Encore une histoire de dispute au sujet d’un droit de passage, cette fois-ci au Vent de l’île, à Lorient. Les deux habitants vont faire valoir leur point de vue, puis, la justice rendre sa décision par l’intermédiaire de plusieurs notables. Une véritable justice de proximité !
Le 25 juillet 1866, Edouard GARRIN, habitant et propriétaire au quartier de Lorient adresse une pétition à la Cour de Justice.
Il écrit « Qu’étant propriétaire d’un terrain situé dans la partie d’Est dudit quartier où, jadis, je faisais ma demeure, que pendant trente-six ans que j’habitais cet endroit, j’avais l’avantage de jouir d’un chemin des terres des anciens propriétaires pour me rendre sur les hauteurs où se trouvent mes terres, et sur lequel passait tout le monde, que ce chemin était permis depuis un temps immémorial, comme l’attestent Messieurs Clément LAPLACE, octogénaire qui, à cette époque, était voisin, ainsi que monsieur Jean Baptiste BERRY, Titus, de qui j’ai fait l’acquisition dudit terrain, et Eugène GIRAUD, qui a resté chez moi pendant six ans, et d’après les certificats ci-joints.
Ayant depuis quelques années passées changé de demeure, et laissant ma propriété sans demeure, voulant permettre à Mr Gustave BENJAMIN, mon gendre, d’y bâtir une maison là-dessus pour y faire sa demeure (ce qu’il a déjà fait), et enfin pour jouir des mêmes avantages que j’avais de ce passage, pour se rendre sur les hauteurs où se trouvent mes terres et plantations, Monsieur SIMÉON s’oppose et refuse à mon gendre le chemin de ses terres qui sont au-dessus des miennes, lui désignant pour chemin de passer devant ma maison, ce qui est une route très longue, et tout à fait inconcevable à sa convenance pour apporter ses charges et denrées chez lui, ce qui est hors de l’humanité, car il ne peut voler dans l’air comme un oiseau, pour avoir une montée et descente chez lui, et, ne pouvant non plus profiter de la justice que lui fait le sieur Alexis TACKLIN qui veut bien lui permettre le même chemin que je passais, car se trouvant propriétaire limitrophe du Grand Chemin, il favorise le sieur SIMÉON à un passage sur ses terres plus haut, ce qui est bien accepté.
Monsieur SIMÉON pourrait réfléchir, et se rappeler d’heureuse mémoire, que lui-même a passé pendant quelques années dans ce chemin, à l’époque que je lui avais permis de bâtir chez moi, terrain qu’habite aujourd’hui le sieur BENJAMIN, et que nous avons été souvent ensemble, apporter nos provisions qu’il recueillait quand il exploitait mes terres ».

Edouard GARRIN demande à la Cour de Justice de convoquer Mr SIMÉON à sa prochaine séance pour juger de l’affaire, à savoir, l’obliger à lui laisser le passage sur le chemin comme avant.

Le 25 juillet, le Marshal MILANDER délivre une convocation le 27 juillet à comparaitre à Mr SIMÉON, et celui-ci envoie sa réponse :
« Je soussigné, Jean Joseph SIMÉON, habitant résidant au quartier du Camaruche en cette île précitée, ai l’honneur de vous exposer qu’au mois de juin dernier, Monsieur Edouard GARRIN s’est adressé en réclamation auprès de moi pour obtenir un chemin sur mes propriétés pour se rendre sur son habitation où se trouvent ses plantations, chemin que Mr GARRIN a choisi à sa convenance. Mais, comme ce passage aurait beaucoup nui à mon habitation, et m’aurait occasionné des difficultés, je me suis refusé de le lui accorder. Je lui ai fait observer que le chemin qu’il exigeait de moi n’était pas celui qu’il devait prétendre d’obtenir, c’était un autre qui partait de son habitation près de son domicile au quartier de Lorient, et qui allait rencontrer mes propriétés. J’ai ajouté aussi que cela faisait vingt-trois ans que j’étais propriétaire du terrain sur lequel se trouve le chemin qu’il réclamait de moi, et que personne ne s’était présenté auprès de moi pour obtenir aucun passage, mais que cependant s’il voulait, je lui en donnerai un, près de ma maison pour se rendre à ses jardins, ce à quoi je n’étais pas obligé, que je le faisais seulement pour lui être agréable.
Mr GARRIN n’a pas voulu accepter la proposition que je lui faisais, conservant toujours la prétentieuse opinion que je lui devais le chemin qu’il demandait, et que ses caprices le portaient à exiger.
Le même jour où ce Mr GARRIN m’a demandé ce passage, je me suis résigné à consentir à lui accorder, en lui faisant la proposition qui levait toutes les exigences qu’il avait cherché à réclamer de moi, d’accepter sa demande, mais à condition qu’il donnerait à mon fils, Jean Pierre SIMÉON, un passage sur ses terres pour se rendre aux siennes qui avoisinent ses propriétés, ce à quoi Mr GARRIN n’a pas voulu de décider d’accepter. Aussitôt ce refus, j’ai déclaré à Mr GARRIN que puisqu’il ne voulait pas se soumettre à accueillir l’offre que je lui faisais, que je ne me rendrais non plus à ses sollicitations en lui accordant le droit de passer dans le chemin qu’il exigeait de moi, puis je suis allé trouver le Capitaine Etienne LÉDÉE pour l’informer de ce qui s’était passé entre moi et ledit sieur GARRIN. Mr LÉDÉE m’a conseillé de prendre deux représentants, Mr Gabriel BERRY et Jean Baptiste GRÉAUX, ce que j’ai fait, et aussi Mr Joseph LÉDÉE « Charles », ancien représentant du quartier de Grand Fond, que j’ai requis pour inspecter le site de mon habitation et aussi la position du chemin que Mr GARRIN me demandait sur mes propriétés. Pendant que ces messieurs s’occupaient de cette opération de vérification, le sieur GARRIN a eu la hardiesse de faire diriger un chemin à sa volonté et à sa convenance, sur mon habitation, sans même s’arrêter à se contenter de celui qu’il avait espéré d’obtenir de moi tout d’abord, et cela a été fait en présence des représentants.
Je ne puis comprendre comment Mr GARRIN puisse vouloir se prévaloir du droit d’un nouveau chemin, puisque la résidence qu’il occupe aujourd’hui a été toujours considérée pour être le chemin dû aux habitants voisins pour se rendre sur leurs propriétés et même, où se trouvent aussi, plus haut, les miennes sur lesquelles il faut également passer pour se trouver aux lieux où sont les jardins de Mr Gustave BENJAMIN, son gendre, que je veux bien lui donner et qu’il ne veut accepter.
En conséquence, je prie l’honorable cour de faire comparaitre le sieur GARRIN devant elle, à sa première séance, et le contraindre de conserver ce même chemin dont il jouit depuis très longtemps, et qui a toujours existé, et qui ne présente aucune impossibilité, ni difficulté de passage, et aussi de le condamner à payer tous les frais, dommages et intérêts résultants dans la poursuite de mes droits, comme aussi d’appeler les sieurs Jean Baptiste GRÉAUX, Gabriel BERRY et Joseph LÉDÉE « Charles ».


La Cour de Justice charge François Adolphe DÉRAVIN, Hippolyte DUCHATELLARD et les représentants cités plus haut, de décider sur la question.
Le 31 juillet 1866, ils rendent leur décision :
« Nous soussignés déclarons par ces présentes qu’en conformité de la décision de l’honorable Conseil de Justice de cette île dans sa séance du 27 courant, nous nous sommes réunis aujourd’hui sur les propriétés des sieurs Jean Joseph SIMÉON et Edouard GARRIN au quartier de L’orient pour procéder à une décision arbitrale relativement aux différends qui existaient entre eux par suite du refus d’un chemin fait par Mr SIMÉON sur ses propriétés à Mr GARRIN agissant pour Mr Gustave BENJAMIN qui voulait prétendre à un passage sur son habitation. Après connaissance prise des circonstances à ce sujet, et avoir entendu lesdits sieurs, nous nous sommes transportés au lieu où se trouvait ce chemin, et avons décidé unanimement, en notre âme et conscience,
- Que Mr GARRIN n’avait pas droit de prétendre au chemin qu’il réclamait du sieur SIMÉON, vu qu’il en avait déjà un sur ses propriétés, et qu’il conduisait à ses terres où Mr BENJAMIN désirait de se rendre et où il peut continuer à passer,
- Qu’un chemin pratiqué sur les terres du sieur SIMÉON près de son domicile au quartier de Camaruche a été proposé par nous, avec le consentement du sieur SIMÉON, au sieur GARRIN pour son gendre Mr Gustave BENJAMIN, pour se rendre à ses jardins situés sur les terres dudit Mr GARRIN.
- Que la jouissance de ce passage dans ce chemin sera obligatoire seulement vis-à-vis de Mr BENJAMIN par Mr SIMÉON pendant la vie durant de ce dernier, ce qui a été accepté par eux ».

Edouard GARRIN Je reviendrai sur ce personnage dans un article spécifique. Il en mérite bien un, pour, d’une part, avoir été le propagateur de ce patronyme dans notre île, mais aussi pour les énormes difficultés rencontrées pour comprendre qui il était vraiment.
Gustave BENJAMIN il est né vers 1838, fils de Thomas BENJAMIN et de Agathe « DUZANT ». Son père était esclave d’un BERNIER (non identifé) et sa mère, esclave de François Salomon TURBÉ. Gustave a épousé Catherine GARRIN le 17 février 1865. Ils sont cultivateurs à Lorient. Le couple aura au moins deux garçons, mais semble avoir quitté l’île après 1870.
Jean Joseph SIMÉON est né vers 1790, je ne connais pas ses parents. Il doit épouser Marie Eloïse ou Françoise MODESTE vers 1830. Ils sont sûrement des descendants d’esclaves. Ils auront trois enfants, dont Jean Pierre né vers 1830, qui épouse Anne Marie CHARLES « ALEXIS » le 21 janvier 1851, d’où descendance de nos jours sur notre île et à Saint-Thomas.
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