Jaqueline ANSELME, née esclave et sa descendance

Voilà quelques jours, je discutais généalogie avec Arlette. Au cours de la conversation, elle m’indique qu’une correspondante lui a écrit récemment pour lui parler d’une ancêtre de son mari. Elle s’appellerait Louise Georgina NORDERLING, et serait née sur notre île le 25 avril 1826, fille de Louis Philippe George NORDERLING et d’une Jacqueline ANSELME. Ces renseignements sont ceux figurants sur l’acte de son mariage le 18 mai 1846 à Marseille avec monsieur Eugene Élysée FRAISSINET.

On peut noter que Louis Philippe George NORDERLING est le fils du Suédois Johan NORDERLING (qui fut gouverneur de notre île), et de Jeanne Madelaine de MONT D’OR, originaire de Guadeloupe.

Il n’y avait aucune information concernant Jaqueline ANSELME.

Sachant qu’une branches des ancêtres d’Arlette trouve ses origines dans la famille MALESPINE de Guadeloupe qui descend entre autres d’une Emélie ANSELME dite « Cock » née à Saint-Barthélemy vers 1821, la correspondante se demandait s’il était possible que leurs ancêtres respectifs aient pu être de la même famille.

Est-ce que Emélie ANSELME « Cock » a un lien avec Jaqueline ANSELME et Louise Georgine NORDERLING ?

C’est ce que nous allons essayer de démêler ici.

A force de tout noter ou presque, j’avais quelques informations sur la famille ANSELME dans mes fichiers sans trop savoir quoi en faire. J’ai tout assemblé et recherché un peu plus en profondeur, et je retranscris ici le tout, par ordre chronologique.

Le 21 juin 1802, par devant André BERGSTEDT, juge en l’île de Saint-Barthélemy, « fut présent le sieur Jacques ANSELME, bourgeois et habitant de cette île y demeurant à la ville de Gustavia, natif de Gênes, paroisse de St-Remy, lequel, dans la vue de la mort et craignant d’entre prévenu avant d’en avoir disposé de ses dernières volontés, étant sain d’esprit, mémoire et entendement à voir ses gestes et maintien, a dicté à moi, juge soussigné en présence des témoins à ce appelés, l’ordonnance de ses dernières volontés.

Recommande son âme à Dieu, suppliant de sa miséricorde.

Déclare donner la liberté à sa négresse Dorothée et ses quatre enfants nommés Marie Madelaine, Rose Marie, Citée et Aimée, priant son exécuteur testamentaire ci-après nommé, de faire les formalités nécessaires pour les faires affranchir à la satisfaction de la loi.

Donne à ladite négresse Dorothée, la négresse esclave Rosette,

Donne à son enfant Marie Madelaine (fille du testateur) la cabresse esclave Louise

Donne à son enfant Rose Marie (fille du testateur) la cabresse esclave nommée Marie Anne

Donne à son enfant Citée (fille du testateur) la cabresse esclave Alexandrine

Donne à son enfant Aimée (dernière fille du testateur) la cabresse esclave dont il ne se rappelle plus le nom mais qui est la fille de la négresse susdite Rosette.

Toutefois, et bien entendu, que lesdites esclaves soient remises à son exécuteur testamentaire, qui demeure chargé de leur réclamation conjointement avec Mr Sargenton déjà muni de ses pouvoirs à cet égard pour enfin les faire délivrer à eux ou à un d’eux par les détenteurs à la Guadeloupe, faute de quoi les présentes donations des esclaves seront nulles et de nulle force.

Donne et lègue à ses quatre enfants ci-dessus nommés, savoir, Marie Madelaine, Rose Marie, Citée et Aimée, à être partagé également ses effets, meubles, ustensiles de ménage, linges et bijoux, instituant la négresse Dorothée leur mère, tutrice à l’effet de recevoir le présent leg, laquelle rendra compte à chacune de ses enfants de leur portion à leur majorité.

Donne à la négresse Dorothée sa maison située à la rue des soldats pour lui demeurer en pleine propriété sa vie durant, lui défendant d’en disposer sous quelque prétexte que ce soit, voulant que ladite maison soit en héritage aux enfants susdits du testateur après la mort de Dorothée.

Veut que les deux billards soient vendus judiciairement pour le montant d’iceux pour servir à l’acquittement de ses dettes si aucunes se trouvent, et autrement, le résultat sera remis à la négresse Dorothée qui le fera valoir le plus avantageusement possible afin de subvenir à sa nourriture et celle de ses enfants, entendant que le capital soit reparti sur les enfants à leur majorité.

Donne à ses quatre enfants susdits le surplus de ses biens qui pourra se trouver en cette île de Saint-Barthélemy.

Donne à ses plus proches parents à Gênes, tous les biens généralement quelconques qui pourront lui appartenir lui être échu, ou échoir, dans la ville et province de Gênes.

Veut et ordonne que la somme de trois mille cent livres argent des colonies soit prélevée sur ses biens les plus clairs de la succession pour être, ladite somme, envoyée à sa mère si elle existe après la mort tu testateur.

Finalement, nomme pour son exécuteur testamentaire, la personne de monsieur Bernard LION auquel il confie l’exécution entière des présentes comme étant l’ordonnance de sa dernière volonté ».

Nous avons donc un Jacques ANSELME, peut-être « Giacomo ANSELMO », natif de la paroisse San Remo à Gênes en Italie, à moins qu’il faille comprendre qu’il est natif de San Remo dans la province de Gênes ?

Jacques ANSELME se dit bourgeois, il a donc été naturalisé et doit jouir d’un certain statut, possède six esclaves et deux billards. Peut-être tient-il une salle de jeu.

On a bien noté que c’est Dorothée son esclave qui est la mère de ses enfants, et que tous, jusqu’à cette demande de manumission, sont ses esclaves, y compris ses enfants.

Sa maison borde la Soldate Gatan (actuelle rue de la paix).

FSB 253 – signatures de Jacques ANSELME et des témoins à la fin du testament

Dès le 1er juillet, Jacques ANSELME fait rédiger par Jean Louis L’ORANGE un courrier qu’il adresse au Conseil Royal de l’île de Saint-Barthélemy pour demander la manumission de ces esclaves.

« Supplie humblement Jacques ANSELME, bourgeois domicilié en ce bourg de Gustavia,

Disant, messieurs, que le zèle avec lequel il est servi de la négresse nommée Dorothée son esclave, et de nouvelles preuves d’attachement qu’elle vient de lui donner, excitant sa reconnaissance, il désirerait l’affranchir de tout esclavage et servitude en lui donnant la liberté, ainsi qu’à deux de ses enfants, Marie Magdelaine et Rose Marie.

Il sollicite de votre organe, Messieurs, vu l’exposé ci-dessus, la permission d’affranchir ladite esclave Dorothée (de la côte) et deux de ses enfants filles mulâtresses créoles de cette île Saint-Barthélemy, Marie Magdelaine âgée d’environ 8 ans, et Rose Marie, âgée d’environ 6 ans, et d’en dresser acte par devant qui de droit, et ferez justice ».

C’est Bernard LION qui est chargé de le représenter et de l’assister auprès du conseil « afin d’obtenir la permission d’affranchir ma négresse Dorothée et deux de ses enfants ».

FSB 147 – pouvoir donné à Bernard LION

Dans ce courrier, on apprend que Dorothée son esclave est née en Afrique puisqu’elle est dite de « la côte ». Je ne comprends pas pourquoi ce courrier ne mentionne que deux des quatre enfants, alors que ses dernières volontés indiquent bien qu’il va demander l’affranchissement de Dorothée et de leurs quatre enfants. Peut-être y-a-t-il un autre courrier pour les deux autres ?

Marie Magdelaine est née vers 1794 et Rose Marie vers 1796, les deux, à Saint-Barthélemy.

FSB 147 – manumission de l’esclave Dorothée et de deux de ses enfants

Le 23 septembre 1802 on dresse l’inventaire des biens de la succession de Jacques ANSELME. On ne connaît pas la date de sa mort, mais les inventaires sont généralement dressés le jour même, voir le lendemain du décès.

Il possède, entre autre, un bureau et deux tables en acajou, deux chandeliers en cuivre, douze culottes, onze chemises, quatre carmagnoles, douze pairs de bas, une pendule et ses poids, une paire de bottes, un sabre, un compas de marine, trois dame-jeanne, un pilon de gayac, cent livres de clous, une montre en or avec sa chaine, trente-six boutons en or, dix couverts en argent, deux cuillères à ragout, une scie à main, trois chaises, deux billards en mauvais état, sept tables de sap, six bans, deux backgammon.

Il possède une maison avec emplacement dans le quartier Kronan « frontant » la rue Soldate gatan, la maison en charpente ayant besoin de très grandes réparations.

Jacques ANSELME doit à Antoine GIRAUD le loyer d’une maison depuis le 11 septembre 1801 jusqu’au 24 septembre 1802 pour un total de 364 gourdes.

Il doit aussi 92,80 gourdes pour l’affranchissement de Dorothée et de leurs quatre filles.

FSB 303 – dette du à Jacques ANSELME

Le total de l’actif se monte à 1357 gourdes pour 987 gourdes de dettes.

Le 24 septembre on procède à la vente aux enchères des biens meubles à la demande de Bernard LION.

Le grand billard, 16 queues et 18 boules partent pour 320 gourdes à Mr Vincent LAURENT,

Le petit billard, 16 queues et 17 boules partent pour 124 gourdes à Mr Pierre ARNAUD. Ce dernier prend aussi les tables, les chaises, les jeux de backgammon, les bans, le jeu de loto complet.

La vente rapporte 994 dollars au total, moins les frais se montant à 53 dollars.

Le 5 mars 1803, Bernard LION présente un compte de ses affaires avec Jacques de 59,70 gourdes en sa faveur. Sans doute le même jour, il demande le remboursement de tout ce qu’il a remboursé aux débiteurs au nom de la succession, à savoir, un total de 756,20 gourdes. On pourra noter qu’il devait de l’argent à son perruquier et à Mr GARRIN, tailleur.

Toujours à cette date, Bernard LION demande le remboursement des frais qu’il a avancé pour les funérailles et l’enterrement de Jacques ANSELME. Sur cette dernière note, il semble que le cercueil ait été commandé le 10 juillet 1802, et la note de frais du docteur Samuel FAHLBERG indique « consultations pendant la dernière maladie depuis le 2 jusqu’au 9 juillet 1802 ». Il apparaît donc que Jacques ANSELME est décédé le 9 juillet 1802, et c’est la date que je vais retenir car les registres de ces années-là ne semblent pas être disponibles pour l’instant.

FSB 303 – facture de Samuel FAHLBERG

Ci-dessous, le plan du quartier Kronan selon le cadastre de Gustavia. On voit le lot 65 bordant la rue Soldate gatan (rue de la paix actuelle).

Ensuite, on ne voit rien passer concernant la famille ANSELME jusqu’en 1821. Le 17 novembre de cette année-là, en effet, on baptise Coralie et Caroline CUVILJE. Elles sont jumelles et âgées d’un mois environ, filles de Nicolas CUVILJE et de Marie Rose ANSELME. On peut noter que Pierre PILET, Clothilde DUROCHÉ et Bernard BEAGINO sont des personnes de couleurs libres.

Je ne trouve rien d’autre jusqu’en 1826.

Jaqueline ANSELME décéde de la pneumonie le 18 septembre 1826. Elle est dite âgée de 24 ans et de couleur libre.

FSB 290 – registre Luthrien des décès

L’inventaire de la succession de Jacqueline ANSELME est dressé le 27 septembre 1826 à Gustavia. Elle est dite « Fille de couleur libre native de cette ile de Saint-Barthélemy, décédée intestat le …vide… ayant laissé deux enfants filles dont une nommée Emélie âgée de 5 à 6 ans, et l’autre non encore baptisée, âgée d’environ 5 mois ».

C’est Jean Louis L’ORANGE, curateur aux successions vacantes qui est le requérant, et c’est William Henry BASDEN qui est l’estimateur.

La liste des possessions de Jaqueline est bien maigre. On y trouve un bois de lit commun, deux mauvais matelas (dont un laissé pour l’usage d’Emélie), un tour de lit, cinq chemises, cinq robes, quatre châles, quatre chaises, le tout pour vingt gourdes.

L’enterrement à lui seul, a couté vingt-et-une gourde, dont dix pour le cercueil payé à Anthony HODGE, et une gourde pour la fosse.

Jaqueline a aussi des dettes, environ quarante-deux gourdes, dont deux gourdes dues à Betsy TACKLIN pour quinze jours de nourrice pour la dernière enfant de la défunte.

Jean Louis L’ORANGE ajoute alors :

« Le requérant déclare que feu Jacques ANSELME, père de la susnommée, lui légua, et à trois autres de ses sœurs, un terrain avec une maison portant le numéro 65 en cette ville de Gustavia mais que tous les enfants de Jacques Anselme étant morts sans avoir testé quoique deux dont la sus nommée fait partie, ayant laissé chacune deux enfants filles et considère les dits bienfonds à la vacances jusqu’à ce qu’il en soit autrement décidé, néanmoins il les a fait estimer et le prix qui est de soixante-quinze gourdes courantes et à ce présent pour mémoire ».

Il n’y a aucune suite à ce document.

Qui est cette Jacqueline ANSELME ? Il est évident que c’est un surnom donné, soit à Marie Magdelaine, soit à Citée, soit à Aimée ANSELME. Impossible de savoir laquelle elle est. La plus âgée ? Une qui ressemblait plus à son père ? En tous cas il est clair que Jacqueline est une des quatre filles de Jacques ANSELME et qu’elle a deux filles, une Emélie née vers 1821, et une autre née dans le courant du mois d’avril 1826.

On comprend également que sa sœur Marie Rose ANSELME est décédée, mais que ses deux filles, Caroline et Coralie sont toujours vivantes.

Il apparaît également que les deux sœurs ont gardé la propriété du lot 65 et de la maison depuis le décès de leur père en 1802. Sur la fiche cadastrale de ce lot, il n’y a pas d’indication d’un propriétaire avant lui. D’ailleurs, d’après Per Tingbrand, il figure sur le recensement de 1787, sans doute est-il arrivé dans les débuts de la période suédoise et qu’il a été le premier propriétaire du lot 65.

Le 16 janvier 1827, on trouve le baptême de Louise Georgine, de couleur, âgée de 8 mois, la mère, Jaqueline, père, inconnu. Le parrain est le métis Laurent DEGOUT fils, et la marraine, sa mère, Martina AVILA, femme de couleur libre. Un bien triste départ dans la vie pour cette petite orpheline.

Le lot 65 est vendu aux enchères en juillet 1827 à Charles Carlström. Il semble donc que les quatre petits-enfants (les deux filles de Jacqueline et les deux filles de sa sœur) de Jacques ANSELME ont perdu leur héritage à cette date.

J’avais bien le baptême d’Emélie, mais je n’avais pas fait la connexion. Celle-ci est née à Gustavia le 16 janvier 1820 et elle est baptisée le 18 mai de la même année, fille de Henry COCK et de Jaqueline ANSELME.

Notons ici que les informations concernant Henry COCK sont très limitées. D’après son acte de décès le 24 janvier 1823, il est natif de Lancaster en Angleterre et il est âgé de 23 ans. Il est possible qu’il y ait un lien avec le riche commerçant William COCK lui aussi originaire de Lancaster, mais je n’ai rien trouvé en ce sens. On peut noter que la famille COCK actuelle de Saint-Barthélemy descend de John Henry COCK né vers 1823, fils de la relation de Henry COCK avec une certaine Rose BUTCHER.

Nous y voilà donc. Emélie ANSELME « Cock » s’est retrouvée en Guadeloupe, en Basse-Terre, où elle a pu fonder une famille avec un Louis Antoine Stanislas MALESPINE. Elle est décédée dans la ville de Basse-Terre en 1893. Elle a une grande descendance de nos jours, et même, par son fils Antoine Hilaire « Ernest » MALESPINE, une branche revenue prendre racine à Saint-Barthélemy !

Louise Georgine quant à elle, a été emmenée par sa grand-mère maternelle, Madame de MONT D’OR, vers la métropole et ils se sont installés à Marseille. Elle y a donc épousé Monsieur FRAISSINET d’où descendance de nos jours.

Oui, il y a bien un rapport entre Emélie et Louise Georgine : elles sont sœurs et petites-filles de Dorothée, esclave de Jacques ANSELME !

détail d’une ancienne maison – Stanislas Defize


Catégories :ANSELME, NORDERLING, Uncategorized

2 réponses

  1. Un grand merci Jérôme !
    Je sais enfin pourquoi Georgine a été amenée à Marseille !
    Le miracle de la généalogie…
    Ou comment trouver un cousinage avec Arlette 👍
    Un grand bravo d’une correspondante métro

    Aimé par 1 personne

  2. Jules Clément LAVAULT (1853-1895), le frère de mon arrière-arière-grand-père, a épousé le 27 juin 1888 à Basse-Terre Marie Henriette COCK (1848-1890), fille d’Emélie COCK. La tradition orale disait qu’il y avait un lien indirect avec les MALESPINE. Emilie COCK a 27 ans et était couturière à la naissance de sa fille à Basse-Terre. le 10 août 1848. Elle sait signer. Un des témoins est Louis LAVAU, 59 ans, propriétaire, grand-père présumé de Jules Clément LAVAULT. Son fils naturel reconnu Louisy Eudorique LAVAU (1821-1890) est témoin au mariage de Marie Henriette COCK. J’avais commencé à reconstituer la famille MALESPINE en 1996. A son décès Emélie COCK est dite native de Saint-Martin et fille de feu sieur COCK et de feue dame Anselme. A la naissance de son fils Ernest Antoine Hilaire MALESPINE, né le 15 janvier 1861, elle est dite née à Saint-Barthélemy et elle appelée Emélie ANSELME surnommée COCK.

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