La colonisation de Saint-Christophe, Pierre Belain d’Esnambuc, sur les traces des premiers colons Français en 1627,

Carte_de_Saint-Christophe_Sanson_1650

Carte de Saint-Christophe datant de 1650 par Nicolas Sanson

Il existe deux théories principales, mais aussi quelques variantes de l’une ou de l’autre, quant aux évènements précédant l’installation des premiers colons Français sur l’ile de Saint-Christophe :

La première,

Courant 1625, après un dur combat contre un galion Espagnol de 400 tonneaux aux environs des iles Caïmans, le corsaire Français Pierre Belain d’Esnambuc touche l’île de Saint-Christophe pour réparer. Il y trouve quelques Français sous les ordres d’un certain Prempain dit Champeaux de Caen.

Ils sont occupés « à faire du jardinage pour planter, cultiver et recueillir nombre et quantité de Pétun » qu’ils troquent contre des marchandises à des négociants de Rouen. Ces premiers Français s’y seraient établis vers 1618.

Des Anglais, sous le commandement d’un Thomas WARNER, viennent d’y arriver, juste avant d’Esnambuc. Dans le milieu de l’année 1626, d’Esnambuc et Warner, plus ou moins en même temps, voguent vers leur métropole respective chercher des renforts. C’est la version généralisée par le père Du Tertre dans son livre « histoire générale … » et reprise en partie par Pierre Margry dans son livre « Belain d’Esnambuc et les Normands aux Antilles ».

La deuxième version est celle de Philippe Barrey exposée dans son livre « Les origines de la colonisation Française aux Antilles : la Compagnie des Indes Occidentales » (cette version est en grande partie reprise par Auguste Joyau dans son livre « Belain d’Esnambuc » et par Eric Roulet dans son livre « La Compagnie des îles de l’Amérique 1635-1651 »).

Barrey a étudié, déchiffré et analysé les documents notariés du Havre et s’appuie sur des documents originaux pour étayer l’essentiel de sa théorie.

D’Esnambuc, alors âgé de 18 ans, fait partie en 1603 de l’équipage d’une barque de 45 tonneaux qui part « à cannibales et autres lieux en la côte du Brésil » (quel exotisme !). Cela veut dire que depuis longtemps avant 1625, il est familiarisé avec la route vers les îles du Pérou (comme on appelle alors les petites Antilles).

D’Esnambuc part fin janvier 1620 du Havre sur le navire « La Marquise », mais on n’entend plus parler de lui jusqu’en 1623. Que fait-il pendant ces trois années ? Aurait-il pu partir pour un voyage « mixte » mêlant la course (la flibuste) et le commerce ? Aurait-il pu déposer des hommes à Saint-Christophe pour s’en faire comme une base arrière, pour y cultiver des vivres ? Y auraient-ils cultivé du tabac ?

En 1623 donc, d’Esnambuc repart du Havre sur le navire de 100 tonneaux « L’Espérance » à destination « du Pérou (les petites Antilles), le Brésil et autres iles et parties de l’aval ». Il doit surement repartir pour un voyage mixte comme en 1620, mais il semble que pour ce voyage il ait des associés importants.

Quand il retourne sur Saint-Christophe, en fin du voyage donc, il retrouve ses « jardiniers », mais aussi les marins d’un autre navire havrais, « La Levrette », ramassés à la Martinique ou à la Dominique par le bateau « Le Saint-Louis » et déposés là à leur demande. Tout ce beau monde travaille pour Henry de Chantail (au départ du Havre en 1623, Lieutenant de D’Esnambuc) et Primpaux de Caen.

Cette installation à Saint-Christophe semble avoir servi de base à l’installation de 1627.

Entre temps les Anglais sont arrivés et occupent la moitié centrale de l’ile sous le commandement de Thomas WARNER.

Un peu plus tard, le corsaire Urbain de Roissey arrive aussi à Saint-Christophe. Selon Barrey, c’est lui qui aurait combattu le galion Espagnol (et non d’Esnambuc comme l’affirme le père Du Tertre).

Cet arrivage soudain d’hommes blancs perturbe les relations plutôt bonnes que les Français entretenaient avec les indigènes.

On ne sait pas non plus combien de temps dure ce « 2eme » voyage de d’Esnambuc, mais, partant du principe qu’il dure aussi trois ans, cela coïncide alors avec son arrivée au Havre à la fin de l’été 1626 avec un important chargement de tabac (qui permettra, outre de se financer, de prouver l’intérêt d’une installation Française à Saint-Christophe). De nombreux indices, sans être des preuves irréfutables, plaident en faveur de cette version.

Une fois arrivé en France, et avec l’aide de son ami, peut-être aussi commanditaire, Jean Cavelet, un riche et influent commerçant du Havre, il réussit à convaincre le cardinal de Richelieu de créer la « Compagnie des Indes Occidentales », dont le contrat d’association (qui ne mentionne pas le nom de cette compagnie d’ailleurs) est signé le 31 octobre 1626.

Richelieu donne la permission à d’Esnambuc et Roissey de « peupler, fortifier, cultiver et faire encadrer religieusement les autochtones et les colons, dans les iles de Saint-Christophe et de la Barbade pour 20 ans ». Ils doivent lui rendre compte de leur mission.

La compagnie est dotée de 45 000 livres. Avec l’argent, d’Esnambuc et Roissey disposent de 3 navires : « La Victoire » qui appartient à Roissey et se trouve au port Saint-Louis, une patache de 120 tonneaux « La Catholique » et enfin une autre patache de 60 tonneaux, « La Cardinale ». On recrute semble-t-il en Normandie et en Bretagne.

Le document d’engagement est signé le 13 janvier 1627, devant le notaire et tabellion royal au Havre Jean FREQUET. Ce document est en très mauvais état et il n’y a pas de certitude quant au nombre total de personnes qui s’apprêtent à partir pour Saint-Christophe.

Le père Du Tertre parle de 532 hommes. Barrey en estime 246 (231 noms que l’on peut lire auxquels il en ajoute 15 par extrapolation, en tenant compte des espaces disparus), d’autres parlent de 300.

Sur les 231 noms indiqués, on dispose de l’origine pour 227 d’entre eux. La plupart sont originaires de Normandie : 52 du Havre, 16 de Honfleur, 13 de Rouen, 13 de Fécamp, les autres de plus de 80 localités différentes dont Paris en tête. Par contre, si on lit bien le texte du contrat à la suite de l’énumération des signataires présents au Havre, il est bien dit « ...non compris ceux qui sont en Bretaigne (sic) », ce qui tendrait à signifier qu’ils sont plus nombreux, et qu’un autre contrat a pu être signé au port Saint-Louis.

Les navires quittent le Havre en février 1627, mais tout le monde n’est pas non plus d’accord sur la date… ! Pour le père Du Tertre, c’est le 24 février, pour Margry, c’est fin janvier. Il se peut que les dates différentes proviennent du fait qu’une partie de la flotte est d’abord partie du Havre pour rejoindre les autres alors à Saint-Louis, et qu’ensuite, la flotte complète soit partie de ce port.

La traversée dure 2 mois et demi, dans des conditions de confort et d’hygiène qu’on peut imaginer, et pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils prennent la mer ! Barrey site un auteur selon lequel, sur les 70 colons embarqués sur le navire de Roissey, il n’en survit pas 16… Mais de toute façon personne n’est d’accord sur le nombre de colons sur chacun des navires. Ce qui semble certain, c’est que le taux de mortalité pendant les voyages est assez élevé pendant toutes les premières années de la colonisation, et qu’il est vraisemblable que des colons signataires soient décédés pendant la traversée.

Ils arrivent à destination le 8 Mai 1627, et les trois navires jettent l’ancre à la Pointe Sable, au nord-ouest de Saint-Christophe, attendus par les 80 Français qui étaient restés dans l’île après le départ de D’Esnambuc et de Roissey. Entre temps, le camp Anglais s’est renforcé avec le retour d’Angleterre de Warner en Aout 1626.

Les avis divergent encore une fois sur l’état des colons lorsqu’ils débarquent. D’après Du Tertre, une trentaine de colons n’eurent pas la force de se défendre contre les crabes de terre, et furent dévorés sur la plage le soir même … ce qui semble tout de même un peu exagéré… Quoi qu’il en soit,

C’est par ce débarquement, le 08 mai 1627 à Saint-Christophe, que commence donc officiellement la colonisation Française aux Antilles.

Le contrat d’engagement de 1627

 

L’acte d’engagement signé le 13 janvier au Havre est aux archives départementales de la Seine Maritime, et, comme le dit Barrey (qui a consulté l’original avant la publication de son livre en 1918,) il semble être dans un piteux état. Des pages sont rognées par le temps et l’humidité, et des noms ont disparus pour toujours ; s’y ajoute l’écriture des débuts du 17siècle qui rendent l’ensemble difficile à déchiffrer.  L’acte est retranscrit par Barrey dans son livre. Même, en agrandissant au maximum les photos du document pour essayer de lire, c’est pratiquement impossible pour un non initié.

On peut imaginer qu’une grande partie de ces engagés a à peine 20 ans (la moyenne d’âge calculée par des chercheurs sur les engagements signés dans les années 1630 est de 23 ans, mais on trouve des engagés de 14 ans sur certains contrats). Certains, peu nombreux, ont reçu un peu d’éducation car ils savent signer leur nom. Ils sont engagés pour 3 ans et doivent principalement cultiver du Pétun (tabac) et des vivres (manioc, patates, bananes et autres fruits et légumes). Les engagés, en plus des « impôts » qu’ils doivent à la Compagnie et aux Capitaines, sont également obligés de participer à la construction et à l’entretien des forts et des chemins. Ils participent également à la défense de la colonie. Il n’y a pas de femmes dans l’ile, et les premières n’arriveront que plus tard. On peut donc supposer qu’ils restent célibataires assez longtemps. Seuls quelques-uns survivent aux trois ans de dur labeur dans des conditions de vie terribles. Engagés auprès d’un planteur qui a avancé pour eux le prix du voyage, ils ne peuvent reprendre leur liberté qu’à l’issue du contrat, puisque c’est à ce moment-là que leur dette sera payée, avec, en prime, une quantité prévue de pétun ou un lopin de terre pour s’installer à leur tour.

Sur les 231 noms que Barrey a retranscrit du contrat de 1627, on en retrouve 36 sur le Terrier de Saint-Christophe daté de 1671, et on en retrouve 3 sur le recensement de Saint-Barthélemy de 1681, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce sont des descendants de ces premiers colons, peut-être ne sont-ils que des homonymes.

C’était donc il y a presque quatre cent ans aujourd’hui que des colons Français prenaient pieds sur l’île de Saint-Christophe. C’est principalement de cette île que les premiers colons installés plus tard en Guadeloupe, Martinique, Grenade, Saint-Barth et Saint-Martin arriveront.

Dans l’étude des premiers habitants de notre île, nous reviendrons donc souvent sur Saint-Christophe appelée de nos jours, Saint-Kitts.

2E70-177_001

1ère page du contrat d’engament de 1627 – Archives départementales de la Seine Maritime

2E70-177_007

page 7 du contrat de 1627 avec les signatures ou marques d’une partie des colons – Archives départementales de la Seine Maritime

2E70-177_002

page 2 du contrat de 1627  –  Archives départementales de la Seine Maritime

2E70-177_006

page 6 du contrat de 1627 – Archives départementales de la Seine Maritime



Catégories :AUBERY, AUBIN, BRIAULT, COLONISATION, D'ESNAMBUC, Greaux, ROISSEY, SAINT-CHRISTOPHE, Uncategorized

4 réponses

  1. Bonjour,
    Voici un très bel article. Permettez-moi toutefois quelques précisions paléographiques : il est totalement impossible de lire « Gréault » pour le premier nom. C’est bien « Briault » qui est écrit, ainsi que le prouve la signature. Linguistiquement, il n’est pas non plus possible de passer de Briault à Gréaux. Il faut donc conserver la lecture « Briault » et supposer que le patronyme « Gréaux » vient d’ailleurs.
    Pour les « Aubery », pareillement, pas de doute sur la lecture, dans les deux cas. Même dans les cas où l’on pourrait confondre le -n final avec un -y final, la lettre est précédée de la ligature -er-. Le point que l’on voit à chaque fois au-dessus de la fin du mot sert précisément à indiquer qu’il s’agit d’un Y et non d’un N.
    Cordialement,

    J’aime

    • J’oubliais : auriez-vous les références (ou le lien direct) du contrat aux Archives de la Seine-Maritime ? Je ne parviens pas à le trouver dans les archives notariales de Fresquet au Havre.

      J’aime

      • Le document n¹est pas en ligne, j¹ai commandé la digitalisation qui n¹avait pas été faite jusqu¹à présent.

        JER0ME MONTOYA

        5 rue de Saint-Thomas La Pointe, Gustavia, 97133 Saint-Barthelemy French West Indies

        Tel: +590 690 587918

        From: The Saint-Barth Islander Reply-To: Date: Thursday, July 16, 2020 at 11:30 AM To: JER0ME MONTOYA Subject: [The Saint-Barth Islander] Comment: « La colonisation de Saint-Christophe, Pierre Belain d¹Esnambuc, sur les traces de Jacques GREAUX et des premiers colons Français en 1627 il y a 392 ans aujourd’hui »

        WordPress.com

        J’aime

    • merci beaucoup Monsieur pour votre commentaire et ces précisions. Je viens de mettre à jour.
      Cordialement

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :