Le 8 mai 1788, Charles Bernier fils vend au sieur Jean Delferriere « une petite portion de terre de mon habitation, sise et située au quartier de l’Anse Saint-Jean, contenant soixante pieds carrés de terre, plus ou moins, bornée au sud par le dit sieur vendeur, au sud-ouest par madame veuve Borniche, au nord-ouest par le grand chemin, au nord par monsieur Antoine Giraud ». Est-ce que cette portion de terre est issue de celle, mesurant ¾ de carré, que Charles avait achetée en mars de la même année à François Gréaux et Madelaine Brin ?
Le texte rédigé par le notaire indique bien soixante pieds carrés de terre, mais je pense qu’il faut lire que la portion de terre mesure soixante pieds sur soixante pieds, soit trois mille six cents pieds carrés. En effet, que la mesure soit prise en pieds français ou en pieds anglais, avec soixante pieds carrés, on parle d’une surface d’environ six mètres carrés. Avec soixante pieds sur soixante pieds, on parle d’un terrain d’environ 350 mètres carrés, ce qui, bien que petit, est plus logique que les six mètres carrés indiqués.
Mais qui est ce Jean Delferriere ?
On ne trouve pas grand-chose sur lui à vrai dire, mais comme je ne l’ai pas encore évoqué, découvrons-le aujourd’hui.
Le 6 mai 1788, « en la maison et sur l’habitation du sieur Robert Gréaux size et située au quartier du Roi, en présence, de la part du futur époux, de Jean Marie Lanoix et d’Antoine Nestolat cadet, négociants à la ville de Gustavia et, de la part de la demoiselle future épouse, du sieur Jean Bernier, résident en cette île, et du sieur Pierre Gréaux, oncle de ladite demoiselle, habitant et résident en l’île de Saint-Vincent » on marie (civilement)
Jean Delferiere, majeur d’âge, natif de Gerpienne, terre de l’empire, fils légitime d’Adrien Delferiere et de Marie-Thérèse Piron, paroisse Saint-Michel,
Et
Madelaine Gréaux, fille majeure d’âge, native de cette île, fille de Robert Gréaux et de dame Madelaine Brémond, habitants de ladite île.
Le patronyme du marié s’écrit de différentes façons selon les actes. D’après sa signature, il faut lire Delferrier, mais on le trouve aussi sous les formes Deferieres, Delfevier, Delferier ou Detferieres.
Il est originaire de Gerpinnes, localité située aujourd’hui en Belgique, à une dizaine de kilomètres au sud de Charleroi.
La Belgique n’existant que depuis 1830, il n’était pas belge.
À l’époque de sa naissance, Gerpinnes faisait partie du comté de Hainaut, lui-même rattaché aux Pays-Bas autrichiens, possessions de la monarchie des Habsbourg d’Autriche. Les Pays-Bas autrichiens correspondent approximativement à la Belgique actuelle avant son indépendance.
Jean Delferrier était donc sujet de l’archiduchesse Marie-Thérèse d’Autriche.
Jean Delferrier est baptisé le 19 février 1757 à Gerpinnes. Comme il n’y a aucune autre indication sur l’acte, j’en déduit qu’il est né le même jour.

Marie Madelaine Gréaux est née le 10 août 1768 à Saint-Barthélemy. Elle réside à l’Anse-des-Cayes
Le couple aura plusieurs enfants,
Pierre Delferrier, né le 17 février 1798, baptisé le 9 janvier 1803,
Marie Madelaine Delferrier, née le 18 juin 1799, baptisée le même jour que son frère,
Anne Rose Delferrier, née le 12 septembre 1800, et baptisée le même jour que ses frères et sœurs.
On retrouve le couple dans un acte notarié en date du 10 janvier 1798 par lequel ils vendent au sieur Pierre Belin, une maison située au quartier de Saint-Jean, palissadée en planches et couverte en essentes et de laquelle dépendent soixante pieds de terre en carré, bornés au nord par le grand chemin, à l’est par monsieur Borniche, au sud, par le sieur Pierre Lédée, à l’ouest, par le grand chemin. On peut penser qu’il s’agit de la terre qu’ils avaient achetée à Charles Bernier, fils, en 1788, deux jours après leur mariage.
Sans qu’on sache pourquoi, l’habitation de Jean Delférière est mise à la vente aux enchères le 28 octobre 1802. Il est dit qu’elle est au quartier du Roi à Saint-Jean (comprendre, en gros, la partie ouest de l’actuel Saint-Jean, en gros, la zone où se trouve l’aéroport et en allant vers l’anse des Cayes). L’habitation est bornée “à l’îlot par la mer” (on parle ici du rocher sur lequel se trouve Eden Rock), au sud par les terres de Jean Marie Duzant, et à l’ouest par celles de la veuve Lacarrière.
Le premier jour de la vente, le 2 novembre 1802, personne ne se présente. La vente est reportée au jeudi 4 novembre. Ce jour-là, seul Jean-Baptiste Duzant se présente et fait une offre à deux cents portugaises juste avant la fin de la journée. La vente est donc à nouveau reportée, au 6 novembre. Ce jour-là, seul encore, Jean-Baptiste Duzant maintient son offre, qui, faute d’enchérisseurs, et Jean Delferrier s’opposant à l’adjudication, est refusée. La vente est reportée à une date ultérieure.
Le 3 décembre, à la première criée, plusieurs enchérisseurs se présentent, et la plus haute enchère est une offre à deux cent cinquante mœdes faite par Bernard Lion.
Le 6 décembre, on procède à la deuxième criée, mais personne ne se présente.
Le 9 décembre, jour de la troisième et dernière criée. Il est dit que l’habitation mesure “vingt-cinq ou trente carrés” de terre “tant bonne que mauvaise”. Il y a une maison de trente-deux pieds sur dix-huit, une autre maison servant de magasin de dix-huit pieds sur onze. Il y a différentes futailles à eau, une cuisine, un four, un poulailler et d’autres commodités comme deux puits, clôtures, etc. L’inventaire indique quatre bêtes à cornes et quarante moutons.
Personne d’autre ne s’étant manifesté, l’enchère est remportée par Jean-Baptiste Duzant, demeurant au quartier du roi, pour la somme de deux cent cinquante-huit mèdes, payables comptant.
Mais, nouveau rebondissement, le lendemain de la vente, Jean Delferrier, accompagné de deux témoins, François et André Bernier, vient demander l’annulation de la vente. Il a déclaré “ être pleinement satisfait d’annuler la vente qui a été faite le jour d’hier … consent à en reprendre la possession et la jouissance, et, à cet effet, décharge et désiste le sieur Duzant de tous les droits de propriété qu’il pourrait avoir acquis par la vente”. Le sieur Duzant consentit volontairement à la demande de Delferrier et se désista par une déclaration écrite datée du même jour. Dans cette déclaration, il est précisé “ pour cause de facheuses nouvelles qui force ledit sieur Delferière à rester dans cette colonie”.
Je ne sais pas à quoi fait référence ce passage “pour cause de fâcheuses nouvelles”. Je n’ai pas noté de décès au sein de la famille proche à cette date. Par contre, il semble que cela oblige Delferrier à rester sur notre île. On peut donc penser qu’il vendait pour s’en aller avec sa famille. D’ailleurs, tout cet épisode d’enchère tombe au même moment que la vente des habitations achetées par Pierre Bernier au profit de ses enfants d’avec Élisabeth Borniche, qui, rappelons-le, a déjà acheté de la terre à Samaná et s’apprête à s’en aller pour Saint-Domingue. Delferrier avait-il aussi décidé de tenter le même pari ? A-t-il eu vent des difficultés rencontrées par la France et décidé d’annuler son départ ?
La famille a dû finir par quitter l’île, car elle n’apparaît dans aucun document après 1803.
Voilà tout ce qu’on peut dire, en l’état, sur notre « quasi-belge », Jean Delferrier.
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