Abraham Hodge

Je n’avais pas évoqué la famille Hodge jusqu’ici, c’est-à-dire les ancêtres de nos Hodge de Saint-Barth. Aujourd’hui nous essayons de réparer ce manque.

Tout semble partir d’un Abram ou d’Abraham Hodge, sur lequel on ne trouve aucun document, à l’exception de l’enregistrement de la naissance de ses enfants.

Emma Euphrasie Hodge   

D’après son acte de naissance, elle est née le 16 août 1880 à Gustavia. Elle est déclarée par Abram Hodge, marin, âgé de vingt-cinq ans, demeurant à Gustavia, qui reconnaît être le père. La mère est la demoiselle Anastasie Vincent, servante, âgée de vingt-quatre ans. Les témoins sont François Félix Gréaux, cordonnier, et William Bridgwater, journalier. Aucun d’eux ne sait signer.

Le baptême, daté du 2 septembre 1880, indique qu’elle est la fille naturelle et reconnue d’Abram Hodge et d’Anastasie Vincent. Parrain Jean-Baptiste Télémaque et marraine, Éloïse Duzant.

Rodolphe Edouard Hodge

                  D’après son acte de naissance, il est né à Gustavia le 29 mai 1892. Abram Hodge, charpentier et âgé de 37 ans, se reconnaît comme le père de l’enfant. La mère est demoiselle Anastasie Vincent, âgée de 32 ans et boulangère à Gustavia. Les témoins sont Octave Brin du Rhin (Lurin) et Octave Gumbs de Gustavia. Aucun d’eux ne sait signer.

Florentin Herménégilde Hodge

                  D’après son acte de naissance, il est né à Gustavia le 24 mai 1895. Abram Hodge, charpentier et âgé de 36 ans, se reconnaît comme le père de l’enfant. La mère est Anastasie Vincent, dite Anna, boulangère à Gustavia. Les témoins sont Ernest Clément Magras, marin à Gustavia, et Jules Baptiste, maçon du quartier de Saint-Jean. Seul le témoin Magras sait signer.

On comprend bien, d’après ces actes, qu’Abram Hodge et Anastastie Vincent ne sont pas mariés. Ceci complique nos recherches. En effet, l’acte de naissance et l’acte de décès d’Abram Hodge étant introuvables, on ne peut donc pas en connaître la filiation.

Commençons par Anastasie Vincent, c’est plus simple.

Anastasie Vincent est née entre les quartiers de Saint-Jean et de la Grande Saline le 17 mai 1856.

Archives départementales de Guadeloupe

Son père, Julien dit Agnus Vincent, est né esclave de Jean Laplace vers 1820 au quartier de la Grande Saline. Julien est lui-même le fils de Toussaint Vincent, né sur l’île éponyme. Lorsque Toussaint Vincent épouse Jeanne, dite Questel (les parents de Julien), en mars 1846, il est dit qu’il appartient à Jean-Baptiste Déravin.

Sa mère, Jeanne Hilaire, est née vers 1825 à la Petite-Saline, fille de Jean Hilaire et de Luce, a priori également esclaves.

On peut noter que, parmi les treize frères et sœurs d’Anastasie, quatre sont nés esclaves.

Avant d’être en couple, ou du moins, en relation avec Abram Hodge, Anastasie a déjà eu deux enfants avec James Théodore Gumbs, mais ils n’étaient pas mariés.

Marie Euphlérie, fille naturelle, née le 9 avril 1875, et baptisée le 18. Son parrain est Pierre Henri Almeida, sa marraine, Anne Marie Vincent, et l’une de ses tantes maternelles. A cette époque il n’y a pas d’état civil et elle ne porte pas de patronyme car ses parents ne sont pas mariés. Marie Euphlérie épouse Claude Joseph Lucien Magras à Saint-Christophe le 28 avril 1903.

Emmanuel Victor, fils naturel né le 30 décembre 1876 et baptisé le 9 janvier 1877 à Gustavia. Sur l’acte de baptême, le curé lui donne cependant le patronyme de Vincent.

Pour les personnes résidentes sur notre île à la suite de la rétrocession de 1878, on peut également se référer au recensement effectué à cette époque.

Le Recensement de 1878

On y retrouve, à la suite de ses parents, et avec ses sœurs, sous la lettre V pour Vincent :

Anastasie Vincent, âgée de 22 ans, née à Saint-Jean, habitant Gustavia, servante.

Et on retrouve ses enfants, non plus sans patronyme ou sous Vincent, mais, à la lettre G avec leur père :

James Théodore Gumbs, né à Saint-Barthélemy, cordonnier, âgé de vingt-six ans, fils de feu James et de Judith Ann Mussenden,

Euphleurie Gumbs, fille de James Gumbs et d’Anastasie Vincent

Victor Gumbs, âgé de deux ans, fils de James Gumbs et d’Anastasie Vincent.

Le père a-t-il reconnu les enfants entre-temps ?

En recherchant en ligne, on arrive à retrouver :

Rodolphe Edward Hodge quitte Saint-Barthélemy en 1912. Il arrive à Ellis Island le 8 mars 1912 à bord du Steam Ship Parima de Saint-Kitts. Sur le manifeste, il est indiqué qu’il a 28 ans, qu’il est secrétaire, qu’il est noir et que son père s’appelle Abraham Hodge. Sa destination finale est Brooklyn à New York. Il a, en tout et pour tout, 30 dollars sur lui. Il dit qu’il est déjà venu aux États-Unis, à Brooklyn précisément. D’ailleurs, il indique qu’il se rend chez son frère, Victor Gumbs, au 38, St Philip Street, à Brooklyn. Il est en bonne santé et mesure 5 pieds 8 pouces.

Le 4 mars 1936, il dépose sa déclaration d’intention de devenir citoyen américain. Dans cette déclaration, il indique qu’il est né à Basseterre, en Guadeloupe, tout en précisant la bonne date de naissance. Il confirme être arrivé à New York le 8 mars 1912. Il s’est marié avec Florence Dudley le 20 octobre 1917 à New York. Elle est native d’Antigua. Ils ont deux enfants, Edna, née le 18 juillet 1918, et Ralph, né le 23 janvier 1923, les deux nés à New York.

Emma Euphrasie arrive à New York le 15 octobre 1913, en provenance de Saint-Kitts, à bord du SS Korona. Elle est dite âgée de 31 ans, domestique. Son père est Abraham Hodge, et elle se rend à Brooklyn. Elle possède 50 dollars, et donne l’adresse de son frère Victor Gumbs. Elle est noire et mesure 5 pieds 8 pouces.

Dans les documents en ligne, on trouve un Philippe Hodge qui semble bien être un autre fils d’Abraham Hodge et d’Anastasie Vincent. Il serait né le 1er août 1888 aux Antilles françaises, mais sans précision. Je n’ai rien d’autre sur lui.

On retrouve aussi Victor Emmanuel Gumbs à New York, donc. Il est arrivé de Saint-Kitts à bord du SS Korona le 2 juin 1907. Sur le manifeste, il  est dit trentenaire, boulanger et noir. Il a trente dollars en poche, et il dit qu’il va chez une amie, Miss Smith, au 200 Nassau Street à Brooklyn. Nous avons bien une famille Smith à Gustavia à cette époque, mais il est difficile de savoir de qui il s’agit précisément. Dans son dossier de naturalisation de 1926, il indique avoir épousé une certaine Clarita Gomes, native de Saint-Thomas. Il se trouve qu’il l’a épousée à NY le 17 octobre 1912. À cette époque, il habite à Fulton Street, à Brooklyn, et il est secrétaire d’expédition. Victor et Clarita ont trois enfants : Théodore Arnold, né à Brooklyn le 29 juillet 1913 ; Thelma Anna, née en 1915 ; et Victor Emmanuel Junior, né en 1918.

On peut aussi ajouter que sur le bateau sur lequel Victor Emmanuel Gumbs arrive à New York, il y a James Hildevert Lake, né à Gustavia le 3 avril 1888.

Nous verrons Florentin Herménégilde plus loin.

Mais revenons à Abram, ou Abraham Hodge, puisque nous sommes surtout là pour lui.

Comme on l’a dit plus haut, on ne trouve rien sur lui, à l’exception des actes que nous avons déjà cités. Sauf, deux entrées dans le recensement de 1878 et une furtive mention dans le cadastre suédois.

Prenons la fiche cadastrale du lot #32 du quartier Svearne (celui de l’ancienne mairie). D’après ce document, il semble que la curatelle récupère, le 12 juillet 1892, soit le lot, soit une maison située sur ce lot, de la succession de Jane Découdré, décédée sur notre île en 1884. La date qui suit est difficile à déchiffrer, mais, il est écrit que la curatelle vend (cette maison ou ce lot) à « Abram Priest dit Hodge » dans les années 1890. Tiens tiens … courons donc voir le recensement de 1878 …

Fiche du lot 32 dans le cadastre de l’époque suédoise

Les deux mentions dans le recensement de 1878 :

La première on la trouve sous :

Abraham Priest, fils d’un père inconnu et d’Elena Priest. Né à Gustavia, âgé de 23 ans, marin.

Abraham Priest sur le recensement de 1878

La ligne juste au-dessus est occupée par sa mère, dite native de Saint-Martin (partie française), âgée de 59 ans, cuisinière, fille de feu Peter Priest et de Judith Harp.

On a donc un Abraham Priest, de père inconnu, né vers 1855. Il faut savoir que, dans le recensement de 1878, les pères inconnus, par ailleurs, sont en général nommés sans plus d’état d’âme par celui qui dresse le recensement.

La deuxième mention rejoint celle qu’on vient de voir dans le cadastre :

On peut tout de suite noter que l’entrée est barrée … forcément, on retrouve Abraham sous le patronyme Priest un peu plus loin, me direz-vous. Sûrement aussi que le releveur avait les bonnes infos et s’est laissé aller avant de se rendre compte que cela pouvait poser des problèmes. C’est d’autant plus évident qu’aucun des autres Hodge présents dans ce recensement (au-dessus et en dessous) n’a de relation de parenté avec lui.

On le trouve donc sous Abraham Hodge, né à Gustavia, âgé de 23 ans, marin, fils de Vaucrosson Hodge et d’Elena Priest.

Abraham Hodge sur le recensement de 1878

Nous sommes bien en présence de la même personne. Abraham Priest, fils naturel d’Elena Priest, né vers 1855, est bel et bien l’alias d’Abraham Hodge, ou d’Abraham Priest dit Hodge.

Alors, qui est le père d’Abraham ? Malheureusement, je ne peux pas nommer son père avec précision.

En effet, nous avons deux Vaucrosson Hodge à la même époque.

Jean Jacques Vaucrosson Hodge, né vers 1832 à Gustavia, fils de William Benjamin Hodge et de Sarah Jane Vaucrosson,

Et

Théodore Wallace Vaucrosson Hodge, né à Gustavia vers 1836, fils des parents indiqués ci-dessus.

On peut penser que c’est JJ Vaucrosson Hodge le père, étant donné le très jeune âge qu’aurait eu Théodore en 1854/1855 pour être père. On peut donc dire que c’est William Benjamin Hodge, le grand-père.

William Benjamin Hodge est un homme très riche et influent, commerçant à Gustavia, né à Saint-Martin vers 1801. Il est conseiller du gouvernement de notre île. Il a une descendance en Amérique de nos jours. L’un de ses fils, encore très jeune, a eu un enfant « accidentel » avec une cuisinière, sensiblement plus âgée que lui, de Gustavia, puis est décédé de fièvres presque immédiatement après la naissance. Tout le monde devait le savoir, d’où l’inscription sous Hodge au recensement de 1878.

D’une manière ou d’une autre, Abraham a pu retrouver le patronyme de son père, puisqu’on ne le retrouve plus sous Priest après 1878.

Avant de continuer plus loin, petit retour sur ce qu’on trouve concernant Abraham et sa mère sur les quelques recensements d’avant 1878:

Sur le recensement de 1854, on trouve Helen Priest sous le nom d’Eleanor Priest.

Elle vit dans une maison située sur le lot 618, qui appartient à Charlotte Maria Douglas, épouse du gouverneur James Harlef Haasum. Elle est âgée de 27 ans, née à Saint-Martin et elle est dite blanchisseuse. Elle vit avec sa mère Judith, âgée de 54 ans, blanchisseuse, et native de Saint-Martin. Je pense qu’on y retrouve également son père, même si le nom est mal orthographié : Peter Piere. Il est âgé de 54 ans et originaire d’Antigua. Avec la famille, vivent Harriett Cuvelje, 12 ans, Edward Cuvelje, 11 ans, et Julia Cuvelje, 7 ans. Ce sont les trois enfants que Helen Priest a eus avec John William Cuvelje, musicien et domestique du gouverneur, né à Gustavia vers 1824.

Sur ce lot, on trouve de nombreuses autres familles dont plusieurs membres sont originaires d’Afrique.

Au recensement de 1857, toujours sur le lot 618, on la retrouve sous le nom d’Eleanor Price. Judith, sa mère n’est pas mentionnée, mais on retrouve Harriett, Julia et Edward, et Abraham, âgé de 2 ans, fait son apparition.

Au recensement de 1866, la famille a déménagé. Elle habite sur le lot 15, qui appartient, semble-t-il, à John William Cuvilje. Il y a Edward, Harriett, Judy et Abraham. Le lot 15 est dans le quartier Berget, à droite sur la route menant au fort, quelque part au-dessus du « Repaire » actuel.

Au recensement de 1869, rien n’a changé, mais Abraham, âgé de 14 ans, semble être apprenti, sans doute en charpente comme son demi-frère Edward. On peut noter que le terrain semble appartenir à John William, tandis que la maison appartient à ses enfants.

Au recensement de 1872, dernier recensement disponible avant celui de 1878, on retrouve Éléanor Priest, devenue cuisinière, Julie, servante, et Abraham, toujours apprenti.

La descendance actuelle d’Abraham Hodge sur notre île passe par son fils cadet, Florentin Herménégilde, né à Gustavia le 24 mai 1895. Sur son livret militaire, il n’y a indiqué que le nom de sa mère. Florentin a été militaire de carrière, et il a un beau parcours… il a vu du pays !

Il est incorporé à la compagnie d’infanterie coloniale de Guadeloupe puis envoyé directement en France. Il débarque à Saint-Nazaire le 7 juillet 1915, et est affecté dès le lendemain au 7e colonial. Il est transféré au 54e colonial le 10 octobre 1915, où il combat aux Dardanelles. Il retourne à la compagnie de la Guadeloupe le 24 novembre 1917.

Il est nommé caporal le 6 novembre 1918 et s’engage pour cinq ans. Il semble qu’il soit en Guadeloupe à ce moment-là, puis il est embarqué le 7 janvier 1920 à destination de la France. Il débarque au Havre le 30 du même mois. Affecté dans un régiment colonial, on l’envoie à Marseille, et il embarque le 29 mai 1920 « à destination de l’Orient ». Je n’arrive pas à déchiffrer le nom du régiment, mais il passe sergent le 1er décembre 1921. Il est rapatrié le 4 mars 1922 et affecté au 7e Régiment d’infanterie coloniale. Il embarque de Constantinople le 14 mars 1922, débarque à Marseille 5 jours plus tard. 

Il est autorisé à se rendre, à ses frais, en Guadeloupe pour y bénéficier d’un congé de fin de campagne de trois mois. Il embarque à Bordeaux à bord du « Pérou » le 6 avril 1922.

Il est désigné pour continuer son service « au Levant ». Il s’engage à nouveau pour cinq ans. Il est affecté au 1er régiment mixte indochinois. Les régiments changent de nom, ce qui n’est pas facile à suivre, mais il est autorisé à prolonger son séjour au Levant d’une quatrième année en 1927. Il passe au 4e régiment d’infanterie malgache le 22 février 1928.

Le bataillon est rapatrié en France et embarque à Beyrouth à bord du vapeur Lamartine le 31 octobre 1928, puis débarque à Marseille le 8 novembre. Il est transféré au 42e Régiment d’Infanterie de Marine, puis admis au corps des sous-officiers de carrière le 5 novembre 1928.

Il prend congé du 20 novembre 1928 au 29 septembre 1929. À son retour en France, il est hospitalisé pendant une dizaine de jours à l’hôpital de Bergerac.

Il embarque à Bordeaux le 27 mars 1930 à bord du « Pellerin de Latouche », à destination des Antilles. Il est nommé Sergent-Chef en mai. Il termine sa carrière militaire en Martinique, où il reste presque deux ans. Il a été au service actif pendant dix-sept ans.

Il est proposé pour la médaille militaire en 1937, mais la proposition est annulée à la suite de son décès.

Sans doute lors de son premier congé, Florentin Herménégilde Hodge aura un fils unique avec Louise Inez Albertine Gumbs. Florentin Pierre Emilien Hodge naît le 4 juillet 1918.



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