Martin BORNICHE, ses descendants et les trois procès

Un article un peu long mais très complet sur les BORNICHE, une famille aujourd’hui disparue.

Le 11 Mai 1711, à Basse-Terre, en Guadeloupe, Martin BORNICHE épouse la demoiselle Marie PIMONT.

Cela fait 7 ans qu’ils sont mariés « civilement » faute de missionnaire et de prêtre sur l’île de Saint-Martin d’où ils semblent arriver.

Le prêtre indique que Martin BORNICHE est le fils de Médard BORNICHE et de Anne de VAUGERMÉ et qu’il est natif de Champagne, paroisse St-Crépin… sans indiquer le nom de la ville. J’ai dû batailler un peu pour retrouver son baptême.

Martin est en fait né à Château-Thierry en Champagne, paroisse St-Crépin, le 07 Septembre 1677 et baptisé le lendemain. Il porte le prénom de son parrain.

D’après le baptême de sa sœur Anne, en 1673, son père est Maître Menuisier. Ses parents se sont mariés dans la même ville en 1671 mais il n’y a aucune précision quant à leur origine.

Martin BORNICHE est arrivé aux Antilles depuis au moins 1703. Directement à Saint-Martin, ou via Saint-Christophe. Pour l’instant pas de précision, mais sans doute est-il un de ces engagés qui ont survécu aux 36 mois de travail sur une habitation d’une des deux îles. Beaucoup d’engagés quittent alors la France à peine âgés de quinze ou seize ans. On peut donc supposer qu’il est arrivé aux Antilles entre 1693 et 1702.

Son épouse porte le nom d’une famille que l’on rencontre plusieurs fois à Saint-Martin (Par exemple, le Commandant de cette île, Jean PIMONT, entre autres, qui épouse Elisabeth QUESTEL à Saint-Barthélemy en 1735).

Elle est créole de Guadeloupe, fille d’un Jean PIMONT et d’une Marie ORODIN.

Ils ont dû être évacués par les Anglais et, comme beaucoup de Saint-Barth et de Saint-Martinois à la même époque, se sont retrouvés en Guadeloupe.

Le couple a deux enfants connus nés sur l’île de Saint-Martin :

1-Marie Rose BORNICHE, née vers 1722, qui épouse Jean Baptiste BOYAU le 26 novembre 1748 à Pointe Noire en Guadeloupe, mais dont je n’ai pas suivi la descendance plus loin.

2-Martin BORNICHE « fils », vers 1712, qui épouse une Marie Renée ou Marie Etienne JACQUES le 11 février 1741 à Saint-Barthélemy. Elle est une fille d’Etienne JACQUES et de Marie MUSEMENT, deux patronymes que l’on retrouve en connexion avec les premiers habitants de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, puis à Saint-Vincent.

3-Elisabeth BORNICHE qui épouse Nicolas LACROIX vers 1740, ils auront au moins 4 enfants, ils vivent à Saint-Martin au quartier du Colombier.

Le couple BORNICHE / JACQUES aura plusieurs enfants, à Saint-Martin dans un premier temps, puis, sans doute à la suite d’un énième déménagement forcé, à Pointe-Noire en Guadeloupe, où nait leur fils Jean François Jacques BORNICHE le 9 juin 1746. Il semble que leurs trois enfants y soient restés, et deux au moins y font souche.

Mais celui qui intéresse la généalogie de Saint-Barth, c’est Jean Baptiste BORNICHE.

Dans cet article, j’essaye de suivre la chronologie selon laquelle nous obtenons les informations.

A ce stade de notre enquête, il n’y a rien du tout qui puisse nous permettre d’affirmer que Jean Baptiste BORNICHE est un fils du couple Martin BORNICHE et Marie PIMONT. Bien entendu, cela semble évident, mais rien ne le prouve.

Jean-Baptiste BORNICHE a dû épouser Catherine Françoise VITTET (Nous reviendrons sur son patronyme) vers 1750 ou 1751. Ils ont une première fille, Rose Marie, qui nait en 1753 à Saint-Barthélemy (dont la marraine est Marie Rose PIMONT, celle que l’on suppose être sa grand-mère). Ils ont d’autres enfants dans les années qui suivent, mais les actes consultables s’arrêtent après 1753, on ne peut donc savoir s’ils sont nés ici, ou ailleurs.

Par des documents ultérieurs, on sait qu’ils se sont installés au moins un temps sur l’île de Saint-Eustache, puisqu’y sont nées, Elisabeth, vers 1760, puis, Marie Adélaïde vers 1763. On peut imaginer qu’ils ont quitté Saint-Barthélemy en 1756 pendant la Guerre de Sept Ans. La date de leur retour à Saint-Barth est inconnue, mais ils y reviennent, car c’est là que leurs enfants vont s’installer.

On se rappelle qu’à la suite de la Guerre de Sept Ans, la France perd la plus grande partie de ses colonies. Aux Antilles, elle ne garde que la Martinique, la Guadeloupe, Marie Galante et Sainte-Lucie. Oubliées par le traité de Paris signé en Mai 1763, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ne retournent officiellement à la France qu’en 1764. Auguste DESCOUDRELLES, qui va obtenir le poste de Gouverneur pour les deux îles du nord, va anticiper, et semble-t-il, penser, le retour des populations Françaises qui doivent évacuer les îles redevenues Anglaises sur lesquelles elles s’étaient réfugiées. Il écrit, dès le mois d’octobre 1763 « Ils trouveront à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, des terres pour rien, et y auront, lorsque ces îles seront regarnies de bestiaux, la vie la plus aisée qu’en nulle autre de nos colonies ».

Dans un courrier adressé par le Ministre au Gouverneur de la Guadeloupe en novembre 1763, il est dit « y attirer ceux qui sont errants depuis la guerre, et d’autres qui se trouvent aux Grenadines sous la domination des Anglais, ne demandent pas mieux que de revenir sur les îles Françaises, où l’on sera en état de leurs donner des concessions … »

Le ministre écrit à DESCOUDRELLES en novembre 1763 pour lui annoncer qu’il va le proposer au poste qu’il avait demandé. Il ajoute qu’il veut qu’on installe dans nos deux îles, du bétail, des volailles et une culture vivrière, et « c’est dans cette vue principalement, qu’il faudra que vous concédiez les terres de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy à ceux qui vous en demanderont ».

DESCOUDRELLES est de passage à Saint-Martin en juin 1764, puis il semble y être installé avant octobre lorsqu’il envoie un compte rendu descriptif des deux îles. Concernant Saint-Barth, il indique qu’il y a soixante hommes en état de porter les armes « les habitants de cette île sont les mêmes qui y étaient avant la guerre, et toutes les familles originaires du même lieu ». Dans un autre courrier portant la même date mais parlant de Saint-Martin « Il ne m’est venu jusqu’à présent que très peu de Français ».  

Dans un courrier de 1765, il est dit que « tous les habitants sont originaires de l’île, excepté Louis de LISLE et Joseph ROUSTAN, nés à Marseille et mariés à Saint-Barthélemy ».

Le Gouverneur de la Guadeloupe, dans un courrier envoyé en France en aout 1766 et en parlant de DESCOUDRELLES « qui y commande ces deux îles presque désertes à son arrivée, commencent à donner l’espérance d’une population nombreuse » et « qui y a fait revenir les anciens colons et y en a attiré beaucoup de nouveaux ».

Pour Saint-Barthélemy, malheureusement, les retours des anciens colons et les arrivées des nouveaux ne sont pas documentés. Impossible de savoir qui revient quand, et pourquoi on s’installe dans ce quartier plutôt qu’un autre. Parfois, on a de la chance, et, au détour d’un registre, apparaît un document qui a survécu lorsque les autres ont disparu.

En arrivant à Saint-Barth, comme il l’avait annoncé, DESCOUDRELLE distribue des concessions. Sans doute à ceux des anciens habitants qui n’ont pas de documents pour revendiquer la terre qu’ils avaient avant leur départ, à ceux aussi qui n’en avaient pas.

Le 14 octobre 1786, au Carénage, le Baron RAYALIN enregistre et confirme « la concession accordée par Monsieur DESCOUDRELLES en date du 5 aout 1767 en faveur de Jean Baptiste BORNICHE ». Il poursuit « en conséquence, nous confirmons cette ancienne concession en faveur de la Dame VITTET, veuve du dit Jean Baptiste BORNICHE, et lui avons donné une concession d’un terrain situé à l’Anse de Saint-Jean, borné dans le Nord par le Chemin de François GRÉAUX jusqu’au préteau à un arbre marqué B, dans l’Est, suivant le préteau jusqu’au bas d’une ancienne batterie où était en place un canon, et, par le Sud, par Charles VANTRE, et dans le Nord-Ouest, par le Grand Chemin, distance de cent pieds Français, et duquel terrain, la dite dame, veuve BORNICHE jouira paisiblement et tranquillement comme d’un bien à elle appartenant ».

Avec ce document assez exceptionnel (je n’ai trouvé que deux autres confirmations de ces  concessions), nous pouvons penser que Jean Baptiste BORNICHE et sa famille se réinstallent sur notre île approximativement courant juillet 1767. De plus, on peut se figurer, grosso-modo, l’endroit qui leur est alloué.

Les plans les plus anciens sont ceux qui accompagnent le document établit par les Suédois en 1787, soit vingt ans plus tard. Les choses ont changé, des terrains vendus, échangés ou transmis, mais on peut placer la concession, au moins approximativement. La portion correspond plus ou moins à l’habitation appelée alors « Le Fond » (en gros, depuis le carrefour de Saint-Jean Carénage en allant vers le bas de Morne Tourterelle, la partie à droite de la route jusqu’à la tête du morne). En 1787, la veuve BORNICHE possède toujours la moitié du lot 11 mais réside quelque part dans le carré en pointillés (qui appartient à son beau-fils Antoine GIRAUD), l’Habitation Le Fond à Saint-Jean.

Habitation Le Fond à Saint-Jean

Le document confirme donc l’arrivée de Jean Baptiste BORNICHE sur notre île, mais aussi nous indique que qu’il est décédé avant le mois d’octobre 1786.

LES TROIS PROCÉS BORNICHE

Les BORNICHE, quoique bien intégrés dans l’île semble-t-il par ailleurs, vont être victimes de trois procès un peu particuliers. Il semble qu’ils aient eu des détracteurs, des ennemis peut-être même, et qu’on leur en voulait. C’est l’impression que j’en ai. Nous n’aurons jamais l’explication, mais deux des trois procès sont assez révélateurs des tensions qui pouvaient exister dans une société Antillaise comme celle de Saint-Barthélemy. Ces deux procès ont une importance capitale pour nos recherches généalogiques sur cette famille.

Le mariage de Catherine Françoise BORNICHE

Les BORNICHE, quoique bien intégrés dans l’île semble-t-il par ailleurs, vont être victimes de trois procès un peu particuliers. Il semble qu’ils aient eu des détracteurs, des ennemis peut-être même, et qu’ « on leur en voulait ». C’est l’impression que cela donne. Nous n’aurons jamais l’explication, mais deux des trois procès sont assez révélateurs des tensions qui pouvaient exister dans une société Antillaise comme celle de Saint-Barthélemy. Ces deux procès ont une importance capitale pour nos recherches généalogiques sur cette famille.

Le mariage de Catherine Françoise BORNICHE

Le contrat de mariage est rédigé par Jean NORDERLING, notaire royal et public, le 24 avril 1794 à Gustavia.

            « Alexis LÉDÉE fils majeur de défunt Jean René LÉDÉE et de sa veuve Suzanne LÉDÉE née LAPLACE (laquelle dame n’ayant pu se transporter au bourg à cause d’indisposition, avait donné son consentement par écrit à l’effet ci-dessous, en présence des sieurs Jacques BERRY fils et Louis Lambert AUBIN…) d’un côté,

            Et la demoiselle Catherine Françoise BORNICHE, fille légitime de Jean Baptiste BORNICHE et Catherine Françoise BORNICHE née VITTET, ses père et mère défunts, et majeure d’âge et usant de ses droits, de l’autre côté … 

            Qu’ils promettent se prendre (ainsi qu’ils se sont déjà pris il y a environ six ans dans l’île d’Anguille où ils étaient obligés d’aller pour se faire marier selon le rite Protestant, faute de curé Apostolique Romain dans cette île, lequel mariage ils veulent aujourd’hui renouveler et confirmer par un curé de l’Eglise Apostolique et Romaine à laquelle ils se confessent, et ce, pour satisfaire à leur conscience et pour l’état civil de leurs enfants, nés ou à naitre) l’un l’autre par nom et loi de mariage, et faire célébrer en face de la Sainte-Eglise, le plutôt que faire se pourra, et sitôt que l’un requerra l’autre ».

            Le 30 avril, le mariage est célébré après la publication de deux bans et dispense du troisième. Par ce mariage sont légitimés trois enfants : Marie Anne âgée de six ans, Alexis, âgé de 4 ans et demi et Elisabeth, âgée de 3 ans.

            Mais tout ne s’est pas passé aussi simplement, et, à la lecture du document qui suit, on peut se demander si l’information selon laquelle ils sont allés se marier à l’Anguille parce qu’il n’y avait pas de curé à Saint-Barth, n’est pas juste un remaniement de l’histoire, une bonne excuse …

En effet, dans une lettre non datée adressée au Gouverneur ROSENSTEIN, Catherine Françoise BORNICHE écrit « Supplie humblement Catherine Françoise BORNICHE, qui a déjà eu l’honneur de vous représenter sa malheureuse situation. Les flatteuses espérances que vous avez bien voulues lui donner de votre protection, l’encourage à vous importuner derechef, pour vous prier de vouloir autoriser le révérend père desservant la paroisse, de célébrer et solenniser son mariage suivant les rites de notre Mère la Sainte Eglise, le plutôt que faire se pourra, vu que sa grossesse est fort avancée.

La Suppliante à genoux vous supplie de vouloir prêter l’oreille à sa prière, afin de couvrir son honneur et sa réputation qui ne souffrent que par l’entêtement d’une seule personne. Qu’il vous plaise considérer, Monsieur, que la mère du Sieur Alexis LÉDÉE, auteur du fruit que je porte, a déjà consenti au mariage d’un de ses fils avec ma sœur, et que je crois avoir les mêmes droits sur son indulgence. D’ailleurs, le Sieur LÉDÉE est majeur d’âge, comme vous le verrez par l’extrait qu’il aura l’honneur de vous présenter. Ma situation devrait vous recommander à son humanité et à la vôtre, Monsieur, que je vous prie d’exercer dans cette occasion.

            Le Sieur Alexis LÉDÉE aura l’honneur de vous présenter également le contrat de mariage de ma mère, afin que vous jugiez vous même si nous dépendons de la branche des COQ comme le prétendent les parties contres. Tout le monde de cette île connaissait les VITET pour bons blancs. Mon père était le fils d’un Européen, et d’un PIMONT qui sont aussi connus.

            La suppliante vous prie de pardonner à ce détail qu’elle a cru devoir vous représenter, et vous supplie de vouloir prendre la peine d’instruire le Sieur Alexis LÉDÉE sur les démarches qu’il faudrait prendre au cas que vous lui accorderiez la grâce qu’elle vous demande.

            Elle forme solennellement des vœux au ciel afin qu’il vous comble de toutes les dignités qui sont à votre mérite ».

           

On mesure tout de suite la nature du véritable problème. Nous reviendrons sur les origines de Catherine Françoise VITTET longuement, lorsque nous évoquerons le troisième procès, mais on peut, comme Catherine, se poser la question de savoir, pourquoi sa propre sœur Suzanne a eu l’autorisation d’épouser Joseph LÉDÉE, propre frère, d’Alexis. Ce mariage a été célébré à Saint-Martin le 1er décembre 1783, mais le contrat avait bien été passé à Saint-Barthélemy le 25 novembre devant François ISNARD alors Commandant de l’île, ce qui confirme que la mère de Joseph l’avait bel et bien autorisé.

            Le courrier a été écrit avant le 6 juin 1790, date à laquelle ROSENSTEIN est remplacé au poste de Gouverneur. On croit comprendre qu’il y a urgence car elle attend un enfant, son premier enfant, c’est celui dont elle accouche en 1788, Marie Anne. Il aura donc fallu six ans pour obtenir la bénédiction du mariage de son fils par Suzanne LAPLACE !

Le Mariage de Jean Etienne BORNICHE

Le 9 janvier 1798, le deuxième point à l’ordre du jour du Conseil Royal de Saint-Barthélemy, est une requête du sieur Jean Etienne BORNICHE, habitant de cette île, et bourgeois de ce bourg de Gustavia.

            « Supplie très humblement Jean Etienne BORNICHE résident en ce dit bourg, disant, Messieurs, qu’étant depuis quelques temps lié de la plus étroite amitié avec la Dame Suzanne BERNIERveuve SIREIX, ils auraient désiré s’unir par le nœud sacré du mariage, mais que le sieur Pierre BERNIER, oncle paternel de ladite Dame veuve SIREIX, y aurait une opposition.

            Le Suppliant, ayant cru qu’il n’aurait rencontré aucun obstacle, a fait faire la publication de ses bans de mariage à Saint-Martin, se trouva accusé d’un mariage depuis environ douze ans à la Nouvelle Angleterre avec la Dame Veuve Elizabeth BERNELLY, de la ville de Richmond, Province de la Virginie, ce qui a fait suspendre son mariage avec ladite Dame Veuve SIREIX ».

            Il demande que le Conseil et le Gouvernement « l’assistent afin de prendre des informations du Gouvernement de la Virginie, et demande que si la dame BERNELLY ou toute autres personnes quelconques ont des raisons légitimes pour notre empêchement à son dit mariage ici, qu’ils les fassent valoir auprès de vous Messieurs, et du Gouvernement, et, dans le cas contraire, le suppliant ose espérer de votre justice et de votre équité, que vous voudrez bien l’autoriser à conclure un mariage que, l’honneur et tout ce qu’il a de plus sacré exige de lui ».

Le Conseil Royal donne sa résolution le même jour :

            « Vu qu’au temps du Sieur ROSENSTEIN, Gouverneur de cette île, le Sieur BORNICHE a amené une femme ici du nom mentionné dans la requête ci-dessus, laquelle il a en même temps reconnu devant le dit Gouverneur, pour sa femme par mariage légitime, le Conseil trouve juste et nécessaire que le Sieur BORNICHE se conforme aux coutumes établies par les lois, pour se mettre en droit d’entrer dans un autre mariage. Par conséquence, et comme la dite Dame Veuve BERNELLY a quitté librement son mari quelques jours après avoir comparu par devant le dit Gouverneur sans avoir vécu avec le dit Sieur BORNICHE depuis ce temps-là, ce qui fait une absence de dix ou douze années, le Conseil fait assigner par ces présentes la dite Dame Veuve BERNELLY, de la ville de Richmond province de la Virginie à la Nouvelle Angleterre, à comparaitre par devant le dit Conseil en douze mois de la date d’icelle, ou avant midi du 9eme Janvier 1799, pour faire valoir ses prétentions sur la personne du dit Sieur BORNICHE, faute de quoi toutes les demandes contre le dit Sieur BORNICHE à cet égard, seront regardées comme nulles.

            Cette résolution du Conseil sera publiée dans les gazettes des îles voisines, ainsi que communiquée officiellement au Gouvernement de Richmond pour l’effet d’en obtenir un extrait mortuaire en cas que ladite dame soit décédée, le tout aux soins et dépens de Monsieur BORNICHE ».

C’est tout un flot d’informations qui nous arrive avec ce courrier. Malheureusement, il est pour l’instant difficile d’en tirer quelque chose.  D’abord, qui est ce Pierre BERNIER, oncle de Suzanne ? Est-ce celui qui est Capitaine de Milice et qui siège au Conseil Royal et qui, accessoirement, a eu neuf enfants avec Elisabeth BORNICHE, la sœur de Jean Etienne (ils ne sont pas mariés) ?

Jean Etienne, ou John Etienne est un négociant et armateur à Gustavia. Il achète, arme et vend des navires. A cette époque c’est une personne influente, on le voit apparaitre comme mandataire, tuteur,  conseiller de très nombreuses fois dans les documents. Je n’ai pas trouvé son mariage avec Suzanne BERNIER, mais il a deux enfants avec elle entre 1798 et 1800.

Et Suzanne BERNIER ? Je n’en ai qu’une, nièce de Pierre ou Jean Pierre BERNIER, née à Sainte-Lucie en 1774, fille de Jean François BERNIER et de Brigitte GRÉAUX. Si ce n’est pas elle, je n’ai rien d’autre en magasin. Je ne trouve rien non plus sur un Monsieur SIREIX.

Il faut se rendre à l’évidence, Jean Etienne a été marié une première fois, à Richmond en Virginie. Il est venu à Saint-Barth avec son épouse, mais celle-ci l’a quitté aussitôt. Je n’ai pas trouvé de traces de ce mariage en Virginie.

Le procès de la famille BORNICHE

Le 18 avril 1804, Jean Etienne BORNICHE envois une très longue lettre au Gouverneur ANKARHEIM, au Juge BERGSTEDT et autres Officiers, membres du Conseil Royal.

« Jean Etienne BORNICHE, habitant demeurant en cette île Saint-Barthélemy, faisant tant pour lui que pour Suzanne BERNIER sa femme, et pour ses sœurs, beaux-frères, neveux et nièces ci-après nommés, à savoir...

Pour faciliter la lecture, j’ai repris la liste dans un tableau. Je n’ai pas inclus dans ce tableau les maris, femmes et enfants connus des neveux et nièces.

… Au nombre de quarante sept de la même famille.

 Disant Messieurs, que depuis quelque temps, des personnes mal instruites sur l’origine de la famille du suppliant, ont eu des soupçons mal fondés, du côté maternel, c’est pourquoi il est instant de dissiper ces prétendus soupçons, en démontrant, sous vos yeux, la vérité dans son plein jour » :

Suivront dix points visants à contredire ceux qui répandent l’infâme rumeur. Ces dix points sont tous accompagnés d’une preuve, chaque fois, un extrait des registres paroissiaux. C’est en fait un véritable dossier judiciaire qu’il a préparé, avec, y compris, des actes de notoriété. On peut facilement relier ce procès à la requête de sa sœur Catherine Françoise en 1788. Les rumeurs ne datent donc pas d’hier ! Nous allons ici étudier l’intégralité de la lettre et des pièces, et ainsi éclairer, preuves à l’appui, la généalogie des BORNICHE.

  1. « BAPTĒME DE CATHERINE FRANÇOISE VITTET, mère du suppliant, a été baptisée en cette île, le 19 novembre 1724, sous le nom de Catherine Françoise, fille illégitime de Mr Dominique VITTET, et d’Elisabeth THES, par conséquent, son père était un blanc d’une famille de cette île parfaitement connue, et sa mère était une blanche d’une famille Irlandaise venue d’Europe en l’île de Saint-Christophe. C’est pourquoi cet enfant blanc a toujours pris pour son nom de famille, le nom de VITTET, qui était le nom de son père naturel (voyez son extrait baptistaire, pièce 1) »

On rentre directement dans le vif du sujet, à savoir, les enfants BORNICHE sont accusés de ne pas être blancs. C’est par leur grand-mère maternelle que serait arrivé « l’irréparable ». L’acte de baptême ne dit pas tout à fait la même chose. En effet, le curé a écrit « J’ai baptisé une petite fille illégitime, que quelques personnes disent appartenir à Monsieur Dominique VITTET, je ne sais rien de certain là-dessus, et la mère est Elizabeth THÉS, fille d’Henry THÉS ». On peut noter qu’il est écrit noir sur blanc que la famille THÉS est une famille Irlandaise passée par Saint-Christophe. C’est la seule mention de ce type que je connaisse pour l’instant, et elle vient confirmer la possibilité qu’il y en ait eu d’autres.

  • LA SEPARATION D’ELIZABETH THÉS « Trois ou quatre ans après la naissance de cet enfant nommée Catherine Françoise, Monsieur Dominique VITTET, qui vivait alors clandestinement avec Elizabeth THES, sa mère, se sépara d’elle. Après la séparation, cette même Elizabeth THES, femme blanche, se trouvant dans l’indigence, se maria suivant l’usage du pays lorsqu’il n’y avait point de curé, avec le nommé Jean Baptiste LECOCQ, homme de couleur libre (Voyez l’acte de notoriété 2) ».

Transcription de l’acte de notoriété « Sont comparus en personnes, Albert GRÉAUX âgé de soixante-quatre ans, et François GRÉAUX, âgé de soixante-quinze ans, tous anciens habitants de cette île … lesquels ont dit, déclaré, attesté et affirmé qu’ils ont parfaitement connu Elizabeth THÉS, grand-mère du requérant, pour être une femme blanche, et même, d’une couleur très blanche et très colorée, et qu’ils ont entendu dire souvent par leurs pères et mères, que la dite Elizabeth THÉS, sortait de Saint-Christophe, d’une famille Irlandaise et, qu’étant venue demeurer en cette île … ils se rappellent que lorsqu’elle (Catherine Françoise) s’est mariée avec Jean Baptiste BORNICHE, père du requérant, elle a pris le nom de Catherine Françoise VITTET, qui est le nom de son père naturel ». On peut aussi remarquer que dans les actes son nom est presque toujours raturé, et souvent indique CULET. Je ne sais pas pourquoi. Les VITTET, qui ont donné leur nom au Morne Vité ou Vitet, sont une famille importante au début du 18eme, avec plusieurs Commandants. Ils ne sont pas revenus sur l’île après une évacuation.

  • L’ABJURATION D’ELIZABETH THÉS « Le 16 juin 1729, Jean Baptiste LECOCQ, voulant faire ratifier son mariage avec Elizabeth THÉS, se présenta devant Monsieur Louis François d’ARGENTON, curé de Saint-Barthélemy, qui, avant de passer à la célébration du mariage, fit faire à la dite Elizabeth THÉS, Irlandaise, un acte d’abjuration à sa religion prétendue réformée, afin de professer à l’avenir, la Religion Catholique Romaine (voyez l’acte d’abjuration 3) ».

On peut noter que dans l’acte d’abjuration, Elizabeth est dite fille de Guillaume THÉS et de Magdelaine POTIER.

  • «  le 19 juin 1729, après l’acte d’abjuration, Monsieur Louis François, curé de Saint-Barthélemy, ratifia le mariage de Jean Baptiste LECOCQ avec Elizabeth THÉS (Voyez l’acte de ratification 4) ».

Dans l’acte de mariage, Jean Baptiste LECOQ (le nom est écrit ainsi) est dit fils de Guillaume LECOQ et de Eugenie DUBOCQ et Elizabeth THÉS, fille de Henry THÉS et de Magdelaine POTIER.

  • « Les actes de notoriété des anciens habitants de cette île qui ont été reçus par Mr BERGSTEDT, juge et notaire, prouvent clairement que Catherine Françoise, mère des suppléants, était une femme blanche, fille illégitime de Monsieur Dominique VITTET, homme blanc, et d’Elizabeth THÉS, femme blanche, et sont conformes aux actes ecclésiastiques portés sur les anciens registres. En conséquence, les personnes mal instruites sur l’origine de cette famille, seront pleinement convaincues que Catherine Françoise VITTET, mère du suppliant n’était point fille de Jean Baptiste LECOCQ, homme de couleur, qu’au contraire, elle était fille d’un homme blanc et d’une femme blanche, les actes ecclésiastiques et civils ayant assez démontré la vérité du cote maternel (voyez les actes de notoriété 2 et 5 ».

L’acte de notoriété portant, pièce 5, est le même que celui portant le numéro 2, mais il est signé de Toussaint QUESTEL, soixante-quatre ans, et de Pierre DANET, cinquante-huit ans.

Le point majeur qui ne fait que transparaitre dans tout ceci, pas mentionné par Jean Etienne, c’est que Jean Baptiste LECOQ ou COQ ou LECOCQ n’est pas qu’un homme de couleur libre, il est aussi un ancien esclave. Les épandeurs de rumeur sont sans doute au courant que c’est le sieur VITTET le véritable père de Catherine Françoise, mais d’avoir été élevée par un ancien esclave semble la condamner. Jean Baptiste et Elizabeth auront plusieurs enfants, dont Pierre, baptisé le 24 aout 1733. C’est sur ce baptême que figure l’information à peine croyable écrite par le curé lui même « fils du légitime mariage de Jean Baptiste LE COQ, mulâtre, ancien esclave de son frère Pierre LEGRAND mulâtre qui lui a donné de son plein grès la liberté, et d’Elizabeth THES ». Cela voudrait dire que Pierre LEGRAND est un demi-frère de Jean Baptiste, nés du même père. La mère de Jean Baptiste aurait été une esclave de son père. Il y a plusieurs Pierre LEGRAND sur les documents de Saint-Christophe et Saint-Barth, et même un lieu-dit à Vitet qui porte ce nom.

Pour être sûr de ne pas à revenir dessus un jour, Jean Etienne continue sa démonstration pour le côté paternel

  • « Vers l’année 1720, le sieur Martin BORNICHE, Européen Français, se maria en l’île Saint-Martin avec demoiselle Marie PIMON fille d’une famille blanche bien connue. Lequel Martin BORNICHE, grand-père du suppliant, faisait, dans la dite île Saint-Martin, les fonctions de Chantre dans un temps où il n’y avait presque personne que lui qui sut lire et écrire (voyez l’acte de notoriété 6) »

L’acte de notoriété 6, signé par François et Robert GREAUX, indique « qu’ils ont parfaitement connu le sieur Jean Baptiste BORNICHE, père du requérant, pour être un homme d’une famille blanche contre laquelle il n’y a jamais eu aucun soupçon, et qu’ils ont entendu dire par leurs parents qu’il était le fils légitime de Martin BORNICHE, Européen Français et de demoiselle Marie PIMON, sortie d’une famille blanche parfaitement connue … ».

  • « Le 14 février 1741, Martin BORNICHE, fils de Martin BORNICHE et de demoiselle Marie PIMON, oncle du suppliant, se maria avec demoiselle Marie Renée JACQUE, d’une famille blanche très connue (voyez l’acte de mariage 7) ».
  • « Le 19 janvier 1751, Jean Baptiste BORNICHE, fils de Martin BORNICHE et de demoiselle Marie PIMON, père du suppliant, se maria avec Catherine Françoise VITTET, mère du suppliant, suivant son contrat de mariage reçu par Mr GRÉAUX, alors Comandant en cette île Saint-Barthélemy (voyez le contrat 8) ».

Le contrat de mariage nous apprend que Jean Baptiste est natif de Saint-Martin partie Française. Les demi-frères d’Elizabeth, Pierre et Thomas, sont témoins pour elle. Nous les avons déjà vus, propriétaires de l’ »Habitation Le Cocq » au Quartier du Roi.

  • « Le 13 septembre 1769, Jean Baptiste BORNICHE, père du suppliant et époux de Catherine Françoise VITTET est décédé et a été inhumé dans le cimetière de la paroisse Saint-Barthélemy (voyez l’extrait mortuaire 9) ».
  1. « Enfin, les actes de notoriété des anciens habitants de cette île, ainsi que les actes ecclésiastiques et civils ci-dessus cités prouvent assez clairement l’origine du côté paternel ».

            Après un récapitulatif, Jean Etienne BORNICHE demande que dans la prochaines séance du Conseil Royale soit rendu un jugement « qui déclare que l’origine de la famille BORNICHE sort de familles blanches, tant du côté paternel que maternel, et faire défense à toutes personnes de lui faire aucun reproche sur la qualité sous peine d’amende, et ensuite, autoriser le suppliant à faire imprimer deux cent exemplaires de toutes les pièces authentiques ainsi que de votre jugement, pour être distribués ».

Publication du jugement dans le Report of Saint Bartholomew

           

En 1809, Damas BERNIER, descendant des BORNICHE, et marié à Emelie BERNIER, elle aussi petite-fille d’une BORNICHE, entamera une procédure contre un Jean QUESTEL pour avoir été insulté, traité de mulâtre.

           

Martin BORNICHE, même si son patronyme a disparu et a été oublié depuis longtemps, possède une très nombreuse descendance à Saint-Barthélemy, au Vent, Sous le Vent, en Ville, à Saint-Thomas, sans doute à Saint-Martin, et ailleurs !



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3 réponses

  1. Bonjour Jérôme,

    est-ce que d’autres informations existent concernant Dominique CULET, le parrain de Marie Rose BORNICHE, fille de Jean Baptiste BORNICHE et Catherine CULET tout court sur cet Acte de Baptême ?

    ANOME – bap 1753 de Marie Rose BORNICHE (SAINT-BARTHELEMY folio2) http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=SAINT-BARTHELEMY&commune=SAINT-BARTHELEMY&annee=1753&typeacte=AC_DE

    Cet acte laisse penser que plusieurs CULET sont présents à Saint-Barthélemy à cette époque.

    On a par ailleurs, Dominique VITTET fils qui signe ce qui montre que ça ne semble pas être une question d’écritures entre VITTET et CULET.

    Laurent

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