Jeanne CHAPEAU, Esclave

Pour Elie et Felix,

Pour parler des origines de la famille ROSEY, qui fera l’objet d’un prochain article, il faut parler de Jeanne CHAPEAU, et donc aussi, de Joseph CHAPEAU.

Les premières traces écrites que j’ai trouvé concernant Joseph CHAPEAU, sont les documents concernant sa demande de naturalisation en 1812. En effet, le 18 septembre de cette année là, il demande une lettre de bourgeoisie pour devenir citoyen à part entière.

FRANOM FSB_277 ALVIN – demande de naturalisation de Joseph CHAPEAU

Pour appuyer sa demande, il fourni un certificat de notoriété qui indique qu’il est présent sur l’ile depuis 5 ans déjà « pour y exercer son idée industrieuse à son existence sans altération publique« . Le document est signé par Pierre ARNAUD, John Joseph CREMONY, Peter PETERSEN et Adolphe Fredric HANSEN.

Joseph CHAPEAU a un fils de couleur libre, Jean, né et baptisé le 1er juin 1815 de Marie LIBERATA, une mestive libre.

Jean décède le 30 novembre 1819. Je ne trouve rien d’autre concernant Marie LIBERATA.

Ni non plus rien d’autre sur Joseph CHAPEAU de son vivant.

Dans le registre de l’Eglise Suédoise Lutherienne de Gustavia, on trouve l’inscription de son décès à la date du 7 octobre 1826, et on apprend qu’il était âgé de 70 ans, originaire de Marseille et marin.

FSB 290 – Registre des décès Eglise Lutherienne Suédoise

Il faut attendre l’inventaire de sa succession dréssé par Mr L’ORANGE le 11 octobre 1826 pour en apprendre un peu plus.

FRANOM FSB 313-ALVIN – SUCCESSION DE JOSEPH CHAPEAU

Il semble que le défunt n’ait pas grand chose à léguer, si ce n’est que lui sont dûes (principalement de Puerto Rico) de nombreuses sommes d’argent jugées comme non recouvrables. Il apparait qu’il a été en association avec un Mr « DUVAL » dans une compagnie « Duval & Chapeau« .

L’inventaire de la succession commence par un terrain, le lot 472 dans le quartier LYCKAN à Gustavia. Nous en reparlerons plus loin. Allons directement faire connaissance avec notre Jeanne CHAPEAU ! Elle est mentionnée en page 2, dans la section « Esclaves ». Dans la liste, avant elle, il y a « un nègre nommé Pierre d’environ 35 ans » évalué pour 150 piastres. Arrive ensuite  » une mulatresse nommée Jeanne d’environ … ans et sa fille Caroline agée d’environ … ans » pour un total de 300 piastres. Les présentations sont vitement faites : Jeanne est esclave, et elle est mère.

Il y a ensuite l’énumération des maigres biens du défunt  » Une vieille table, un lit avec un matelas tout vieux, 2 grandes jarres, 2 poulies de laiton, 9 dames-jeannes vides …« .

Puis le passif, sur lesquelles nous allons nous arreter quelques intstants car elles nous donnent un petit éclairage sur la vie à Gustavia à cette époque. En plus, on y retrouve Jeanne deux fois.

Est dû pour le cerceuil du défunt, suivant compte produit par Anthony HODGE, 14 piastres, et pour l’ouverture de la fosse, 3 piastres. Anthony HODGE est un nègre libre, charpentier, né à Nevis vers 1777. Il est marié à Maria GIBBES, une mestive libre de Saint-Eustache.

Est dû au Docteur COCK (comprendre William Henry COCK, fils de William COCK), pour traitement dans la dernière maladie du défunt, 8.4 piastres.

A Per Fredric MILANDER, un suédois, 5 piastres pour « s’être employé à l’enterrement du défunt »,

A Jean Marie DUZANT, 8 piastres pour le traitement de l’esclave Jeanne, 8 piastres,

A la mulatresse libre Charlotte, 7 piastres pour les loyers de maison et soins portés par elle à la dite esclave Jeanne,

A Mary LEVEROCK, pour divers articles fournis dans la dernière maladie du défunt, 6 piastres.

A Elizabeth SNELLING, pour l’accouchement de l’esclave Jeanne d’une fille, 2.9 piastres

A la nègresse libre Marie-Claire, 2.3 piastres pour blanchisserie.

On peut s’etonner du coût de la vie comparé à la valeur du terrain et des esclaves. Une succession peut vite s’avérer negative avec quelques dettes suite aux visites du docteur, aux frais de l’enterrement ou aux taxes à payer à l’église et au gouvernement.

Le document ci-dessous extrait de l’inventaire, est la mention du « titre de vente au profit du défunt reçu devant notaire à la date du 4 juillet 1821 de la nègresse Jeanne avec son enfant fille de trois mois alors ».

Sur les deux derniers documents, on peut faire quelques remarques :

Joseph CHAPEAU achète Jeanne et sa fille agée de trois mois en juillet 1821, mais, dans la liste des dettes précédentes, il est dit qu’il doit 2.9 piastres à Elizabeth SNELLING pour l’accouchement. Comment ce fait-il qu’il ait payé ces frais en lieu et place du propriétaire ?

Le 13 octobre l’inventaire est continué, mais je n’ai pas le document, et il est clos par Mr L’ORANGE le 7 novembre. La valeur totale de ses biens – sans compter les dettes jugées perdues – se monte à 1496.50 Piastres, une belle somme pour l’époque.

Que se passe-t-il avec les esclaves après cette date ? Qu’advient-il du lot 472 ?

Joseph CHAPEAU a bien rédigé un testament, mais il n’est pas signé !

L’inventaire n’est malheureusement pas suivi d’une attribution des lots, on ne sait pas ce qui se passe ensuite, mais … finalement, un peu quand même !

En effet, dans une autre liasse de documents, on trouve le courrier suivant, adréssé au Gouvernement par Monsieur Jean Louis L’ORANGE, en qualité de curateur de la succession de Joseph CHAPEAU, et daté du 8 avril 1828.

Monsieur L’ORANGE indique qu’en execution du testament du dit défunt, en date du 8 octobre 1826 dont extrait ci-joint, la liberté est léguée à la nommée Jeanne, femme de couleur créole de cette ile et présentement âgée d’environ 27 ans, et à Caroline, fille aussi de couleur âgée d’environ 7 ans 1/2, et enfant de la dite Jeanne, toutes deux esclaves du dit défunt ainsi qu’il en coule (?) du titre ci-joint dûment porté en l’inventaire confectionné de la succession du dit défunt à la date du 11 octobre 1826, de supplier qu’il soit du bon plaisir de votre honorable conseil de faire octroyer à chacune des dites esclaves sus-nommées sa lettre d’affranchissement aux fins de jouir à l’avenir des droits et prérogatives dont jouissent les autres libres et affranchis de la colonie, et ce sera bien »

Ainsi, le testament de Joseph CHAPEAU, bien que n’étant pas signé, est pris en compte, et, Jean Louis L’ORANGE s’occupe d’en faire respecter les demandes !

FRANOM FSB 286 ALVIN Slave Comittee – dossier manumission de Jeanne CHAPEAU 1ere page du courrier de Jean Louis L’ORANGE
FRANOM FSB 286 ALVIN Slave Comittee – dossier manumission de Jeanne CHAPEAU 2eme page du courrier de Jean Louis L’ORANGE

Accompagnant le courrier, on trouve la retranscription de l’article concernant Jeanne et Caroline dans le testament de Joseph CHAPEAU :

Pour copie conforme, article 4  » Je donne et lègue la liberté à mon esclave nommée Jeanne, femme de couleur, créole de ce pays-ci, et maintenant âgée d’environ vingt-six ans, ainsi qu’à sa fille Caroline, créole de cette île, et actuellement de l’âge de six ans ; bien entendu que les frais d’affranchissement seront payés par ma succession »

On peut noter que Joseph CHAPEAU, non seulement lui donne la liberté (rien n’est dû par elle à succession), mais qu’également, les frais liès à sa manumission seront payés sur ce qu’il laisse. Vu d’aujourd’hui, ce que je viens de dire peu choquer, mais il faut bien comprendre que c’est très rare, et que très souvent, l’esclave doit payer sa propre valeur à la succession, et, quasi systematiquement, les frais d’enregistrement.

Quand fût prononcée la libération de Jeanne ? Je n’ai pas la réponse, mais on peut penser qu’elle est libérée dans les jours ou les semaines qui suivent ce courrier. En tous cas, au regard de la fiche cadastrale du lot 472, on peut penser qu’elle est libre dès avril 1828. En effet, on note que le lot change de propriétaire, passant de la succession de Joseph CHAPEAU à « Jane Free Woman of color ». On notera aussi en passant, que ce lot avait appartenu auparavant à Marie LIBERAT mère de Jean, l’enfant de Joseph décédé en 1819.

Fiche du lot 472 dans le cadastre Suédois

Le lot 472 se trouvait à Gustavia sur le quarré LYCKAN. Je pense qu’on peut le localiser là où se trouve la petite case blanche qui borde le nouveau parking de la collectivité entre l’église Anglicane et l’église Catholique.

Plan du cadastre Suédois, le haut de l’image pointe vers l’Est, le lot 472 se trouve juste après la venelle qui rejoint la rue des Dinzey à la rue de l’église.

La voici libre et propriétaire !

Jeanne CHAPEAU, ou Jeanne dite CHAPEAU, a plusieurs enfants,

Caroline, baptisée le 9 juillet 1822, alors âgée de 14 mois, « fille naturelle de Jeanne, esclave à Monsieur Joseph CHAPEAU« . Je suis enclin à penser que Joseph est le véritable père de Caroline, et que c’est pour cela qu’il paye l’accouchement et les soins de Jeanne, puis qu’il les achete toutes les deux, mais au décès de celle-ci, en 1898, elle est dite fille d’Edouard GIRAUD. Le 4 novembre 1851, Caroline épousera Charles BELBRANCHE, un ancien esclave d’Emmanuel VAUCROSSON et devenu entre temps tambour des proclamations et tonnelier à Gustavia. Caroline et Charles auront plusieurs enfants dont Celeste ou Celestine qui épousera un Jean Baptiste BERNIER et dont la descendance se prolonge dans les familles SIBILLY et MAYER. Ce sont eux qui habitent le lot 472 (voir plus haut la fiche du cadastre).

Jeanne CHAPEAU aura 4 autres filles avec un Joseph VENTRE dit Momogne, dont Emilie en 1841, et Félicité en 1846. Nous parlerons bientôt des deux autres, puisqu’elles vont être à l’origine de l’installation du nom ROSEY à Saint-Barthelemy.

Jeanne figure sur plusieurs dénombrements jusqu’en 1869. Elle est souvent sous le prénom « Jean » (surement le surnom en Anglais pour Jeanne). Elle est indiquée en tant que sage-femme et Joseph VENTRE, marin réside avec elle. Sur le dénombrement de 1869 habitent avec eux leurs petits-enfants, Jean Patrice, Charles Alexandre et Celestine (les enfants de Jean Baptiste ROSEY et de Elisabeth dite Henriette). Ils résident sur le lot 196 à Gustavia, une petite bande de terre longeant le lot 472 sur son côté Est (le lot appartient à Mlle Louise CAËNS sur qui je ferais un article dès que possible)

Jeanne décède à Gustavia le 5 aout 1871, en femme libre.



Catégories :belbranche, BERNIER, Chapeau, esclavage, ROSEY, Sibilly, Uncategorized

3 réponses

Rétroliens

  1. Famille ROSEY, épisode 1 – The Saint-Barth Islander
  2. Famille ROSEY, épisode 2 – The Saint-Barth Islander
  3. Histoires de corsaires, l’incroyable « coup de trois » du Capitaine Jean VANTRE de 1796 – The Saint-Barth Islander

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :