L’attaque de Saint-Martin par les Hollandais en 1676, l’état de l’île en 1682,

Les débuts de la colonisation des îles du nord sont très liés, et les populations des premiers temps, également. Nous allons donc ici, au travers de trois documents, évoquer une partie de l’histoire de l’île sœur.

Comme pour Saint-Barth, les documents concernant les temps anciens de la colonisation de Saint-Martin sont fort rares. Des bribes dans une rapport, des bribes dans une lettre, jamais beaucoup plus que quelques lignes.

La première liste nominative des habitants de Saint-Martin date de 1682, avant, rien en dehors du recensement général de 1671. Cette liste nominative de 1682 indique, pour chacun des habitants, s’il est marié, s’il a des enfants, des esclaves et des animaux. Le Rolle des habitants est rédigé par Monsieur de Maigne, Commandant de l’isle de Saint-Martin, selon les ordres du Comte de Blénac, alors Gouverneur Général des isles de l’Amérique. Ce document contient, pour ainsi dire, tout ce que l’on sait de l’île et de ses premiers habitants Européens.

Rolle de Saint-Martin de 1682 – 1ere page – ANOM

En préambule du Rolle proprement dit, il y a une description de l’état de l’île de Saint-Martin à cette date. De Maigne écrit : « elle est montagneuse, les montagnes séparées les unes des autres, entre lesquelles il y a de grands vallons qui avancent une lieue dans la terre, où les habitants y habitent, la terre étant propre pour les cannes à sucre, et il y a eu par ci-devant, dix à douze sucreries qui ont été détruites à cause des dernières guerres anglaises, attendu qu’on retira les habitants pour les transporter à Saint-Christophe, de sorte que l’on pourrait y en établir encore une plus grande quantité. La terre étant fort spacieuse, contenant dans sa longueur environ sept lieues et environ trois de large, elle est aussi propre à faire indigo, tabac, coton, roucou, et il y’a encore cinquante indigoteries ou environ, de plus, elle est particulièrement propre à nourrir une grande quantité de bestiaux, comme chevaux, bêtes à corne, moutons, chèvres et autres espèces. Il y a aussi du bois à défricher dans les montagnes, comme le bois jaune acoma et bois d’Inde et une grande quantité de gaillac. Il y a aussi un grand étang qui a environ deux lieues de circuit, la mer y entre, de sorte que les barques hivernent et s’y réfugient dans la saison des ouragans. Il y a aussi deux grandes salines ou il y a eu, les années passées, du sel pour charger cent navires. Dans la terre, il se trouve, dans tous les quartiers, des sources et puits pour abreuver les bestiaux mais non propre pour les habitants attendus qu’elles sont saumâtres, à la réserve de trois ou quatre sources et les bassins que l’on trouve dans les montagnes, et pour cet effet, les habitants se servent de citernes pour leurs commodités. Il y a deux églises principales et une chapelle qui sont servies par un prêtre séculier. De plus, il y a aux environs de la dite île, de très belles anses et bons mouillages pour toutes sortes de bâtiments, et elle a été ruinée par cette dernière guerre par la désertion des nègres qui se rendirent aux Hollandais ».

On compte 190 hommes portants armes, 110 femmes, 54 garçons, 98 filles, 47 nègres, 51 négresses, 36 négrillons, 70 chevaux de cavalier, 574 bœufs et vaches, 1464 moutons, 4 invalides, 147 armes.

C’est le Commandant de Maigne qui semble le mieux loti, avec 3 nègres, 2 négresses, 1 négrillons, 300 moutons, 50 bœufs et 2 chevaux. Il semble avoir également 3 domestiques. Deux autres habitants ont droit au qualificatif « Sieur » devant leur nom : le sieur Delanoë et le sieur Grandbois, ce dernier avec 5 fils, 2 nègres, 3 négresses, 1 négrillon, 5 chevaux, 10 bœufs et 60 moutons.

On y trouve également les noms d’habitants tels que François JACQUES, Jean AUBAIN, Charles d’AVOINE, Sautemouche, MORFY, CANNOT, SOULEVANT, PIMONT, Pierre TAURAU, Jean HEUDE, que nous croisons plus tard, à Saint-Barth, en Guadeloupe ou en Martinique. On note plusieurs noms sans doute d’origine Irlandaise, comme Murphy, Sullivan, Kerry, Finy, et Hiry.

Ce Rolle, c’est bien, très bien même, on en demanderait bien des autres, mais ça n’est qu’une liste. Des noms et des chiffres figés dans des colonnes. Une liste qui ne nous donne pas à voir, ou même, juste, à deviner Saint-Martin à cette époque. C’est une carte postale vide de personnages.

Au détour d’une archive, il y’a heureusement la relation d’une attaque subie par les habitants de Saint-Martin en 1676, et dans laquelle apparaissent les noms de deux habitants figurant sur le Rolle : Le Commandant de Maigne et le Sieur Grandbois.

Le 22 juin 1676, Saint-Martin est attaquée par une force Hollandaise sous les ordres de l’amiral Jacob Binckes. Cette flotte avait déjà conquis Cayenne dans le courant du mois d’avril, puis Marie Galante, le 22 du mois de mai de la même année.

L’attaque se situant à peine six années avant le Rolle de 1682, on peut penser que d’autres habitants dont on a les noms, ont pu participer à ce combat. Et tout d’un coup, la liste se met à bouger un peu, la carte postale à s’animer, le passé à revivre.

La lettre qui relate l’événement, est envoyée par Monsieur de Maigne, commandant de l’île de Saint-Martin, au Chevalier de Saint-Laurent (Claude de Roux de Saint-Laurent) alors gouverneur de l’île de Saint-Christophe, poste qu’il occupa de 1666 à 1689. Le courrier est reçu à Saint-Christophe le 7 juillet 1676.

Il semble que l’attaque ait eu lieu par la plage de la Baie Orientale, ou, peut-être, la baie des Flamands, en tous cas, le long d’une plage accédant à la saline de la baie d’Orient et à l’étang aux poissons. Les Hollandais disposent d’une flotte d’une dizaine de navires et d’environ 1200 hommes. Nos habitants Saint-Martinois, totalisant moins de 200 hommes armés, n’ont que quelques agriculteurs mal équipés pour s’opposer à l’envahisseur Batave !

Vue de la zone touchée par l’attaque Hollandaise avec peut-être au premier plan la zone de refuge. A droite, le Quartier d’Orléans, et sur la gauche, les salines.

« Relation de la descente des Hollandais en l’isle de Saint-Martin du 3 juillet 1676.

J’ai reçu votre lettre du premier de ce mois. Je vous suis infiniment obligé de la part que vous prenez à ma bonne et mauvaise fortune. Je vous dirai aussi que l’estime que vous avez pour moi m’est plus sensible que la perte que j’ai faite, quoi qu’elle soit grande pour moi, pourvu que j’y conserve mon honneur et votre bienveillance. Je suis content, espérant que mes amis auront soin de moi après cela. Vous voulez que je vous fasse savoir un peu de moi, comme la chose s’est passée à la descente des Hollandais en cette isle.

Leur flotte y vint mouiller l’ancre le matin du vingt-deuxième du mois passé. J’étais allé au quartier du grand étang. Un moment après y être arrivé, j’entendis le canon, et le cavalier qui faisait la ronde tous les jours de l’isle, vint à toute bride, et fort effrayé, criant « Mr de Maigne, voilà les Flamands ! Ils sont douze cents hommes ! Ils ont pris Cayenne et Marie Galante à ce que m’a dit Isaac le maître de barque de Saint-Christophe. Il serait venu vous parler, mais il n’a pas marché ».

J’ordonnais à ce cavalier d’aller avertir au plus tôt les gens des quartiers voisins, afin que les femmes et les nègres se jetassent dans le bois, et que les habitants vinssent le plus diligemment possible qu’ils le pourraient, me rejoindre, et je partis incontinent pour venir vers les salines, où je vis dix vaisseaux mouillés. Étant descendu au retranchement que j’avais fait faire il y a quatre ou cinq jours, je trouvais quinze habitants. Ledit retranchement consistait en une muraille de pierres sèches où il y avait une pièce de canon que j’avais. Une demi-heure après, il arriva vingt-cinq hommes du quartier d’Orléans.

Les ennemis, ayant fait passer quatre chaloupes dans la saline, il y’en eut une qui vint avec une trompette pour nous sommer. Je leur fis signe du chapeau de se retirer, mais comme elle continuait d’avancer, je fis tirer à côté d’eux, ce qui les obligea à se retirer. Quelques temps après, nous aperçûmes des files de troupes entre les deux salines. Quand elles furent au milieu de la digue, où il faut se mouiller les pieds durant sept ou huit pas, ils firent halte, et les quatre chaloupes vinrent nous effleurer à portée de fusil, et, quoique je n’eusse alors qu’environ quarante hommes, nous fîmes bonne contenance.

Après avoir demeuré toute la journée à nous considérer, les ennemis se retirèrent au bord de la mer. Je détachais alors le sieur Grambois, avec dix habitants, pour escarmoucher sur la digue, et lorsqu’ils furent partis, j’envoyais chercher le reste de nos habitants après avoir installé un corps de garde sur la digue, et l’autre, le long de la saline, par où ils pourraient venir m’attaquer. J’y passais une partie de la nuit, et une heure avant le jour, les habitants des autres quartiers arrivèrent. Je fis retirer mes gens du côté du retranchement en attendant le jour, et je plaçais un sergent et douze soldats sur un petit morne pour tirer sur les chaloupes qui pourraient venir nous battre par le flanc, et j’envoyais quatorze mousquetaires à cinq cents pas sur ma droite, par où les ennemis pourraient venir à nous.

Je plaçais les vieillards au nombre de trente au long du chemin que j’avais fait dans le bois pour découvrir si les ennemis me couperaient par cet endroit, et le reste, au nombre de cinquante-trois, étaient avec moi derrière le retranchement. Voilà l’ordre que j’ai tenu.

Au point du jour, les ennemis marchèrent droit à nous, ayant des canons, et les chaloupes s’avancèrent avec quatre petites pièces et des pierriers qu’ils avaient mis dessus. Nous ayant attaqué, nous les reçûmes autant bien qu’il se pouvait faire pour le peu de monde que j’avais, en sorte que nous les repoussâmes vigoureusement. Cependant, la barque sur laquelle il y avait le canon vint mouiller à portée de nos fusils, et comme elle nous voyait à revers, les deux premiers coups qu’elle tira, portèrent sur nous. Mais le sergent avec les gens que j’avais placés sur ce petit morne exprès, fit si grand feu sur eux, qu’il obligea la barque à aller mouiller plus haut de nous, où le bord de la saline, se trouvant relevé, les boulets passaient par-dessus nous.

En cet état, j’ai eu assez de bonheur de soutenir leurs attaques l’espace de trois heures, et les ai repoussés toutes les fois qu’ils ont voulu m’attaquer avec les huit cents hommes qu’ils ont mis à terre, y compris les matelots. Ne pouvant me forcer par-là, ils suivirent l’avis que leur donna un Anglais qui était avec eux, et faisant filer leurs troupes sur leur gauche, ils traversèrent un petit bois pour venir me prendre par derrière. Voyant cela, je fis passer devant moi une partie de mes gens, et me retirais sur un morne au-dessus de ma place où les ennemis vinrent m’attaquer. Je les repoussais une seconde fois. Les habitants commencèrent à m’abandonner, en sorte que la dernière fois qu’ils vinrent m’attaquer, je n’avais plus qu’environ trente hommes avec lesquels je me retirais à un lieu appelé le Mahau d’où l’on découvre tout le quartier, et où je suis resté tant que les ennemis ont été dans l’isle, avec ce nombre-là qui ne m’ont point abandonné.

Au rapport d’un prisonnier que j’avais fait et que j’ai échangé pour un des nôtres, ils ont eu deux cents de leurs gens, tant morts que blessés, et par le nombre des fosses et des cadavres qui se sont trouvés sur le bord de la mer, il leur est mort environ cent cinquante hommes, et moi, j’ai perdu cinq habitants et quatre blessés. Ils ont brûlé l’église et les cases du côté où ils ont attaqué, où les habitants ont perdu leurs nègres et leurs bestiaux et tout ce qu’ils avaient. Comme mon habitation était en cet endroit, j’ai perdu vingt-et-un nègres, et il ne m’en reste qu’un, mes chevaux, mes bœufs, trois cents brebis, de l’indigo que je gardais espérant que le prix monterait, et enfin, tout ce que j’avais amassé depuis que j’étais ici ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que de Maigne et ses habitants ont fait bonne figure, et c’est ce qui en ressort dans les quelques documents officiels . Leur connaissance du terrain et leur réaction rapide, leur ont permis de tenir tête aux Hollandais avec brio !

On note la présence d’une sentinelle à cheval, qui patrouille tous les jours, tout autour de l’île, de retranchements sommaires, dont au moins un équipé d’un canon. On voit l’arrivée très rapide d’habitants du quartier d’Orleans, venus participer à la défense de leur île. On observer ici, mais dans d’autres attaques ultérieures également, que la population non armée ne peut se mettre à l’abris qu’en « prenant les mornes », se cachant dans les bois serrés, en attendant que ça passe. De Maigne semble avoir été à la hauteur de son rôle de Commandant de l’île. Il n’hésite pas non plus à abandonner le terrain pour protéger sa petite escouade, en se réfugiant au Mahau (est-ce à rapprocher de la ravine Moho qui descend du Pic Paradis vers le village de Quartier d’Orléans ?).

On comprend que ce sont les habitants de ce quartier qui ont été les plus été touchés par cette attaque. De Maigne semble avoir lui-même tout perdu, mais, si on compare avec les détails du Rolle de 1682, six ans plus tard, il s’en est plutôt bien remis. Sans doute a-t-il pu récupérer tout ou partie de ses animaux éparpillés dans les bois dans les jours qui suivirent, car il possède à nouveau 300 brebis, et aussi, 50 bœufs et 2 chevaux. Il n’a toutefois pas pu racheter autant d’esclaves qu’avant l’attaque, passant de 21, à 6 seulement.

Ce sont ces incessantes attaques, surtout Anglaises, qui ont raison de nos habitants. N’oublions pas qu’ils sont évacués régulièrement sur Saint-Christophe, comme en 1689, et qu’à leur retour sur leurs terres, quand ils le peuvent, il ne reste bien souvent plus rien. C’est ainsi que, particulièrement pendant la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), les Anglais coupèrent l’essentiel des pieds de gayacs qui étaient une des rares richesses naturelles des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Un genre de guerre totale dirait-on de nos jours.

On voit qu’en 1682, Saint-Martin pratique toujours la culture de l’indigo, du roucou et du tabac, premières cultures pratiquées à l’arrivée des colons dans les îles. De Maigne indique qu’il y a eu aussi des plantations de canne à sucre, mais il semble qu’il n’y en a plus à cette époque. En effet, cette dernière culture demandant un capital important (pour l’achat d’esclaves et d’équipements) et l’île ayant été ravagée par les attaques, on n’en a sans doute pas replanté. Cependant, comme recommandé par les autorités françaises, l’élevage semble assez important, et on imagine, qu’avec la production de vivres et de sel, c’est l’exportation des surplus vers l’île de Saint-Christophe, qui fait vivre Saint-Martin.

Le 27 juillet 1676, Jean Charles de Baas-Castelmore, Gouverneur Lieutenant Général de toutes les Antilles écrit dans une lettre : « En vous disant qu’après que les ennemis eurent pris et pillé l’isle de Marie Galante, ils s’en allèrent à Nevis, isle Anglaise, où ils furent reçus et où ils se déchargèrent d’une partie du butin qui les embarrassait, après y avoir séjourné quelques temps. Ils en sont partis sans que nous ayons pu découvrir la route qu’ils ont tenu, excepté que les Anglais en ont dit qu’ils avaient débouqué à Saint-Christophe pour aller prendre les isles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ». Puis, il indique, « Un pauvre habitant de Saint-Christophe a perdu sa barque qui fut prise par les ennemis en allant sonner aux habitants de Saint-Martin qu’on allait les attaquer, je demande qu’on la lui paye, je crois que cela est juste ». Bien entendu, ici on parle du maître de barque, Isaac, qui avait prévenu la sentinelle à cheval de l’arrivée des Hollandais. Un peu plus loin, de Baas continue « En finissant cette lettre, j’en ai reçu une de Mr le Chevalier de Saint-Laurent, qui me mande que les ennemis, en sortant de la rade de Nevis, sont allés à l’isle de Saint-Martin, où ils ont fait descente et ont forcé les habitants qui se sont bien défendus avec le Sieur de Maigne leur commandant, ayant tué ou blessé plus de cent des ennemis, et après, se sont retirés dans le bois, où ils ont conservé quelque peu de leurs biens, néanmoins, ils ont perdu leurs cases que les ennemis ont brulées, plus de cinquante nègres qui se sont rendus de leur bon gré, et plusieurs bestiaux que les ennemis ont tué ou embarqué. Ils ont dit qu’ils s’en allaient à Sainte-Croix ».

Le 12 septembre 1676, de Baas : « les ennemis sont forts en ce pays, ils ont pris les îles de Marie Galante et de Saint-Martin, et après les avoir pillées, les ont abandonnées pour se poster à Tabac (île de Tobago) … /… ils ont dix vaisseaux de guerre ». On imagine bien que Saint-Martin, en tous cas, le quartier d’Orléans, a été durement touchée par cette attaque, et que les habitants ont dû batailler pour survivre.

Je n’ai malheureusement rien trouvé d’autre pour conclure sur cette attaque de 1676. Pas de compte rendu précis des dommages subis, pas non plus de détails quant à la pénétration des troupes Hollandaises dans la partie Française, ni non plus d’information concernant la participation ou non des voisins de Sint-Maarten.



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