resté en état de choc profond jusque 15 :00, puis a lâché son dernier souffle.

A 16 :30, ayant transporté son corps à l’hôpital, le soldat Jean LÉDÉE était couché sur le dos avec une veste sous la tête. Il portait une chemise à rayures bleues et blanches, un pantalon blanc, les jambes sans bas ni chaussures.

Sa face était couverte de poudre et ecchymosée. Sa bouche était ouverte. Sa langue et son palais portaient des écorchures et il y avait de la poudre à canon dans ses yeux, plus dans celui de droite.

Il avait une fracture ouverte au niveau de l’os pariétal gauche avec dépression, la partie fracturée de l’os mesurant 1 pouce diamètre, et presque circulaire, la blessure extérieure était très petite, et sans doute causée par un objet contendant. Il avait plusieurs côtes fracturées. Il y avait une fracture ouverte au bras gauche entre le poignet et le coude, l’os sortant d’un pouce.

Il avait perdu tous les doigts de la main gauche, la main et le poignet éclatés et lacérés.

Son avant bras droit souffrait d’une simple fracture juste avant le poignet, deux doigts de sa main droite avaient disparus, les autres étaient roussis. La main et le poignet étaient aussi complètement fracturés.

Il y avait une fracture ouverte entre le coude et l’épaule droite.

Il avait le corps sévèrement brulé y compris ses parties génitales.

Sa colonne vertébrale était fracturée dans son milieu.

Je déclare que Jean LÉDÉE est mort du choc intense qu’il a subit du fait de ses nombreuses et sévères blessures, qui, prises ensemble ne lui laissaient aucune chance de rétablissement ».

Parapet du Fort Gustave III – Photo A.M.P

Le 13 mars, la Cour de Justice est réunie sous la direction du Gouverneur Carl ULRICH.

Il est indiqué que pendant le salut de la batterie le 27 du mois de février dernier, il s’est produit un accident et que le soldat Jean LÉDÉE est mort le même jour. Sont présents, le fiscal Samuel Augustus MATHEWS, George Wilhelm NETHERWOOD l’officier de la batterie et secrétaire du Gouvernement, les caporaux Hippolyte BERRY et Paul LAPLACE, les soldats Pierre LAPLACE, François AUBIN, Hippolyte BERRY, Pierre AUBIN et Pierre AUBIN fils, le vice Caporal Nicolas BERRY, les soldats Gabriel LÉDÉE, Jacques AUBIN, Louis DUZANT et Jean Baptiste LÉDÉE.

Sont également présents le Docteur MIDDLESHIP, le représentant de la campagne François Salomon TURBÉ et le vice caporal Nicolas BERRY, comme ayant assisté à l’autopsie médico-légale du corps de Jean LÉDÉE.

George Wilhelm Netherwood, l’officier qui commandait la batterie, déclare que son rapport, remis au Gouverneur, contient toutes les informations qu’il a pu obtenir au sujet de la mort de Jean LÉDÉE. Il est d’avis que quelqu’un est responsable de l’accident qui s’est passé alors que Jean LÉDÉE était entrain de charger le boulet dans le canon.

La Batterie du Fort Gustave III – Photo de Carl Constantin LYON

Le caporal Paul LAPLACE, né ici en 1818, admis comme soldat à la batterie en 1841 et a servi à ce poste jusqu’en 1858 lorsqu’il est devenu caporal. Il commandait le 3eme canon lors des salves tirées en l’honneur de l’anniversaire de son Altesse Royale le Duc de Wester Gothland le 27 février. Après un premier tir, les soldats Pierre LAPLACE et Jean LÉDÉE étaient occupés à préparer le canon pour le tir suivant, lorsque, sans que l’on sache pourquoi, le tir est parti tout seul. Le Caporal insiste pour dire que pendant toute l’opération, il tenait son pouce sur l’évent (pour empêcher une mise à feu accidentelle) et que lorsque le tir est parti, il a ressenti une très forte douleur. Après le coup, son pouce était en charpie, mais il n’a rien vu de ce qui s’est passé à cause des flammes et de la fumée. Il n’a aucune explication.

Pierre LAPLACE, né ici en 1831, soldat à la batterie depuis 1853. Ce jour là, il était de service au 3eme canon. Il a reçu le cardus du soldat François AUBIN, l’a mis dans le canon, puis indique qu’il a tourné le dos. Le bruit du tir l’a fait se retourner, et c’est là, qu’il a vu le corps projeté en l’air à une dizaine de pieds de haut. Il dit qu’il n’a pas fait attention au Caporal et ne sait pas s’il avait son pouce sur l’évent. Il ne peut pas expliquer l’accident.

François AUBIN, né ici en 1824, soldat depuis 1843. Pendant l’accident, il servait le troisième canon et venait de lui tourner le dos après avoir donné le cardus à Pierre LAPLACE lorsqu’il a entendu le tir. Puis il a entendu dire qu’un homme était mort, et il a vu Jean LÉDÉE sur le sol, dans les débris. Il n’a aucune explication, et il ne peut pas non plus dire si le Caporal LAPLACE avait bien gardé son pouce sur l’évent.

Joseph LAPLACE, né ici en 1841, soldat depuis 1862 était également au service du 3eme canon. Il a vu lorsque Jean LÉDÉE a pris feu, mais il ne saurait dire si le Caporal avait son pouce sur le canon.

Le Caporal Hippolyte BERRY, né ici en 1808, soldat depuis 1828, Caporal depuis 1850. Il commandait le 1er canon qui a bien fonctionné au 1er tir. Il n’a rien vu de l’accident, mais il a entendu le Capitaine appeler pour le docteur. Il n’a aucune explication à donner sur les causes de l’accident.

Le Caporal Nicolas BERRY, qui a signé le rapport médico-légal n’a rien d’autre à dire.

La Milice – Photo de Carl Constantin LYON

Les soldats Hippolyte BERRY, Pierre AUBIN, Pierre AUBIN fils, Gabriel LÉDÉE (fils de Jean LÉDÉE), Jacques AUBIN, Louis DUZANT et Jean Baptiste LÉDÉE, n’ont pas la moindre explication à donner sur l’affaire.

Le Caporal Jean Baptiste QUESTEL, né ici en 1811, soldat depuis 1841, et Caporal depuis 1853 était de service ce jour là, et commandait le 2eme canon. Il indique que le soldat Jean LAPLACE est excusé car il est malade. Il n’a rien à dire non plus car il n’a rien vu, juste entendu qu’on appelait pour le docteur.

Le Vice-Fiscal MATHEWS n’a rien à rajouter.

La Cour déclare ne pouvoir incriminer personne, que le décès de Jean LÉDÉE, qui a été brulé par la flamme du canon et projeté dans les airs alors qu’il servait le 3eme canon, semble n’être dû à personne, qu’il s’agit d’un accident.

Rempart du Fort Gustave III – Photo A.M.P

Que c’est-il passé ? On peut penser que le fût du canon a mal été nettoyé, que le Caporal LAPLACE n’a pas bien tenu son pouce sur l’évent et que la poudre s’est enflammée trop tôt ?

La succession de Jean « Israël » LÉDÉE

Le 3 novembre 1863, « à la requête et en présence de la dame Berthe BERNIER veuve Jean LÉDÉE fils dit Israël, et des héritiers, ses enfants, à la dite succession, tous habitants demeurants au quartier de Marigot en cette île de Saint-Barthélemy.

Le dit sieur Jean LÉDÉE (Israël) décédé le vingt-sept de février de cette année, de son vivant, habitant à son domicile au susdit quartier de Marigot … ».

Figurent les noms de 8 enfants dont 5 mineurs, Pierre, 19 ans, Marie, 18 ans, Honorine, 15 ans, Alexis, 13 ans, et Joséphine, 12 ans.

La propriété « est constituée d’une habitation située au quartier de Marigot contenant environ un carré et deux tiers, d’une maison en charpente, divisée de salle et chambre et bâtie sur la dite habitation, en état de ruine ».

Le mobilier est constitué d’un lit de bois de sapin avec sa garniture, d’un banc de sapin et d’une table de sapin.

La valeur des biens se monte à 67.95 gourdes, le total des dettes, 31.08 gourdes et les droits et taxes à 5.46 gourdes.

Pour s’acquitter de sa dette, la famille vend une portion du terrain, environ ¼ de carré. Le reste est partagé entre la mère d’une part, et les enfants de l’autre.

Identification des soldats cités par la Cour de Justice

Paul LAPLACE est né le 5 novembre 1818 au quartier de Petite Saline. Il est le fils de Joseph Paul ou Polo LAPLACE et de Marie Marthe « Moricette » AUBIN. Il épouse Laurette MUTREL le 28 février 1842. Elle est du quartier de la Grande Saline, fille de Pierre MUTREL et de Marie Anne LÉDÉE. Ils résident au quartier de la Petite Saline, et ils ont 6 enfants d’ou descendance aujourd’hui toujours. Paul LAPLACE décède le 12 avril 1892.

Pierre LAPLACE est né en 1831 à Camaruche, et baptisé le 10 avril 1831. Il est le fils de Pierre Paul LAPLACE (du quartier de Marigot) et de Suzanne MORON (de Camaruche). Il épouse Delphine GRÉAUX sans doute vers 1861. Elle est née à Camaruche, fille d’une Louise GRÉAUX que je n’ai pas identifié. Il semble que son père soit un LAPLACE. Le couple aura trois enfants d’où descendance de nos jours.

François AUBIN est né à entre Camaruche et Vitet en février 1824. Il est le fils de Charles AUBIN de Grand Fond, et de Suzanne LAPLACE de Vitet. Il épouse Elisabeth TACKLINE le 28 avril 1852. Le couple aura onze enfants d’où descendance à Saint-Thomas.

Hippolyte BERRY né en 1808, voir article Hippolyte BERRY, soldat du Roi de Suède

Jean Baptiste QUESTEL 1811, il est né sur les hauteurs de Saint-Jean et Grande Saline, fils de Jean Baptiste QUESTEL « Bel Homme » et de Anne Marie « Annette » LÉDÉE. Il épouse Thérèse BERNIER de Marigot le 22 mai 1838. Ils auront huit enfants d’où grande descendance aujourd’hui.

Jean « Israël » LÉDÉE a une descendance aujourd’hui sous DÉRAVIN et LAPLACE.

Je remercie Christopher GUMBS pour son aide dans la traduction des documents de la Cour de Justice.



Catégories :AUBIN, BERNIER, LAPLACE, ledee, Milices, SWEDISH EPOQUE, Uncategorized

1 réponse

  1. The state of repair of weapons and uniforms in this period continued to deteriorate. Thank you Jerome for this important glimpse into the accident.

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