Des senneurs Saint-Martinois viennent dans nos eaux nous prendre notre poisson …
Le 26 juillet 1806
« A son excellence,
Monsieur le Gouverneur,
Président,
et à Messieurs les honorables juge et membres du tribunal civil de l’île Saint-Barthélemy,
Vous exposent très humblement, Pierre DANET, Pierre MAYER, Pierre Paul LEDÉE, Charles BRIN et Jacques LÉDÉE, habitants et pêcheurs senneur demeurants en cette dite île,
Disant Messieurs, que depuis longtemps, les pêcheurs senneurs de Saint-Martin ont fixé leur pêche en cette île, au point qu’ils occupent continuellement les anses où il y a le plus de poisson, et mettent par là les suppliants dans l’impossibilité de faire agir leurs senneurs, et quand bien même ils pêcheraient, ils ne parviendraient jamais à prendre du poisson, parce que ces pêcheurs de Saint-Martin, relèvent leurs sennes de l’eau sans les faire atterrir sur les anses, ce qui effarouche le poisson, et le fait retirer au large à une distance de terre qu’il n’est point possible de l’entourner. Il résulte de cela, Messieurs, que les habitants souffrent considérablement pour la raison qu’ils ne peuvent aider à atterrir les sennes de Saint-Martin, et qu’ils sont privés des pêches des suppliants puisque leurs sennes ne peuvent agir.
C ‘est à la sollicitation des habitants, que les suppliants osent requérir de votre justice, qu’il soit mis défense à ces pêcheurs de seiner vu le tort qu’ils font aux propriétaires de senne de cette île et au public, notamment aux habitants qui le plus souvent ne tiennent leur existences que des sennes des suppliants.
Les suppliants persuadés d’avance de l’attachement que vous porterez en leur faveur, ne cesseront leurs vœux pour votre prospérité, et ferez justice »
Gustavia, Saint-Barthélemy

Dans ce document, comme d’autres sur le sujet de la pêche à la senne, on mesure bien l’importance non seulement économique de la senne dans le Saint-Barth d’avant, mais aussi, et surtout, son importance dans la vie sociale de l’île. En effet, si le propriétaire de la senne, le maître de senne, les équipages, les raccommodeurs y voyaient sans doute l’occasion de quelques revenus, les autres, les petites mains, les batteurs d’eau, les tireurs à terre, les ramasseurs du poisson, les habitants en général, tout le monde en tirait quelque chose, et, à cette époque de pauvreté, quelque chose, c’était non seulement mieux que rien, mais c’était primordial pour la survie d’une famille.
A cette époque, les pêcheurs sont embarqués sur des pirogues, et c’est à la rame qu’ils pêchent au fond le long des côtes. Il n’est pas question de gros poissons, de dorade, de thon ou de wahoo qu’on ne peut pas aller trainer au large à la rame. Alors, avec un bon coup d’senne on peut amasser d’un coup une grosse quantité de poisson qu’on pourra saler et garder. La senne est nourricière, elle permet d’alimenter la multitude avec une ressource disponible assez facilement et proche du rivage. Elle rassemble ceux qui possèdent un bateau, un filet et ceux qui n’ont rien, et qui, quoi qu’ils puissent offrir comme service, seront quasiment assurés d’avoir une part de poisson à ramener chez eux.

On voit bien dans la supplique adressée par ces pêcheurs Saint-Barth, que ce n’est pas tant le « manque à gagner » comme on dirait maintenant, qui est mis en avant, mais le fait que les pêcheurs Saint-Martinois tirent leur poisson en mer, « sans les faire atterrir sur les anses ». Ils ne font pas seulement que prendre ou voler le poisson, en ne le tirant à terre comme la coutume Saint-Barth le voudrait, ils n’en font pas profiter les habitants, .
Alors forcément, lorsqu’un déséquilibre apparaît, il met le délicat édifice en péril, et tous se rallient pour protéger la communauté qui prime. Les pêcheurs Saint-Martinois menacent la survie des habitants, alors ceux-ci poussent leurs pêcheurs à intervenir auprès du gouvernement. Il faut réagir et sauver notre poisson, pour manger et pour rester dignes.
Je n’ai rien vu passer de plus concernant les plaintes contre les pêcheurs des îles voisines.
On peut penser que cela s’est arrêté rapidement, de toutes façons, pendant les guerres de course de l’époque Napoléonienne, venir de Saint-Martin en barque devait représenter un certain risque, les corsaires Français et Anglais faisant feu de tout bois, n’hésitant pas à rançonner des pêcheurs à l’entrée même de la rade de Gustavia.
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