Histoires de corsaires, l’incroyable « coup de trois » du Capitaine Jean VANTRE de 1796

La vie en mer ,pour les marins de notre île n’a pas toujours été très simple …en fait, il est même difficile de croire qu’il y ait eu des volontaires pour prendre la mer, tant cela pouvait être dangereux. Et je ne fais pas référence à la météo !

Comme on l’a vu dans l’article précédent   Le capitaine Jean VANTRE et Victor HUGUES  (et qui en fait, suit chronologiquement les péripéties vécues par Jean VANTRE dans cet article), les corsaires pullulaient en mer, mettant à chaque instant, la vie des marins en danger.

Note : Le nom du capitaine de la goélette de Jean VANTRE n’est pas toujours écrit de la même manière, Saubas ou Saubat, BIROUET, BEROUET ou BERONETTE

Le nom de la goélette est bien écrit « La Sirenne », mais on la trouve aussi sous « Syren ».

L’Histoire commence donc en 1796,

« Je soussigné, Jean VANTRE, habitant de Saint-Barthélemy, île Suédoise, déclare, sous la foi de mon serment à monsieur NORDERLING, juge de la dite île, que je parti de ce port le 29 août avec mon expédition en bonne forme, sur ma goélette « la Sirenne », commandée par Saubas BIROUET, pour l’île de la Trinité espagnole, avec diverses marchandises s’élevant à dix-huit cent gourdes ou à peu près, plus une somme en espèces de trois-mille-deux-cents gourdes, ces deux objets formant ma cargaison.

Le lendemain, 30 du même mois, nous fûmes visités au vent d’Antigua par la goélette de la République Française « La Liberté », capitaine PENSÉ, qui, après nous avoir mûrement visités et trouvé l’expédition et le registre de ma goélette en règle, m’observa que dans le nombre des articles qui composait ma cargaison, la République en avait besoin. Je lui répondis que j’étais expédié pour la Trinité espagnole et qu’il ne convenait point à mes intérêts de me détourner de ma route. Sur ce, il me répondit brusquement, en me disant qu’il fallait le suivre. Me voyant contraint par cet ordre impératif qui est contre toutes les lois de la neutralité, je fus obligé de céder.

Il me conduisit à la Baie Mahaut, et me présenta au citoyen BOISSEAU, délégué du Commissaire du Directoire exécutif, celui-ci m’envoya le lendemain au Chef Principal à la Pointe à Pitre, qui m’obligea à lui vendre ma cargaison pour le montant de laquelle il me donna un bon de paiement sur le citoyen BLANCHET, délégué au Petit Canal, qui me fit le paiement en denrées telles que sucre terré, coton et rhum.

Le bon marché que je trouvais à ces denrées, me décida à employer la majeure partie de mes espèces pour celles que je pu trouver dans son magasin.

J’obtins du dit citoyen BLANCHET un certificat de mon arrestation par le capitaine PENSÉ, que le citoyen BOISSEAU m’avait constamment refusé, en m’alléguant  que j’avais fait naitre trop de difficultés envers le dit capitaine PENSÉ qui m’avait commandé, sans doute à sa mauvaise humeur.

Mes affaires finies, j’appareillais le 12 septembre de la rade du Petit Canal pour me rendre ici.

Le lendemain, 13 septembre, à la portée de fusil de l’Anse Gouverneur de cette île, comme l’atteste les divers habitants de cet endroit par leur déclaration que je joins à la présente, qu’une corvette anglaise, qui se trouvait presque sous la terre, m’a tiré plusieurs coups de canon quoique j’eu mon pavillon Suédois à la tête de mon grand mât. J’amenais mes voiles, et non content de cette soumission, une fusillade des plus vives, pendant dix à douze minutes a été mise en œuvre, quoi qu’aucune résistance ait eu lieu de ma part, ni que j’ai cherché à me détourner de ma route.

Sa chaloupe est venue à mon bord avec un officier et un capitaine de prise pour amariner ma goélette, et dit au dit capitaine de prise « Al down this Dame Suédist Jacks ! ». Après les injures de toutes espèces, ils me firent embarquer dans leur chaloupe avec mon capitaine, mon frère, et tout mon équipage pour nous rendre à bord de la dite corvette où nous essuyâmes de nouveaux outrages. Après un mauvais traitement, je demandais le nom de la corvette et celui du capitaine. On me répondit qu’elle s’appelait « La Hariarde », commandée par monsieur ……… (en fait Jean n’a pas compris ce qui lui a été dit, nous verrons ces noms plus bas).

A portée de fusil de Gouverneur

Nous fûmes conduits à la Basseterre Saint-Christophe ou le Capitaine Saubas BIROUET, mon frère et moi descendîmes à terre pour être traduits devant le juge de l’amirauté qui m’interrogea et me fit assermenter pour déclarer si la goélette « La Sirenne » et sa cargaison m’appartenaient, ce que j’ai déclaré comme étant mes propriétés.

Je lui ai dit de plus, que j’avais une somme de six cent gourdes en nature soit en or ou argent dans ma malle que je n’avais pu employer en denrées et que le capitaine de la corvette s’en était emparée. Vu la nécessité où me je me trouvais de quelque argent, il m’a donné dix möedes pour subvenir à mes besoins et ceux de mon équipage.

Le capitaine Saubas BIROUET a déclaré aussi au juge de l’amirauté de Saint-Christophe, que le produit de sa pacotille a été employé en cinq barriques de sucre terré et qu’il a rapporté en nature cent quatre vingt dix casaques à nègres, ces deux objets comme sa propriété, de même qu’une paire de pistolets, une longue vue et ses cartes de marine, ces derniers articles ont été pris par le capitaine de la corvette « La Hariarde ».

Joseph VANTRE, mon frère, a aussi déclaré avoir chargé sur ma dite goélette « La Sirenne », deux barriques de sucre terré provenant de sa pacotille, en foi de quoi nous avons signé tous trois la présente déclaration pour servir et valoir comme de justice ».

Fait à Saint-Barthélemy, île Suédoise, le 24 septembre 1796

Ci-dessous, la déclaration des habitants témoins de l’attaque lancée par la corvette anglaise devant l’Anse Gouverneur.

« Nous soussignés, habitants de l’Anse Gouverneur en l’île Saint-Barthélemy, certifions que le 13 du courant, environ vers les neuf heures du matin, nous avons vu une goélette que nous avons reconnue être celle du sieur Jean VANTRE, laquelle était à portée de fusil de la terre, a été poursuivie et canonnée par une frégate qui lui a tiré environ une douzaine de coups de canon qui l’on fait amener, et qu’ensuite, nous avons aperçu que la dite goélette avait encore essuyé une fusillade quoi qu’étant amenée,

En foi de quoi nous avons signé le présent pour servir à telle fin que de raison,

Saint-Barthélemy, le 22 septembre 1796 »

Jean Etienne BORNICHE, LAMONTAGNE, Pierrot LÉDÉE, Jean Baptiste GRÉAUX, Pierrot LAPLACE

La goélette de Jean VANTRE est finalement libérée pour je ne sais quelle raison, entre septembre et novembre 1796. Il y a bien la première page du verdict du juge de l’amirauté de Saint-Christophe, mais pas les suivantes.

Dans un courrier ultérieur, sans doute courant juin 1797, Jean VANTRE indique, parlant de sa goélette « après avoir été acquittée à la cour de l’amirauté de Saint-Christophe où elle avait été conduite et mise en radeau et m’occasionna une dépense de quatre cent gourdes ».

Les bateaux saisis et en attente de jugement sont souvent mis hors d’état de naviguer. On enlève les voiles, les cordages, voir les mâts parfois, pour éviter qu’ils puissent être repris (on a le cas d’un navire volé dans le port de Basseterre à Saint-Christophe et ramené à Saint-Barth par Balthazar BIGARD, consul de la République Française à Gustavia, au nez et à la barbe de la marine Anglaise alors même que le bateau ne pouvait pas naviguer).

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car Jean VANTRE n’est pas du genre à se laisser impressionner pour si peu …

Il poursuit, dans ce même courrier : « Mr Victor HUGUES qui commandait à cette époque l’île Guadeloupe, venait de lancer une proclamation qui défendait à tous les bâtiments neutres la navigation entre Martinique et Sainte-Lucie sous peine de confiscation en cas d’arrestation par les corsaires Français dont le nombre était considérable. Cette mesure fit naître des craintes aux propriétaires et entrava singulièrement les caboteurs. Elle me fit prendre la résolution d’envoyer ma goélette à la trinité Espagnole avec une cargaison de dix-huit « boucauds » de riz justement. Elle fut expédiée le 24 décembre 1796 de ce port de Gustavia, avec deux passagères habitantes de Sainte-Lucie, avec lesquelles je m’étais engagé à les faire mettre à terre au chef lieu en Sainte-Lucie appelé Carénage, sous la clause expresse, que si Monsieur le Gouverneur n’autorisait point leur entrée dans la colonie, je les ramènerais jusqu’à la Trinité espagnole ou elles pourraient choisir une autre occasion, ou, revenir sur la même goélette qui devait prendre un chargement en maïs pour cette île ». Jean VANTRE avait donné « l’ordre de toucher à Sainte-Lucie au Carénage même pour y débarquer ces dames, en demandant préalablement l’autorisation au Gouverneur ».

Dans une déclaration en date du 20 juin 1797, le Capitaine Saubat indique être parti de Saint-Barthélemy le 24 décembre 1796 sur la goélette « La Sirenne » pour l’île de la Trinité espagnole avec une cargaison de dix-huit boucauds de riz, et deux passagères, Madame VIGIÉ et Madame STRUBE (voir information en bas de l’article).

« Le 28 décembre, étant par le travers des canaux de Sainte-Lucie, courant vers la terre, je rencontrais le bâtiment de sa Majesté Britannique nommé « Le George » qui a jugé à propos de mettre son canot à la mer et de nous visiter, et, ayant trouvé nos papiers en règle, m’a laissé continuer ma route, après avoir pris deux hommes de mon équipage sous le prétexte qu’il était faible du sien, m’assurant que j’aurais la liberté du port et que je pourrais remplir mon engagement envers ses deux dames.

L’instant d’après que je l’eu quitté, il me tira deux coups de canon. Je revirais de suite vers lui pour savoir ce qu’il avait à me dire. Il vint une seconde fois à mon bord pour me demander les lettres que ses dames avaient dans leur malle. Avant de me quitter, il me prit un troisième homme. Malgré toutes les représentations que je pu lui faire de l’impossibilité qu’il me mettait de pouvoir naviguer par la faiblesse alors de mon équipage qui n’était plus que de quatre hommes, il n’eut aucun égard à ma situation, se bornant à me dire qu’au retour de ma mission, je retrouverais mes trois hommes, qu’il était fâché que la nécessité où il se trouvait, le forçait à user de cette manière ».

Le navire Anglais reprend sa route vers Soufrière, et le capitaine Saubat, malgré les difficultés, réussi à jeter l’ancre à l’embouchure du port de Castries, près d’une batterie. La manœuvre pour rentrer dans le port est rendue compliquée par le manque d’équipage, mais finalement, avec l’aide du capitaine du port, ils réussissent à entrer, non sans endommager son navire.

Le lendemain, ils sont conduits devant le Gouverneur, et, malgré la lettre de recommandation du Gouverneur HODGE de l’Anguille concernant les deux passagères, ils sont renvoyés et consignés à bord.

En arrivant, les passagères lui disent que le navire a été inspecté de fond en comble, et que les fonctionnaires ont emmené plusieurs ustensiles avec eux.

Trois jours se passent sans qu’il puisse descendre ou envoyer les deux passagères à terre. Le quatrième jour, ils sont interrogés, puis renvoyés à bord, sans qu’ils puissent déposer une requête concernant leur arrestation et détention.

Au bout de huit jours, toujours sans nouvelles, des fonctionnaires viennent à bord pour prendre la cargaison de riz, alors que le bateau n’est même pas condamné.

Au bout de trente-cinq jours, le Capitaine et deux équipages sont transférés au gros îlet, à bord d’une bombarde où ils restent enfermés huit jours aux fers, puis, ils sont envoyés au Fort Royal en Martinique à bord d’un « prison-ship »

Pendant ce temps là, Jean VANTRE, resté à Saint-Barth pour des problèmes de santé, apprend finalement la nouvelle de l’arrestation de sa goélette. Munis de tous les documents nécessaires, il embarque avec un officier de la garnison de Gustavia qui transporte une lettre du Gouverneur de Saint-Barthélemy, sur une goélette d’état. Arrivés, ils sont très mal reçus et sont renvoyés immédiatement.

Jean VANTRE « entre en réclamation » alors que sa goélette est toujours sur rade à Castries. Malheureusement, les tribunaux sont suspendus à cause de la loi martiale promulguée dans le même temps.

Après sept mois passés sur le bateau prison en tant que prisonniers de guerre, le capitaine Saubat et le reste de l’équipage sont finalement relâchés en Martinique. D’après Saubat, « la goélette a été reconnue, par dénonciation, coupable d’avoir transporté des munition de guerre à Saint-Vincent et la Grenade pendant le siège qu’en faisaient les Français ».

Jean VANTRE déclare qu’il est facile de prouver que cela n’est pas vrai, « la fausseté d’un mensonge ! ». Il poursuit « les registres des douanes de Saint-Barthélemy attestent du jour du départ de la goélette pour Saint-Domingue à l’époque de son arrivée à Gustavia après quatorze mois d’absence des îles du vent. Ma goélette fut achetée le 5 mai 1795 à Saint-Barthélemy et expédiée pour Saint-Domingue le 23 du même mois. Cette goélette fut arrêtée aux Cayes Saint-Louis par le général RIGAUD pendant onze mois, et n’a été de retour à Saint-Barthélemy, que le 9 de juin 1796, comme le constatent les registres des douanes. Il est donc aisé de voir que ma goélette ne pouvait point avoir porté des munitions, ni à Saint-Vincent, ni à la Grenade ».

Puis Jean VANTRE termine sa lettre adressée à l’amirauté Britannique de Sainte-Lucie avec un superbe « Des preuves aussi fortes peuvent être encore, Messieurs, étayées par l’enquête faite chez tous les négociants de l’île de Saint-Barthélemy sans avoir égard à leur qualité d’Anglais, Suédois, Allemands et autres, enquête qui doit, Messieurs, non point influencer le jugement que j’attends et l’honorable cour, mais accélérer la justice que je réclame d’une nation aussi intègre dans ses tribunaux que grand dans ses succès ».

Dans un document du capitaine Saubat, daté du 22 juin 1797, on a la liste de l’équipage, avec, vous allez voir, un passage plein d’émotion :

«  Ayant pour équipage

            Pierre LÉDÉE, contremaitre,

            Jean LAPLACE, marié, aussi de cette île, matelot

            Piter, matelot

            Janot, nègre matelot appartenant à Mr Pierre BERNIER de cette île

            Joseph, nègre appartenant au bourgeois du dit bâtiment (donc à Jean VANTRE)

            Un mousse,

Lorsque le capitaine du bateau Anglais « Le George » qui m’avait pris les deux premiers hommes de mon équipage revint pour la seconde fois à mon nord, il m’enleva le nommé Jean LAPLACE, homme marié dans cette colonie, et celui-ci, au moment de s’embarquer, me remit son contrat de mariage afin de le faire réclamer comme sujet Suédois. Cette pièce fut présentée au Gouverneur Moore qui la garde jusqu’à ce jour. Le dit Jean LAPLACE est toujours détenu à bord du dit navire « Le George ». Le nègre Joseph a été envoyé à la Soufrière au près de sa mère ».

Cette incroyable suite d’évènements malheureux qui arrivent à notre capitaine Jean VANTRE et à son équipage, n’est malheureusement pas isolée. Se faire prendre par le corsaire d’une nation, puis reprendre par celui d’une autre, c’est presque monnaie courante à cette époque, j’en ai même vu passer beaucoup. Mais se faire prendre une troisième fois la même année …

On reste encore une fois étonné du grand sang froid de ce jeune capitaine Saint-Barth, qui achète son premier navire alors âgé de 19 ans à peine, le perd pendant 11 mois, prit par les Français à Saint-Domingue, puis le récupère, se fait prendre par des corsaires Français, puis, dans la foulée, par des corsaires Anglais, prouve son innocence au tribunal de Saint-Christophe, puis expédie à nouveau son bateau qui se trouve confisqué à Sainte-Lucie. C’est l’année suivante, qu’il est pris par un corsaire Français et qu’il rencontre Victor HUGUES.

Un conseil tout de même, la prochaine fois que vous allez mettre votre serviette à Gouverneur, jetez un œil avant, histoire de vérifier qu’un corsaire Anglais n’est pas à l’affut !

Notes:

Madame VIGIÉ : c’est une Marie GRÉAUX, née à Saint-Vincent, paroisse Sainte-Croix vers 1760, fille de Pierre Bernard GRÉAUX et de Marie Rosalie LÉDÉE épouse de Jean Baptiste VIGIER (mariage à Sainte-Lucie en 1785). Elle signe GREO VIGIER.

Madame STRUBE ou peut-être STRETH d’après sa signature. Je ne sais pas qui elle est, si ce n’est qu’elle a une sœur dite « veuve BERNIER ».

Joseph ou Charles Joseph VANTRE, le frère de Jean, est né à Saint-Barthélemy vers 1779. Il aura au moins deux enfants avec une Emelie Sophie COCQ, dont Joseph dit « Momogne » qui sera père d’au moins trois enfants avec Jeanne CHAPEAU, un ancêtre des ROSEY Jeanne CHAPEAU, Esclave



Catégories :Chapeau, CORSAIRES, ROSEY, Uncategorized, VANTRE

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Rétroliens

  1. John DEDMORE, la « Resolution » et le « Mahomet » – The Saint-Barth Islander

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