Un article un peu fourre-tout pour parler de certaines des anciennes habitations de Saint-Jean ayant eu un rapport avec une des branches de la famille BERNIER, en particulier Pierre BERNIER et Elisabeth BORNICHE, la mère de ses enfants.
Certains des actes peuvent paraître parfois se contredire. Un document nous dit qu’untel est propriétaire à une date, mais le suivant en montre un autre …
N’ayant que quelques actes notariés de l’époque française, avant 1785, il se peut qu’il y ait eu des contrats d’association ou de location pour ces habitations. Cela expliquerait sans doute ces différences.
Grace au « Examen des terres à Saint-Barthélemy le 16 mars 1787 », nous avons une vue assez claire des habitations dans la campagne de notre île. Ce document, sans doute produit par Samuel FAHLBERG, nous donne, quartier par quartier, le détail des habitations et des propriétaires. On y connaît le nombre d’habitants, le nombre d’esclaves, de bâtiments, les troupeaux, la nature des sols, le type et la qualité des récoltes.
Pour le quartier de Saint-Jean, quatorze habitations sont recensées, mais celles qui nous intéressent ici sont :
Nom de l’habitation | Numéro sur la carte de 1787 | Propriétaire en 1787 | Superficie en carrés |
Le Logis | 1 | Jean BERNIER | 24 |
Vendome | 2 | Pierre BERNIER | 12 |
Friendly Hall | 3 | Abel BLYDEN | 4 |
Renaud | 4 | Pierre BERNIER | 40 |
Lacroix | 5 | Pierre BERNIER | 8 |
Pour localiser avec précision ces habitations, il existe une magnifique carte datant de 1787. Les numéros qui figurent sur cette carte correspondent avec ceux du « Examen des terres à Saint-Barthélemy le 16 mars 1787 » puisque cette carte a été faite pour accompagner le relevé.
Notons tout de suite que sur la carte, on s’aperçoit que le Quartier de Saint-Jean est bordé au nord par le Quartier du Roi, qui correspond à ce que nous appelons aujourd’hui le Quartier de l’Anse des Cailles. A cette époque, la partie ouest du Quartier de Saint-Jean est également connue sous Quartier du Roi. Les habitations ci-dessus sont donc dites sises au Quartier du Roi, même si elles sont dans ce que nous appelons aujourd’hui Saint-Jean.


Nous utiliserons également une carte de 1801, plus lisible, mais les parcelles et leur numérotation diffèrent.

L’article couvre une période allant de 1773 à 1803 pour l’essentiel.
LES PERSONNAGES
Les BERNIER
François BERNIER est le fils de Pierre BERNIER fils, et d’Eugénie BRIN. Il est né vers 1715, et décédé le 21 janvier 1773. En 1734 (l’acte ne mentionne pas la date) il avait épousé Magdelaine QUESTEL, née vers 1714, fille de Jacques QUESTEL et de Elisabeth HODE.
Dans cet article, c’est de Magdelaine QUESTEL qu’il est question, sous l’appellation « veuve BERNIER ».
Le couple a sept enfants survivants comme suit :
1 Marie Françoise, née en 1739, épouse du notaire royal à Sainte-Lucie, Joseph CLAUZEL.
2 Elisabeth BERNIER, née en 1741, épouse du sieur Thomas MICHINOT, habitants de Saint-Domingue (ils résident au Fond Melon à Jacmel).
3 Jean François BERNIER né en 1743, marié à Brigitte GRÉAUX. Il habite l’îlet à Carret à Sainte-Lucie.
4 (Jean) Pierre BERNIER qui a des enfants avec Elisabeth BORNICHE,
5 Nicolas BERNIER, né vers 1750 à Barrouallie sur l’île de Saint-Vincent, marié à Catherine BRIN.
6 Jean BERNIER, né vers 1750 à Barrouallie, époux de Marie Marthe LÉDÉE.
7 Joseph BERNIER, né vers 1750 à Barrouallie, époux de Marie Marthe BRIN.
Pierre BERNIER et Elisabeth BORNICHE forment un couple très particulier. Ils ne sont pas mariés et ne vivent pas ensemble. Cependant, ils ont eu huit enfants. Elisabeth BORNICHE est la fille de Jean Baptiste BORNICHE et de Catherine Françoise VITTET (ou TESS). Ses parents étaient revenus de Pointe Noire et Saint-Eustache dans le courant de l’année 1767 et s’étaient vu attribuer une concession à Saint-Jean par Descoudrelles.
Les enfants du « couple » portent le patronyme BERNIER, mais semblent vivre avec leur mère.
- Jean Pierre BERNIER, né en 1774, il épouse Adélaïde Éléonore PERROT (voir plus bas) en 1802. Le couple quitte l’île en 1806 pour s’installer à Puerto Rico, d’où descendance au moins par leur fille Elisabeth qui épouse un Sylvestre RENAUS, un Français de Châteauroux, à Guayama en 1822.
- Elisabeth Louise Justine BERNIER, née vers 1780, qui épouse Jean Baptiste LAMONTAGNE en 1796 en 1ères noces, puis un Pierre LÉDÉE. Elisabeth aura plusieurs enfants de son premier lit, mais sans descendance connue.
- André BERNIER né vers 1780 qui épouse Anne Rose PIMONT en 1799. Ils émigrent à Puerto Rico en 1807.
- Marie Delphine née vers 1780 et qui épouse Antoine GIRAUD fils en 1803, pas de descendance connue.
- Damas BERNIER né vers 1782 qui épouse Émilie BERNIER en 1803, descendance de nos jours.
- Maurice BERNIER, né en 1783, émigré à Puerto Rico en 1804.
- Gustave BERNIER, né vers 1784.
- François BERNIER, né vers 1785, qui épouse Thérèse BRETON à Sainte-Rose, mais qui a des enfants avec Félicianne son esclave, d’où descendance.
Vous allez voir que l’article tourne autour de ce drôle de couple, avec une Elisabeth BORNICHE qui semble n’avoir jamais assez pour ses enfants, et qui semble penser, préparer et organiser son départ pour Saint-Domingue avec ses enfants depuis des années.
Antoine NESTOLAT Il est arrivé sur l’île dès 1784 au moins. Il a deux enfants, Antoine Pelegrin et Françoise Rose. Il est commerçant, mais je n’ai rien sur lui.
Pierre PERROT, comme il signe, ou Pierre ou Pieter PEROT comme on le trouve souvent désigné, fait partie des tout premiers habitants à s’installer à Saint-Barthélemy à l’arrivée des Suédois au début de 1785. Il est dit natif de Périgueux en Dordogne, mais semble arriver avec femme et enfants de l’île de Saint-Eustache. Il semble riche et, dès son arrivée, il achète beaucoup de terrains à Gustavia. A tel point qu’un des quartiers de Gustavia, celui où se trouvent l’ancien tribunal, le crédit agricole et le Brigantin, porte son nom.
En dehors de ses nombreuses opérations immobilières, je n’ai pas grand-chose sur lui.
Pierre PERROT a un premier fils avec une Marie GOURDON : c’est George PERROT, sans doute né avant 1770. Il est commandant du port et il est marié avec une Martha CRAWFORD qui semble originaire de Saint-Eustache.
Pierre PERROT se serait marié ensuite à une Éléonore JOHNSON qui serait native de Saba. Ils ont de nombreux enfants nés à Saint-Eustache et à Saint-Barthélemy. Nous noterons en particulier Adélaïde Elisabeth PERROT qui épouse Jean Pierre BERNIER au civil le 14 juillet 1801, et à l’église le 14 août 1802. Jean Pierre est le fils naturel de Jean Pierre BERNIER et Elisabeth BORNICHE, propriétaires de plusieurs habitations à Saint-Jean.
LES ACTES
Enregistrement d’un acte de vente datant du 29 décembre 1773 par lequel « la veuve BERNIER habitante en cette île et y tenant atelier, de son plein gré et volonté, vend, cède, quitte, délaisse et transporte à Monsieur Nicolas BERNIER, son fils, une portion de terre directement attachée à son habitation nommée RENAUD, laquelle est bornée au sud par Joseph LAPLACE en descendant par la ravine de RENAUD, par un banc de roches qui va joindre à un gayac, qui conduit à un petit rocher, et de ce petit rocher, qui conduit à un petit créteau qui borne … lequel monte sur la savane à carénage et qui va en droite ligne sur l’habitation de Mr Alexis BERNIER, qui joint à la citerne en chassant sur un banc de roches qui borne Joseph LAPLACE. Ladite portion de terre contient dix carrés de terre environ ».
Cette portion de terre, ôtée de l’habitation RENAUD, va devenir l’habitation MONTE AU CIEL. Comme je le disais dans le préambule, cet acte pourtant daté de 1773 ne laisse pas apparaître une telle habitation sur la carte de 1787.

Le 3 décembre 1783 Pierre BERNIER échange son habitation MONTJEAN située à l’anse de Marigot avec son frère Joseph BERNIER contre deux habitations : la première, VENDOME, la deuxième, RENAUD, situées à l’anse de Saint-Jean et au Quartier du Roy, avec les maisons, citernes et les nègres.

Le 16 décembre 1783, Pierre BERNIER transfère les habitations VENDOME et RENAUD à Elisabeth BORNICHE.

Le 28 décembre 1783, le notaire royal aux îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Jean Baptiste GRIZELE, « soussigné et résident en l’île de Saint-Martin, s’est exprès transporté au lieu de la demeure de la réquisition des parties en la maison et sur l’habitation où est décédée ladite dame veuve BERNIER, le 1er août 1783 ».
L’inventaire indique que le couple possédait les habitations :
« LE LOGIS » sise au Quartier du ROI dans l’anse de Saint-Jean, avec les bâtiments, citernes, parc à moutons et cases à nègres, le tout en très mauvais état ;
« RENAUD » sise au Quartier du ROI dans l’anse de Saint-Jean, sans maison ni cases ;
« VENDOME » sise au Quartier du ROI dans l’anse de Saint-Jean, avec une mauvaise citerne et une petite maison presque démantibulée et sans aucune plantation ;
« GRAND CUL DE SAC » avec une maison en bois de charpente en mauvais état, une vieille maison en partie démantibulée, cinq cases à nègres.
Le partage donne à l’habitation « LE LOGIS » à Jean BERNIER, « LE GRAND CUL DE SAC » à Nicolas BERNIER, et les habitations « VENDOME » et « RENAUD » vont, quant à elles, à Joseph BERNIER. Les autres récupèrent principalement des esclaves. On notera que Pierre n’a pas de terre.
Là encore, cela ne colle pas au document de 1787 ni non plus aux actes précédents pourtant rédigés moins d’un mois avant celui-ci. En effet, depuis le 16 décembre 1783, c’est Elisabeth BORNICHE qui est la propriétaire des habitations VENDOME et RENAUD. On remarquera qu’en 1783, les habitations sont apparemment en très mauvais état.
Enregistrement d’un acte de vente datant du 22 avril 1784 par lequel Pierre BERNIER et son frère Nicolas BERNIER, « d’un commun accord et d’unanime consentement », ont fait un échange ensemble.
« Le sieur Pierre BERNIER cède à son frère Nicolas BERNIER, un magasin situé au petit-ilet de cette île, palissadé en planches et couvert en essentes, avec toutes les circonstances et dépendances, le dit emplacement ayant ses bornes comme il suit, et qui commence en descendant du chemin à François GRÉAUX par une pointe d’un grand ban de roches qui court en droite ligne au bord de la mer, lequel emplacement est aussi borné par le sieur Alexis BRIN et lequel ban de roches suit jusqu’au chemin qui conduit à la grande anse nommée Quartier du Roi ».
Le sieur Nicolas BERNIER donne en retour de cet échange son habitation nommée MONTE AU CIEL sise au Quartier du Roi suivant les bornes et limites comme il est porté sur les titres de propriété.
En 1790, à la succession de Joseph BERNIER, fils de François et Magdelaine, il est dit qu’il possède une habitation au quartier du Roi contenant environ 20 carrés, avec la maison et cases à nègres. Il possède également un terrain de quatre carrés au Petit Cul de Sac, et une habitation de dix carrés appelées DEVET. Il est également propriétaire de 34 esclaves dont 12 nés en Afrique.
Si cela correspond au partage de la succession vu plus haut, d’après le document de 1787, c’est Jean BERNIER qui est propriétaire de cette habitation (Le LOGIS).

Le 22 mai 1790, Pierre BERNIER, Conseiller de l’île, vend à Antoine NESTOLAT Cadet une habitation nommée RENAUD, sise à la grande anse, contenant environ trente carrés de terre et bornée à l’est par le sieur MUTREL, au sud-est par la dame BORNICHE, au sud, par le sieur Antoine GIRAUD, et au nord par Joseph LA PLACE et les enfants de la dame BORNICHE, avec une douzaine de bêtes à corne et 30 esclaves dont 7 «de la côte » et plusieurs enfants de moins de dix ans.
Impossible de savoir comment il peut vendre cette habitation à NESTOLAT alors qu’il l’a déjà donnée à Elisabeth BORNICHE en 1783 …
Le 25 mai 1790, Antoine NESTOLAT revend l’habitation RENAUD et tout ce qu’elle contient telle qu’il venait de l’acheter, aux enfants et héritiers de la dame Elisabeth BORNICHE, à savoir : Jean Pierre, François, Joseph, André, Damas, Maurice, Gustave, Elisabeth Justine et Delphine.
Le 1er octobre 1800, « Pierre BERNIER remet à Elisabeth BORNICHE, pour le compte de ses enfants majeurs et mineurs les terres qu’il a jusqu’à présent gérées, administrées et soignées et avec les revenus des dits biens, il a pourvu à leur entretien et éducation, et à toutes les charges domestique de la mère et des enfants. Le sieur Pierre BERNIER ne voulant plus se charger de ce trouble, et les enfants de la demoiselle Elisabeth BORNICHE étant assez industrieux et raisonnables pour se mettre à la tête de leurs biens, le sieur Pierre BERNIER a proposé à la demoiselle BORNICHE de lui faire la remise des dits biens, ce qu’elle a accepté ».
- Premièrement, l’habitation VENDOME située sur cette île, dont la propriété est bien acquise aux enfants de ladite demoiselle BORNICHE par contrat devant Maître GRIZELLE, notaire, en date du 10 décembre 1783, avec les appartenances et dépendances ;
- Secondement, l’habitation dite LACROIX qui lui a été vendue par le sieur Charles BERNIER par écrit, sous signature privée, en date du 27 janvier 1786, la demoiselle BORNICHE ayant déclaré qu’elle en faisait l’acquisition pour et des deniers de ses enfants ;
- Troisièmement, l’habitation dite RENAUD, située en cette île, avec, appartenant et dépendants de ladite habitation, douze bêtes à corne et trente esclaves, le tout ayant fait partie de la vente de l’habitation RENAUD par le sieur Pierre BERNIER au sieur Antoine NESTOLAT Cadet par contrat devant Norderling, juge et notaire, en date du 22 mai 1790, puis rétrocédée trois jours plus tard à la demoiselle BORNICHE. Mlle BORNICHE avait alors payé le prix de la vente en entier pour le compte de ses enfants.
Reconnaissante des bons procédés du sieur Pierre BERNIER et du soin qu’il a porté aux biens de ses enfants, lui laisse en jouissance sa vie durant, six carrés de terre de l’habitation RENAUD, la terre retournant aux enfants après qu’il sera mort.
De même, la demoiselle BORNICHE laisse au dit sieur Pierre BERNIER l’usage du parc et de la savane, pour y loger et faire paître son troupeau et ses bêtes à corne.
A ce présent, Jean Pierre BERNIER et Jean Baptiste LAMONTAGNE, comme époux de Justine BERNIER, qui approuvent le contrat pour eux-mêmes comme pour les autres enfants, et confirment et ratifient tout ce qui a été stipulé.
Le 12 février 1801, Jean Pierre BERNIER vend à Monsieur Jean Baptiste LAMONTAGNE une maison sise sur l’habitation LACROIX. La maison est construite en bois et couverte d’essentes, ayant vingt-cinq pieds de long sur douze pieds de large, divisée en deux chambres, avec un magasin attenant de la longueur de onze pieds. C’est le vendeur qui a fait construire la maison de ses deniers, et la déclare quitte de toutes dettes et hypothèques.

Le 9 juin 1802, à la demande de Pierre BERNIER, propriétaire de l’habitation MONTE AU CIEL, Samuel FAHLBERG, docteur en médecine et directeur de génie, s’est rendu à ladite habitation, accompagné de messieurs Jean Baptiste QUESTEL de Saint-Jean, Joseph QUESTEL du Public et Jean Baptiste GRÉAUX du quartier de Lorient, appelés comme arbitres et connaissant les bornes de la dite habitation, présent aussi, Monsieur Nicolas BERNIER, fils de Nicolas BERNIER du Grand Cul de Sac, ancien propriétaire de cette habitation aux fins de reconnaître et constater les bornes d’icelle, comparé à la vente faite à Mr Nicolas BERNIER en 1773 et à Pierre BERNIER en 1784.
L’habitation MONTE AU CIEL « est bornée au sud par Joseph LA PLACE et Alexis BERNIER, prenant d’une voûte où concourent les bornes de Joseph LA PLACE et Alexis BERNIER avec celles de RENAUD et de MONTE AU CIEL courant en ligne droite du sud au nord et à terminer sur une bande de roches qui se trouvent entre deux ravines en descendant à RENAUD et à prendre encore de la dite voûte et continuer de l’ouest sept degrés de sud jusqu’à une roche servant de borne entre Alexis BERNIER et George Af TROLLE, à l’est descendant de la voûte ci-dessus nommée par une bande de roches entre deux ravines se terminant au bout de la bande de roches sur une colline dans le fond de l’habitation RENAUD par Elisabeth BORNICHE et ses enfants, sur laquelle colline, une borne de roche a été aujourd’hui plantée et reconnue, au nord, à prendre de la dite colline, montant en ligne droite à un petit créteau continuant jusqu’à la pointe de l’est de l’habitation LA CROIX, autrefois EDNEY par Elisabeth BORNICHE et ses enfants, au nord-ouest de ladite pointe, à suivre le créteau jusqu’à la pointe du sud de la dite habitation LA CROIX par les mêmes, et à l’ouest, par la veuve DILLY et George AF TROLLE, continuant de la pointe dernièrement nommée de LA CROIX à suivre le créteau qui sépare le quartier de Saint-Jean du Carénage, lesquelles bornes et directions ainsi spécifiées, ils déclarent être vraies conformément à la vente de 1773 et à la connaissance qu’ils en ont eu depuis longtemps ».
Pierre BERNIER demande ensuite qu’on lui attribue les six carrés qu’on lui a donnés en usufruit.
Le 22 octobre 1802 la Cour examine la pétition présentée par Elisabeth BORNICHE, afin d’obtenir l’autorisation de vendre les biens-fonds en cette île appartenant à ses six enfants, vu l’apparence qu’elle possède de pouvoir faire un sort à ses dits enfants dans (à la) Samana ci-devant partie Espagnole de l’île de Saint-Domingue où elle a déjà fait l’acquisition de terres plus que suffisantes pour venir placer les biens fonds dont elle souhaite disposer ici, les enfants majeurs, Jean Pierre BERNIER, François BERNIER, André BERNIER et la veuve LAMONTAGNE ayant consenti à la dite vente par leur signature à la dite pétition.
La Cour trouva juste d’octroyer à la suppliante et à ses enfants majeurs la permission de vendre à l’encan public dans la voie légale les dits biens fonds moyennant dépôt à être fait au conseil du montant des quoteparts revenants aux enfants mineurs, à savoir Damas BERNIER, Maurice BERNIER, Gustave BERNIER et Delphine BERNIER, ou caution valable approuvée par le Conseil jusqu’à ce que la dite demoiselle Elisabeth BORNICHE aura été déchargée par un acte de sécurité aux mêmes effets fourni des lieux où elle va fixer son domicile.
Le 6 décembre 1802 l’habitation LACROIX est mise aux enchères, mais la première journée ne donne rien. Ni la deuxième le 18 novembre. La troisième journée, le 20 novembre voit venir plus de monde. L’habitation consiste en 10 carrés de terre ou environ, bornée au nord par les créteau qui séparent Le Public d’avec ladite habitation et les terres du sieur Joseph QUESTEL où il y a une lisière de séparation, au sud et à l’ouest par les créteau du carénage, et à l’est par les terres de l’habitation RENAUD. Sur l’habitation il y a une maison en charpente de vingt-quatre pieds de long sur douze de large divisée en une chambre et une salle. Il y a un appentis de douze pieds carrés joint à la maison, une cuisine ayant potager avec un four attenant, une maison en charpente de deux chambres pour nègres. Il y a trois vaches avec leur petit. C’est un François BERNIER, pour, et au nom de William COCK, qui remporte l’enchère pour 150 Portugaises

Le 10 décembre 1802 Elisabeth BORNICHE demande l’autorisation à la Cour de toucher le net produit de l’habitation LA CROIX, ses dépendances et bestiaux, soit 1174 piastres gourdes aux fins qu’elle soit en état de remplir l’engagement des terres qu’elle a acquises à (la) Samana au compte de ses dits enfants, les enfants majeurs ayant consenti à ladite requête par leur signature.
La Cour accorde ladite demande, déduction faite de la somme de 580 piastres gourdes qui est due à la succession de Jean Baptiste LAMONTAGNE et aux conditions que la demoiselle BORNICHE et ses enfants majeurs, « l’un pour tous, et tous pour un », hypothèquent et affectent leur intérêt dans l’habitation nommée RENAUD pour servir de sécurité aux enfants mineurs de la somme qui leur revient du net produit de l’habitation LACROIX.
On note comment le tribunal ne veut pas lier le sort des enfants mineurs à celui de leur mère et de leurs frères et sœurs majeurs. Il veut leur laisser une chance « au cas où ».
Le 28 mai 1803, Jean Louis L’ORANGE, encanteur de la campagne procède à la vente et adjudication de l’habitation RENAUD et VENDOME, conformément aux affiches qui ont été posées pendant trois jours consécutifs. C’est Pierre PERROT qui remporte l’enchère.
Pierre PERROT décède le 19 septembre 1803, et son épouse demande de procéder à l’inventaire de la succession le 12 novembre de la même année.
(Je recopie cet inventaire presque dans son intégralité car il permet de se rendre compte du niveau de vie de certaines familles à cette époque à la campagne et mieux s’imaginer ce que pouvaient abriter ces « habitations » )
Sont réunis à l’habitation principale au quartier du Roi, la veuve PERROT, trois des quatre enfants majeurs, à savoir, Abraham, Adélaïde épouse BERNIER, Elisabeth épouse ROBINSON. Les enfants mineurs sont représentés par Louis DEVONNE et Vincent de UBEDA. George PERROT, issu du premier lit est également présent.
Liste des biens immeubles
L’habitation RENAUD et VENDOME située au quartier du Roi contenant environ quarante carrés de terre. L’habitation est
Bornée au nord par Abel BLYDEN, le grand chemin et la mer
Bornée à l’est par les terres de monsieur …. GRÉAUX et celles du mineur Sébastien GIRAUD,
Bornée au sud par l’habitation de monsieur Antoine GIRAUD de Saint-Jean désignée sous le nom de Lurin, par les terres de monsieur Joseph LAPLACE et par celles de monsieur Pierre BERNIER connues sous le nom de Monte au Ciel,
Bornée à l’ouest par l’habitation de Mr William COCK appelée « La Croix », par les terres de monsieur Joseph QUESTEL du Public et par le grand chemin vers Le Public.
Il est dit qu’il y a six carrés de terre accordés en usufruit à monsieur Pierre BERNIER.
Les titres de propriété sont produits. Sur l’acte figure une hypothèque en faveur des mineurs BERNIER, Damas, Maurice et Gustave pour une somme de 1722 piastres gourdes qui doivent être payables dans deux ans à compter du 28 mai dernier.
Sur cette habitation on trouve la maison principale à deux combles, un magasin réparé à neuf, une cuisine, un four, un clapier, deux citernes, sept cases à nègres et deux parcs à bestiaux en murailles de pierres sèches, le tout estimé, réparations et plantations comprises à 4160 piastres gourdes de onze réaux.
Liste des biens meubles
On compte dix esclaves pour un total de 1800 piastres gourdes. Deux sont natifs de « la côte », les autres sont créoles.
Le troupeau de bovin est constitué de six vaches et chacune son veau, deux génisses, trois vaches et trois taureaux. Le troupeau est évalué à 924 piastres gourdes.
Il y a un troupeau de cent moutons pour 448 piastres gourdes, et une basse-cour constituée de trois cochons, une paire d’oie, trois canards, dix poules, dix poussins et un coq le tout pour vingt-quatre piastres gourdes.
L’habitation semble bien équipée, avec des cabinets, armoires, lits et tables en bois de mahogany, des chaises, des fauteuils. Il y a trois miroirs, un globe de verre, deux lanternes de verre et une de corne, une longue vue en assez bon état, une montre d’argent, une canne à pomme d’or, une canne à pomme d’ivoire, deux pots à eau en cuivre et soufflets en argent, un cabaret de fer blanc, trente-quatre assiettes de grosse porcelaine, vingt-deux assiettes pour dessert en faïence commune, et des plats, et des pots, des bols, douze petits verres à liqueur, quatre gobelets à bière, onze gobelets communs, une tabatière en argent, dix tasses avec soucoupes, deux petits pots de toilette, une dame-jeanne de vin, six chandeliers de cuivre, vingt tableaux de différents sujets, trois malles vides fermant à clef.
Dans le magasin situé en face de l’habitation, on trouve en autres, des pots de mensure en étain, une balance de fer blanc et ses poids, une poêle à frire, un moulin à maïs, quatre coutelas neuf, un pétrin à boulanger le pain, une grage à manioc en fer blanc, un mortier de gayac, douze barils à farine vides, une demie pinte de mesure en étain, une broche à rôtir en fer
Il y a un paragraphe pour l’argenterie avec douze cuillères à bouche neuve, deux à soupe neuves et huit plus vieilles. On trouve aussi quatre nappes et douze serviettes, quatre draps de lit, un petit matelas de crin et un autre en crin et laine.
Cent soixante-dix livres de coton, huit carafes de cristal.
On continue avec les linges et hardes, avec trois chemises à demi usées, six culottes courtes dont une de taffetas, un pantalon de casimir vert tout neuf, cinq pantalons de nankin à demi usés, trois caleçons, trois gilets de taffetas presque usés, quatre gilets blancs usés, une lévite de drap bleu demi usée, un habit de drap noir demi usé, un habit noir de serge d’agin demi usé, un pantalon de drap bleu, six mouchoirs à tabac, deux paires de bas de coton, une cravate de mousseline.
La bibliothèque est restreinte, avec seulement un gros livre en folio qui est la genèse auquel il manque quelques feuillets, et une bible en langue anglaise.
Il y a des espèces en différentes monnaies pour un total sept-cent-soixante-neuf gourdes.
Le total de l’inventaire atteint neuf mille sept-cent-vingt-six gourdes, on lui doit deux-cent-dix-sept gourdes, Il a des dettes pour un montant de six-cent-trente-sept gourdes
On pourra noter que dans son testament, Pierre PERROT demande à être enterré à l’église de Lorient.
Il est rappelé que lorsqu’il a acheté l’habitation à Elisabeth BORNICHE aux enchères le 28 mai 1803, il a accepté une hypothèque de mille-sept-cent-vingt-deux gourdes en faveur des trois enfants mineurs BERNIER, ce qui porte le total des dettes à deux-mille-trois-cent-cinquante-neuf gourdes.
D’après cette vente aux enchères, il y a sur l’habitation trois maisons en charpente dont une de quarante pieds de long sur seize environ de large avec galerie sur toute la longueur de la maison sur onze pieds de large. La maison est divisée en cinq chambres et une salle. Il y a une seconde maison de vingt-huit pieds de long sur quatorze environ de large et une autre servant d’hôpital. On trouve aussi une cuisine, un four, un poulailler, une lapinière, deux citernes en maçonne dont une a besoin de réparations, deux puits, onze cases à nègres, un parc à bœufs et un à moutons.
On pourra noter que l’habitation est en bien meilleur état que lors du partage de la succession de la veuve BERNIER.
Il y a 5 vaches, cinq veaux, un taureau, soixante moutons, béliers et brebis dont quarante-six grands et quatorze petits. L’habitation est adjugée pour cinq-cents Portugaises et une gourde de douze réaux. Pierre BERNIER a l’usufruit sur 6 carrés de terre pendant toute sa vie. Un total de 1722 gourdes sont prises en hypothèque pour garantir les 3 enfants mineurs de Pierre BERNIER et Elisabeth BORNICHE. Ces enfants sont propriétaires de 1/8eme de cette habitation ainsi que de l’habitation Lacroix que Elisabeth a vendue à William COCK. Les nègres de l’habitation ont 1 mois pour lever les plantations qu’ils ont dans leurs jardins Le nouvel acquéreur enverra ses nègres pour prendre soin des animaux dès le lendemain.
Les documents sont presque illisibles, mais il apparait que l’habitation soit saisie après une décision de justice le 8 juin 1808 au profit de François GEREO, semble-t-il pour des dettes de Peter PERROT junior.
Il semble que de tous les enfants de Pierre BERNIER et Elisabeth BORNICHE, seul Damas BERNIER revienne s’installer à Saint-Barthélemy. Il semble avoir récupéré l’habitation MONTE AU CIEL un temps. Il est dans les affaires, mais dès 1812, il emprunte de l’argent au trésor public (Town Chest) car il doit de l’argent à plusieurs autres commerçants. En 1816 il est obligé de mettre son habitation en garantie de ce qu’il doit au gouvernement, puis, ne pouvant plus rembourser, l’habitation est saisie.

Une branche de la famille BERNIER aura possédé une très grande partie de Saint-Jean, sans doute depuis son retour d’exile de Saint-Vincent dans les années 1760 jusqu’au début des années 1800. En 1816 il n’en reste plus rien.
Les habitations de Saint-Jean vont changer de main et connaitre différents propriétaires dont, Jean CURET Jean CHRETIEN, François Adolphe DÉRAVIN, La famille DUCHATELLARD, Richard Burton DINZEY, jusqu’à la fin de période suédoise.
Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer ses habitations, enterrées sous le béton de l’aéroport, les villas et les centres commerciaux.

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A vivid picture of land use in the late 1700s in St.Jean, St.Barthelémy. As the author, M. J Montoya says, ‘it’s hard to imagine these landholdings buried under the concrete of the airport, villas and shopping centres.’ But thanks to his sharing, perhaps memory will persist.
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