On se demande toujours à quoi pouvaient ressembler les « habitations » à la campagne dans les temps anciens, avant que n’y poussent villas et hôtels. Qu’y cultivait-on ? Quels animaux étaient élevés ?
Ci-dessous, un bel exemple bien documenté, d’une habitation située entre les hauts de Corossol, Colombier et Flamands vers 1805, en gros, toute la zone qu’on appelle maintenant « Merlet » en débordant un peu.
Pour rendre la lecture moins difficile, j’ai mis en orange les recherches généalogiques, et en bleu, les listes d’animaux ou de plantes que l’on trouve dans les documents utilisés.
La toponymie
L’habitation TIRLY ou Jean TIRLY ou TRILLY est située à l’Anse des Flamands. C’est elle aussi qu’on trouve en 1787 sous le nom Habitation GENTILLY. Il y a bien une famille DILLY à cette époque, installée en partie dans ces parages, mais pas de Jean DILLY. Un ancien habitant aurait-il laissé son nom bien avant ? Une évolution transformant GENTILLY en Jean TIRLY ? L’inverse ?
Concernant l’habitation MERLET, il y a une petite piste, même si l’on ne mentionne pas d’ancien habitant avec ce nom sur notre île.
On trouve un Jean Baptiste MERLET avec une Elisabeth HODE (un nom, quant à lui bien lié à la généalogie ancienne de Saint-Barthélemy). Ce couple habite Troumaca, Châteaubelair à Saint-Vincent. Ils y ont au moins trois filles qui semblent ensuite passer à Sainte-Lucie et s’y marier.
On trouve aussi à Sainte-Lucie, une Marie Jeanne MERLET née à Saint-Martin vers 1736, épouse d’un Clément ROCHE. Cette famille passe à Sainte-Lucie également. On trouve aussi des ROCHE mariés à des AUBIN et LÉDÉE.
Histoire de l’habitation
Le 2 juillet 1804 a lieu la première criée pour la vente aux enchères par l’encanteur de la campagne de l’habitation principale de feu Charles DREYER, agent du Roi et de la Compagnie Suédoise (Charles ou Carl DREYER était né à Stockholm en 1770. Il eut un fils, John, en 1801, avec son esclave Betsy. Charles décède dans sa maison à Flamands en 1802, et son fils, en 1821). On peut penser que Charles DREYER avait acheté cette habitation des mains d’Angelique AUBIN, veuve MAGRAS.
L’enchère est mise à deux cent portugaises de 66’’, pour le compte de Mr Alex Henri VALLÉE DECOUDRÉ. La criée dure jusque six heures du soir, mais personne ne se présente pour enchérir. Il est décidé d’en tenir une deuxième le jeudi suivant, le 5 juillet, et procès verbal est signé par le témoin Lazard CHAPELAIN.
Le jeudi 5 juillet, comme convenu, on procède à la deuxième criée, mise à deux cent portugaises par Mr VALLÉE DECOUDRÉ, mais encore une fois, personne ne se présente. Jean Louis L’ORANGE, encanteur, convient alors d’une troisième et dernière criée pour le lundi 9 juillet.
C’est lors de cette dernière criée que sont indiqués les détails concernant cette habitation TIRLY, « qui consiste avec divers portions de terre, et une autre habitation nommée MERLET (le tout y compris) en trente quatre carrés Français de terre, ou, soixante-dix-neuf acres ¾ Anglais, ou bien telle autre quantité de terre qu’il pourra se trouver plus ou moins bornée :

Au Nord : par les terres des héritiers Jacques GRÉAUX dit « ROUSTANT », André GRÉAUX dit « Belair », Robert GRÉAUX « père », et François GRÉAUX dit « l’Ami », vers la Pointe à PIOT (voir note plus bas) et les Anses du LÉZARD et des CAYES,
Jacques GRÉAUX dit « ROUSTANT » : Il n’y a pas à proprement parler de Jacques GRÉAUX dit « ROUSTANT ». Nous avons une Marie Rose PIMONT, née à Saint-Martin vers 1720 qui épouse Jacques GRÉAUX en 1741. Ils ont au moins 7 enfants. En octobre 1760, Marie Rose se remarie avec un Joseph ROUSTAN natif de Marseille. Ce dernier couple n’aura pas d’enfant. Je pense que c’est par transposition, par sa veuve devenue ROUSTANT, qu’on donne aux terres du défunt Jacques GRÉAUX le surnom « ROUSTANT ». Les terres deviennent les « terres à Jacques GRÉAUX « ROUSTANT ». Et cela colle puisque :
André GRÉAUX dit « Belair « : il est né vers 1742 à Flamands, il épouse Pauline ou Apolline MAGRAS vers 1772. Ils vivent à l’Anse des Cayes, il est le fils de Jacques et Marie Rose PIMONT
François GRÉAUX dit « l’Ami » : il est né vers 1755 à Flamands, il est le beau-frère d’André « Belair ». Il épouse Florence GRÉAUX (fille de Jacques GREAUX et Marie Rose PIMONT) en 1777.
Robert GRÉAUX père : c’est le fils de Jacques GRÉAUX et Marie Rose PIMONT, le frère d’André Belair et donc aussi le beau-frère de François l’Ami. Il une Marie Magdelaine BRÉMONT.
On retrouve bien toutes ces personnes sur le « Land Examination de 1787 »
Flamands 2 Habitation Piote André GRÉAUX
Du Roi 1 Habitation La Briard Robert GRÉAUX
Du Roi 2 Habitation Lézard Roustan (une partie de ses terrains au moins, vont à Florence, donc référence à François l’Ami).
Au Sud : par une portion de terre appartenant aux héritiers André GRÉAUX (dite Le PLATON), par les terres du nègre libre Jean Pierre dit Codgot proche le Grand Chemin, par celles du sieur Dominique GRÉAUX dit Coco, le sieur Charles BRIN, et les mineurs François DANET,
André GRÉAUX Je pense qu’il s’agit d’André GRÉAUX, fils de Gilles et de Catherine MAGRAS, époux de Marie Magdelaine AUBIN. Il est le père, entre autres, de François GRÉAUX l’Ami.
Jean Pierre dit Codgot Voir l’article sur lui Scène de misère ordinaire à Saint-Barthelemy en 1820
Dominique GRÉAUX Il doit être celui qui nait en 1775, fils de Dominique GRÉAUX et de Marie Marthe QUESTEL. Il a un frère (Olivier) qui décède avant 1791, les deux sont orphelins en 1787.
Charles BRIN C’est le fils de Charles BRIN et de Marie Suzanne LÉDÉE. Il est né à Saint-Jean vers 1759 et il épouse Marguerite DANET le 4 novembre 1783, puis, en secondes noces en 1825, Charlotte COUSIN. Pour la petite histoire, on notera que c’est lui, et son frère Jean Baptiste (qui épouse Françoise DANET, sœur de Marguerite en 1785) qui sont à l’origine des familles BRIN de Public.
Les Mineurs de François DANET : Ils doivent être les enfants du couple François DANET et Geneviève QUESTEL. François ne décède qu’en 1798, mais je sais que Geneviève est décédée avant. La rédaction laisse à penser que c’est un héritage pour les enfants par leur mère. Je pense que c’est un héritage de Suzanne Louise GRÉAUX (mère de Geneviève) qui le tenait de ses parents, Gilles GRÉAUX et Catherine MAGRAS.
On retrouve bien toutes ces personnes sur le « Land Examination de 1787 »
Flamands 6 Habitation Le Platon Françoise DANET (sans doute en héritage par sa mère, petite-fille de Gille GREAUX et Catherine MAGRAS)
Corossol 5 Habitation Magdalene Dominique GRÉAUX
Corossol 10 Habitation Andrieux Jacques GRÉAUX peut-être Jacques dit « Merlet»
Jean Pierre dit « Codgot » (c’est Jacques GRÉAUX qui lui a vendu la portion de terre en 1793).
Corossol 2 Habitation Suzanne Suzanne (Louise) GRÉAUX veuve (Grand mère maternelle des mineurs François DANET)
A l’Est : par les héritiers de Jean François ROUGON,
Cette famille est un peu un mystère. Jean François ROUGON est natif de la paroisse Saint-Martin de Marseille. Il épouse Elisabeth LE JAMETEL le 20 octobre 1794 à Saint-Barthélemy, donc ils sont présents sur l’île au plus tard à cette date. Elle est native du Carbet en Martinique, fille de Pierre René LE JAMETEL (natif de Bazouges-la-Pérouse en Ille-et-Vilaine) et de Anne LABBÉ de Grande-Anse à la Martinique. Il semble qu’ils aient été propriétaires d’une habitation au Quartier du Roi. Le document de 1787 ne mentionne pas ce nom car ils l’ont achetée en 1803. Je reviendrai sur cette habitation appelée BREARD qu’on voit sous le numéro 1 sur le plan, au Quartier du Roi, car nous avons beaucoup de détails intéressants lorsqu’elle est saisie par Joseph François BERNIER à qui les ROUGON doivent l’extravagante somme de deux-mille-sept-cent-soixante-cinq Gourdes. Je n’ai rien d’autre sur ce couple, ni non plus de descendance.
A l’Ouest : vers l’Anse des Flamands, par la dame veuve Pierre GRÉAUX dit désir, et le sieur François GRÉAUX dit l’Ami,
C’est de Rosalie MAGRAS dont il s’agit. Ils se sont mariés en octobre 1782 et ont eu au moins 7 enfants à Flamands. L’autre personne bordant à l’Ouest, le sieur François GRÉAUX dit l’Ami est le frère de Pierre GRÉAUX « désir ».
Et sur lesquelles dites habitations, il se trouve :
Sur l’habitation Jean TIRLY : les bâtiments principaux consistant en un corps de logis avec deux pavillons divisés en salles à manger et de conversation, appartements à coucher, cave, case à eau, cuisine et four avec autres dépendances et cour fermée. Une bassecour où il y a deux maisons pour les géreurs et laboureurs avec citerne en bois, écurie, case à eau, magasin et autres appartements,
Sur l’habitation MERLET : une maison divisée en salle, galerie et quatre chambres avec cuisine. Futailles à eau, grandes et petites, et quatre jarres de diverses grandeurs.
C’est le Suédois Ulrich STENQUIST qui remporte l’enchère avec deux-cent trente Portugaises à quatre-vingt-huit réaux la Portugaise. STENQUIST indique que cette acquisition est faite, pour et au nom de la West India Company. Quelques temps avant 1807, c’est le Suédois SAHLSTEDT qui la rachète. Il la revend à EKERMAN avant 1812, car à cette époque, EKERMAN emprunte 4000 dollars espagnols au trésor pour un an, pour terminer de payer son acquisition. Il met l’habitation en garantie.
Le 16 avril 1816, Gustaf EKERMAN, commissaire priseur à Saint-Barthélemy, loue pour un an une habitation qu’il possède à Mr Charles William THENSTEDT, notaire à Gustavia. Les deux sont Suédois, le premier marié avec Aletta HASSELL de Saint-Eustache avec une très nombreuse descendance, et le deuxième avec Catherine Frances BASDEN née à Saint-Christophe.

La location se fait pour la somme de 750 dollars espagnols par trimestre ce qui représente une très grosse somme. On peut penser que cette habitation rapporte en conséquence.
L’habitation est louée quasiment « clefs en main », avec tout le détail de ce qui s’y trouve :
Les nègres esclaves, Eustache, John DONCKER, Léon HEDDOE, John KEELING
Il y a aussi un cheval et un âne (jack ass), ils ne font pas parti de la liste des animaux ci-dessous, que je transcris telle quelle. Les animaux suivants sont indiqués avec une valeur pour chacun :
11 vaches,
1 bœuf
1 petit taureau
1 taureau
5 génisses
24 moutons adultes, 5 agneaux et 16 chèvres,
1 dinde, et 3 petits,
1 canard, 3 cannes et 26 canetons
3 dindons mâles et 40 femelles et petits,
32 pigeons et 6 petits,
« Il est convenu que la plantation doit être retournée dans le même état qu’elle est au jour de la signature. Les nègres, le troupeau et la basse-cour comme sur la liste, sauf évènement imprévu ».
Il est également convenu que Charles William THENSTEDT est responsable des bâtiments et réparations, mais que les coûts sont déductibles du loyer.
On vient de voir plus haut à quoi pouvait ressembler les habitations Jean TIRLY et MERLET vers 1800, bâtiments et animaux compris. Il existe aussi une belle liste des arbres fruitiers qui s’y trouvent, dressée, elle, en 1802.
La propriété est divisée en « quartiers » mais on ne sait pas à quelles zones ils correspondent.

Quartier 1
1 sapotille
1 sapote mamey
3 avocats
2 corossols
2 jasmins
3 pommes Malacca
Quartier 2
1 sapote mamey
4 avocats
3 corossoliers
4 pommes Malacca
8 acajou
9 « pommiers »
4 « tallow trees »
Quartier 3
1 Sapote mamey
1 avocat
3 acajous
4 « pommiers »
5 figuiers
Quartier 4
5 Sapote mamey
4 avocats
19 corossoliers
8 « tallow trees »
2 acajous
1 « pommier »
1 cocotier
Quartier 5
1 figuier
2 acajous
8 corossoliers
8 « tallow trees »
3 cerisiers
Quartier 6
3 avocats
15 orangers
2 figuiers
1 acajou
16 « pommiers »
1 corossolier
6 arbres ?
1 jasmin
Puis 55 cocotiers (ensemble si je comprends bien)
Au jardin :
1 vigne
1 vigne créole
13 grenadiers
2 acajous
4 « tallow trees »
Dans le petit jardin :
3 vignes créoles
13 grenadiers
1 pommes cajou
1 cerisier
1 jasmin
Avec aussi, mais sans détail, des citronniers, goyaviers, pommes surettes, frangipaniers
On retrouve notre habitation le 5 novembre 1870, lors de l’inventaire de ses biens à la campagne, du défunt François Adolphe DÉRAVIN (époux de Julie Anne MAGRAS). Je pense que Mr DÉRAVIN l’a achetée de la succession de Gustaf EKERMAN père. Ce sont Etienne et Pierre LÉDÉE « Gueraï », membres de la chambre des représentants, qui sont nommés pour ce faire.
Dans ce document, l’habitation est dite « Jean TIRELIRE », située sur les hauteurs de l’Anse des Flamands, au lieu nommé « Merlet ». Il manque la superficie, il est donc impossible de savoir si l’habitation MERLET lui est toujours attachée. Elle est bornée :
Au Nord par la mer,
Au Sud, par les terres des sieurs Arthur DÉRAVIN et Stéphane DANET (Il habite l’Andrieux, époux de Marie Joséphine « l’Ami » GRÉAUX).
A l’Est, la mer et les hautes terres des messieurs GRÉAUX,
A l’Ouest, par celles du sieur Arthur DÉRAVIN et des sieurs GRÉAUX
La terre est estimée 1500 dollars
Sont construites sur la terre, une maison en charpente évaluée 16 dollars, et une autre plus petite, pour 3 dollars.
Les héritiers et la veuve ont déclaré les animaux leur appartenant :
72 brebis
5 agneaux
7 vachets
12 bœufs et génisses
5 chèvres
1 bouc
8 petits cabritons
7 dindes
12 poules
1 porc
Chevaux :
1 jument
1 jument appartenant à Mlle Ernestine DÉRAVIN
1 jument appartenant à Léon DÉRAVIN « François Adolphe DÉRAVIN »
1 cheval
1 jument
2 pouliches appartenant à Armand DÉRAVIN
1 jument
1 petite pouliche appartenant à Adolphine DÉRAVIN
2 vaches
2 veaux
Il n’y a pas de valeur pour les animaux, leur présence n’entre pas dans le total de la succession.
Il n’y a pas de document ultérieurs concernant ces habitations, impossible donc de savoir comment ces deux anciennes habitations ont été partagées et vendues.

Le nom de l’habitation Jean TIRLY ou ses variantes a disparu, rien qui y ressemble dans la toponymie aujourd’hui.
Il ne nous reste aujourd’hui qu’un lieu-dit, « Merlet », pour nous rappeler de ce qui fut un jour.
Pointe à PIOT : un nom qui à coup sûr est à mettre en rapport avec un patronyme aujourd’hui disparu. En effet, on trouve sur le recensement de 1681 de Saint-Barthelemy, un Pierre PIOT avec une femme, 1 garçon et deux filles, et un Jean PIOT. Sur le recensement de 1690, on trouve à Saint-Barthelemy toujours, un Pierre et un Paul PIOT.
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Thank you Jerome. It’s a pleasant disruption of the ‘Gustavia/Country’ and ‘Swedish/French’ dichotomy some later research focuses on. If only the diversity of food/fruit trees was as widespread now! Mamie Sepote was a wonderful treat when rarely available in the markets of the islands I knew best.
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Bonjour Jérôme,
Merci pour cet article très instructif!
Serait-il possible d’avoir les cotes des archives que vous avez pu dépouiller, notamment celle(s) concernant l’inventaire des animaux?
Un grand merci par avance!
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