La vie de tous les jours au travers d’une affaire de vol de poules à Lorient en 1859.
Les textes sont intégralement recopiés tels quels. La justice Suèdoise est tout de même un peu particulière …
Le 9 janvier 1859 « Le soussigné, Alexis DÉRAVIN, a l’honneur de vous exposer que, vendredi 24 décembre dernier, étant paisiblement dans sa famille, il a entendu le sieur Louis LAPLACE injuriant et invectivant contre quelqu’un, et traitant les femmes de la famille de la personne contre laquelle il invectivait, d’une manière trop grossière.
Le soussigné, n’ayant aucune raison de supposer que c’était à lui que s’adressait la mauvaise humeur du sieur Louis LAPLACE, n’a pas cru devoir y faire aucune attention. Cependant, le soussigné, revenant de ses plantations lundi 26 décembre dernier, a été interpellé par le sieur Louis LAPLACE, qui, sortant de la boutique qu’il occupe, est venu sur la grand route, et lui a dit que lui était un voleur, qu’il lui avait volé des poules qu’il avait été mettre sur La Pointe à Benoit .
Le soussigné, surpris de cette attaque, a demandé au sieur Louis LAPLACE à qui il adressait ces injures, lequel sieur Louis LAPLACE lui a répondu que c’était à lui, Alexis DÉRAVIN, soussigné, et ajouté que lui, Louis LAPLACE, avait des doublons pour payer l’amende et qu’il voulait le casser en deux, lui, soussigné.
En conséquence, le soussigné vient pour réhabiliter son honneur, supplie l’honorable Cour de Justice de prendre en considération sa position déshonorée par l’allégation du dit sieur Louis LAPLACE, de l’appeler à la barre pour prouver son dire, ou réhabiliter, à défaut de cela, la réputation du soussigné, condamnant en outre aux frais et dépens du procès le dit sieur Louis LAPLACE.
Les témoins à citer, Jean SYLVAIN et Sédaille DUZANT,
C’EST JUSTICE »
Alexis DÉRAVIN ne sait pas écrire, deux témoins signent le document, Benjamin Vaucrosson GUYER et Frederick VANTRE.
Le 28 janvier 1859, la réponse de l’accusé arrive :
« Le soussigné Louis LAPLACE a l’honneur de répondre à la supplique de Monsieur Alexis DÉRAVIN.
Le 26 décembre dernier, vers 8 heures du soir, en entrant chez moi, j’ai trouvé deux de mes poulets volés. Je me suis trouvé dans une humeur terrible, et j’ai dit à haute et intelligible voix, que c’était un voleur qui a pris mes deux poulets, sans avoir accusé, ni sommer personne.
Le 27 décembre dernier vers 8 heures du matin, Monsieur Alexis DÉRAVIN est venu dans le grand chemin en me demandant ce que j’avais dit le soir chez-moi, si c’était à son égard. Je lui ait répondu que j’étais maitre de parler chez-moi, sans nommer personne.
Une heure après, Monsieur Alexis DÉRAVIN est repassé en allant chez lui. Moi, j’étais chez-moi quand il est passé, et toujours en mauvaise humeur. Il s’est arrêté dans le grand chemin, me demandant si c’était à lui que je parlais. Je « n’est » pas fait cas de lui, je « n’est » pas sorti de chez-moi.
Monsieur DÉRAVIN m’a répondu que si il croyait que c’était véritablement à lui que je parlais, qu’il m’aurait fait voir ce qu’il « été ».
Monsieur Alexis DÉRAVIN m’accuse de l’avoir « appelé » d’un voleur, et même, que je lui « est » dit que je l’aurais cassé en deux dans le grand chemin. Je « n’est » pas dépassé de ma cour « quante » Mr Alexis DÉRAVIN est venu en explications.
Vraiment, il me paraît que c’est un songe que Monsieur Alexis DÉRAVIN a fait à mon égard de ce qu’il m’impute.
Monsieur Alexis DÉRAVIN déclare qu’il peut attester « de » ce qu’il dit est vrai par des témoignage. Qu’il plaise l’honorable Cour de Justice de faire comparaitre les témoins de Mr Alexis DÉRAVIN pour les entendre.
Le soussigné Louis LAPLACE supplie l’honorable Cour de Justice de condamner le perdant à tous les frais et dommages ».
Louis LAPLACE ne sait pas écrire, les deux témoins qui signent son François DUZANT et Jean Baptiste BERRY.

Les témoins cités par Alexis DÉRAVIN, après avoir juré de dire la vérité, sont entendus à la barre.
François DUZANT, « né dans cette île, âgé d’environ 30 ans, laboureur de terre, quelque jour de la semaine après Noël , pas le dimanche, à 9 heures du matin environ, témoin est allé pour acheter quelque chose à la boutique du défendant, qui, le laissant seul dans la boutique, en est sorti tout d’un coup, et se mettant sous la tonnelle, a commencé à crier au voleur, au voleur de poules, mais sans nommer personne, et sans que le témoin en savait la cause, LAPLACE n’ayant pas parlé du vol commis, le demandant passant au même moment tout près dans le chemin public devant la porte de la cour. Le témoin ne sait pas si c’était adressé à lui (DÉRAVIN) ou non, n’a vu personne que DÉRAVIN passer ».
Jean SYLVAIN, « né en cette île, âgé de 17 ans, laboureur de terre. Le lundi après Noël, étant dans le chemin public près de la boutique du défendant, mais de l’autre côté, autour du coin, vers les 9 heures du matin, le témoin a entendu le défendant crier « Au Voleur ! » trois fois, mais sans nommer, ni désigner personne. Le témoin n’a vu personne dans le chemin ni près de lui. Personne n’était avec le témoin, mais quelqu’un (une vieille dame qu’on appelle l’Amaranthe) lui a dit après que François DUZANT était alors à la boutique de Louis LAPLACE. Il n’a rien entendu de plus ».
Les témoignages contredisant les déclaration d’Alexis DÉRAVIN, il est requis contre lui de payer le coût de la rédaction de la réponse de Louis LAPLACE, deux Dollars, et celui de la convocation, cinq Dollars et demi, soit un total de sept Dollars Espagnols et demi.
Les parties persistent dans leur affirmation, ne cherchant pas à se mettre d’accord. Le jugement est donc mis en délibéré.
La Cour, en fonction du chapitre 2, section 5 du règlement du 25 septembre 1811 et de l’ordonnance du 18 mars 1824, comme il manque un des conseillers, fait appel à Richard DINZEY, ancien conseiller et Chevalier de l’ordre Royal de Wasa.
A la majorité des voix, et contrairement aux réquisitions, la Cour décide de condamner Louis LAPLACE. Elle semble considérer qu’il aurait dû confier l’affaire à la justice dès le début et qu’en ne le faisant pas, il s’est lui-même mis en dehors de la loi en insultant DÉRAVIN.
Il est condamné à une amende d’un Dollar, payable pour moitié à DÉRAVIN et l’autre à la couronne, ou, à défaut, à quatre jours d’emprisonnement au pain et à l’eau, ou, à deux semaines de travaux forcés de troisième classe. De plus, il doit payer cinq Dollars pour rembourser les frais de DÉRAVIN.
LAPLACE indique que si on lui donne un peu de temps, il pourra payer.
Gustav EKERMAN, l’adjudicateur public, aussi membre de la Cour, n’est pas d’accord avec la décision, estimant que l’insulte envers DÉRAVIN n’est pas prouvée par l’exclamation « Au Voleur ! ».
Moralité de l’histoire, Louis LAPLACE y laisse ses plumes !
On imagine que les relations entre ses deux voisins ont été un peu tendues ensuite …
Qui est Qui ?
François DUZANT dit « Cédaille » est cultivateur à Grand-Fond. Il est descendant d’esclave. Son père est un Jean Pierre « DUZANT » et sa mère une Marie Rose ou Marguerite ou Marie Jeanne
DESNOUE » dite « Marie Rose ». Cédaille est sans doute marié avec une Anne Suzanne « GIRAUD » elle aussi sans doute descendante d’esclaves. Ils ont au moins cinq enfants mais à priori sans descendance, au moins sur notre île.
Je ne peux pas identifier Jean SYLVAIN.
Alexis DÉRAVIN, né à Lorient le 25 octobre 1818, fils de François et Marie Louise LÉDÉE. Il épouse Adeline ou Adélaïde BRIN le 17 avril 1844 et ils auront 8 enfants, mais pas de descendance connue.
Louis LAPLACE Je pense, sans certitude absolue, qu’il s’agit de Louis né à Camaruche le 5 janvier 1831, fils de Aulimbe ou Olympe LAPLACE et Marie Catherine Louise BERRY. Louis LAPLACE épouse Ursule dite Lucie BERRY le 29 avril 1858. Ils ont au moins une fille, Emilie qui nait en 1861 et épouse un Joseph BERRY en 1883 d’où descendance.
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