Jean Charles MARTIAL, un esclave à Saint-Barth

Le 24 janvier 1838, Marie Catherine LÉDÉE, veuve Benoit BERNIER, autorise son esclave Jean Charles à partir pour Saint-Thomas.

Le 26 juin 1818, cette dame autorise ce même esclave à partir pour n’importe quel pays.

Marie Catherine LÉDÉE est née vers 1790 à Colombier. Elle est la fille de Pierre Louis LÉDÉE de Grand-Fond, et de Marie Catherine MAGRAS de Colombier.

Sans doute vers 1805, Marie Catherine LÉDÉE épouse Benoit BERNIER né peut-être à Gustavia vers 1790. Il est le fils de Marc Alexis BERNIER et de Suzanne Louise GRÉAUX.

Marie Catherine et Benoit auront huit enfants et sont à l’origine de la branche des BERNIER du Corossol.

Benoit BERNIER décède le 6 juillet 1837. Dans la succession qui s’en suit, on apprend qu’ils possèdent deux terrains, dont un construit d’une maison en charpente, le tout évalué pour 83 gourdes. Ils possèdent aussi un esclave, « Jean Charles, nègre d’ici, âgé d’environ 29 ans » évalué pour 123 gourdes. On mesure bien ici la valeur d’un esclave comparée à celle de deux morceaux de terre et d’une maison en charpente. L’esclave représente un très gros capital pour cette. C’est un investissement qu’il faut faire fructifier et c’est pour cela que, dans le cas qui nous occupe, il est autorisé à s’embarquer sur un bateau : il va travailler et rapporter de l’argent à ses propriétaires qui n’ont sans doute pas besoin de lui pour des travaux d’agriculture sur leurs terres.

Marie Catherine LÉDÉE décède le 7 juin 1840. Sur la succession en date du 2 aout 1840, on retrouve «  Le nègre nommé Jean Charles, natif de cette île, âgé d’environ 31 ans », estimé pour 120 gourdes.

Cette ligne est suive d’une note « Le domestique ci-dessus ayant donné toujours des preuves sincères de sa fidélité, et les héritiers n’ayant jamais eu aucun sujet de s’en plaindre, sont unanimement d’accord de le récompenser pour ses bons services. En conséquence, il est destiné à être libre, aux conditions qu’il paye aux deux mineurs, ou à leur tuteur, ce qui peut leur revenir de sa valeur, et de se procurer à ses frais, le titre de manumission ». Jean Charles va donc pouvoir obtenir sa libération, à conditions qu’il rembourse sa valeur à ses propriétaires.

Le 22 avril 1844, on procède au partage et au calcul des taxes. Quatre ans après l’inventaire pour la succession de Marie Catherine, l’esclave Jean Charles fait toujours partie des biens que possèdent les héritiers. Jean Charles n’a donc pas pu racheter sa liberté.

Que sait-on de Jean Charles ?

Il y a un Jean Charles, marin et natif du Corossol. Il épouse une Marie Françoise le 25 aout 1848, on est donc après l’abolition de l’esclavage. Ce Jean Charles est dit fils de feu Martial et de feue Honorée. Comme habituellement dans les familles d’esclaves, les enfants reprennent souvent le prénom du père pour en faire un patronyme. C’ainsi que Jean Charles devient Jean Charles MARTIAL.

Trois éléments semblent indiquer que c’est de notre Jean Charles dont il s’agit. Il est marin et natif du Corossol, et sa mère est dite Honorée, or, dans la succession de Marie Catherine LÉDÉE, dans la section des dettes passives, on trouve une somme due à l’église de Lorient pour « frais funéraires de la négresse Honorée ».

Ce Jean Charles a cinq ou six enfants, tous nés entre 1840 et 1854 au Corossol sous le patronyme MARTIAL. Son épouse est tantôt dite Marie Françoise  avec, ou sans patronyme : « ADAM » ou « Dite GRÉAUX » ou « Penne ». Les différents surnoms pour une même personne peuvent sans doute être expliqués par l’absence d’état civil fiable pour d’anciens esclaves, avec des références au père, à la mère ou à un propriétaire en fonction des souvenirs des uns et des autres. Je n’ai pas de descendance pour ce couple à Saint-Barth.

Il y a un autre couple avec un Jean Charles MARTIAL et d’une Elisabeth MUTREL. Je n’ai aucune information les concernant, autres que celles qui figurent dans des archives postérieures.

Il y a l’acte de décès d’une de leur fille, Anne dite « Anésie »,  en 1897, par lequel on apprend que, de son vivant, le couple n’était pas marié et habitait Colombier.

Cette fille est née vers 1838, mais elle n’a pas de descendance.

Il y a aussi un fils, Jean Sylvain MARTIAL né vers 1839. Ce Jean Sylvain épouse une Anne GIRAUD le 20 aout 1862 (sa mère est Alexandrine DÉRAVIN, fille et esclave de Jean François DÉRAVIN). L’acte de mariage indique que Jean Silvain MARTIAL est le fils de Jean Charles MARTIAL et d’Elisabeth MUTREL, qu’il vit à Gustavia, et qu’il est âgé de 23 ans.

Jean Sylvain MARTIAL décède le 17 novembre 1869. La succession est traitée le 22 février 1870. Elle indique que de son vivant, il demeurait « à l’Andrieux (hauteurs du quartier du Corossol) sur un terrain lui venant d’Elisabeth MUTREL » et qu’il a eu deux enfants, avec Anne GIRAUD, Eléoniste, âgée de sept ans, et Jean Théodore, âgé de trois ans. Anne GIRAUD indique qu’elle est aussi enceinte d’un troisième enfant. Ce troisième enfant nait le 24 avril 1870, il s’appelle Jean Emmanuel.

Voilà, nous avons fait le tour des informations disponibles, enfin presque …

Mon opinion est la suivante :

Jean Charles et Jean Charles ne sont qu’une seule et même personne.

Il est né esclave parce que sa mère était esclave de Benoit BERNIER. On ne sait rien de son père Martial, sans doute était-il l’esclave d’un autre propriétaire.

Avant 1840, il a deux enfants avec une Elisabeth MUTREL mais ne reste pas avec eux.

Jean Charles doit être libre entre 1844 et 1847, je ne le trouve pas dans la liste des esclaves du Comité, ni non plus Elisabeth MUTREL. Jean Charles épouse Marie Françoise. Ils sont installés à l’Andrieu qui, en fonction des documents, se trouve à Colombier,  Corossol, ou entre les deux.

Nous pouvons affiner encore une peu notre histoire avec les quelques recensements de la campagne disponibles :

En 1838, Jean Charles est bien esclave chez Benoit BERNIER, il est âgé de 29 ans.

Cette même année, Marie Elisabeth est esclave chez Marie Louise GRÉAUX veuve du Suédois Ludwig FALKMAN. Elle est dite âgée de 39 ans, elle a trois enfants avec elle, Anesie, 6 ans, Jean Silvain, 4 ans, mais aussi Jean François, 10 ans, et peut-être Charlottine sur laquelle je n’ai rien. Jean François est bien le fils de Marie Elisabeth, mais il est d’un autre père, un Jean « LÉDÉE ». Jean François dit « LÉDÉE » et il épousera une Marie Louise GARRIN en 1868. On peut ne manquer de s’interroger sur ce que pouvait être la vie d’une esclave avec trois ou quatre enfants à sa charge.

En 1843, Jean Charles est toujours esclave chez les BERNIER,

Marie Elisabeth, avec ses enfants, chez Adèle FALKMAN (la fille de Marie Louise GRÉAUX) à l’Andrieux. Ils sont toujours esclaves.

En 1846, Jean Charles semble être libre, il habite chez François Salomon TURBÉ à l’Andrieux. Je ne retrouve pas Marie Elisabeth et ses enfants, mais le recensement est très abimé.

1854 Corossol  Jean Charles MARTIAL, 30 ans est en couple avec Marie Françoise 28 ans,  xxx , Charles, 13 ans, Alexandre, 6 ans,  Joseph, 3 ans,  Emelie, 7 mois.

1854 Corossol  Sans doute Elisabeth, Jean François Barthelemy, 24 ans,   Anne Marie 21 ans, et  Jean Sylvain, 18 ans 

1857 Corossol Jean Charles MARTIAL, il semble qu’il y ait d’autres personnes vivant avec la famille

1863 Corossol Jean Charles Martial, et sa famille,  je ne sais pas qui est Marie

1863    Colombier     Jean Sylvain MARTIAL et Anne GIRAUD. Je ne trouve pas Elisabeth MUTREL sur ce recensement, ni ses deux autres enfants.

1866 Jean Charles Corossol. Je ne sais pas qui sont Marie et Théodore.

1866 L’Andrieux        Jean Sylvain MARTIAL, Anne GIRAUD et Anne Léonie.

Peter CONNER doit être un orphelin de Gustavia.

                                    Elisabeth MUTREL semble habiter à côté de son fils. Avec elle, vivent ses deux autres enfants. Sans doute sur le morceau de terrain dont on a parlé à la succession de Jean Sylvain.

1869 L’Andrieux, Jean Sylvain MARTIAL, Anne GIRAUD, leurs deux premiers enfants et Elisabeth MUTREL.

L’histoire de l’esclave Jean Charles MARTIAL démontre encore une fois qu’il est faux de dire que les anciens esclaves ont quitté l’île après l’abolition de 1847. Certes, nombre d’entre eux ont quitté l’île pour chercher une vie meilleur ailleurs, mais beaucoup aussi sont restés et ont prospéré.

L’esclave Jean Charles MARTIAL a une descendance de nos jours, à Saint-Barth, par l’intermédiaire d’un fils de Jean Sylvain MARTIAL.Jean Théodore MARTIAL épouse Marie Elisabeth GUMBS de Grand Case en 1914 et leurs descendants vivent toujours sur notre île sous les patronymes GARRIN, PAYNE, QUESTEL et GRÉAUX.



Catégories :BERNIER, esclavage, ledee, MARTIAL, mutrel, SLAVERY, SLAVES, SWEDISH EPOQUE, SWEDISH PERIOD, Uncategorized

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