Comme nous l’avons vu à travers les nombreux articles déjà publiés sur ce blog, entre la fin du XVIIIᵉ siècle et le début du XIXᵉ siècle, la région des Caraïbes connaît une période de bouleversements majeurs, marqués par les conflits coloniaux, les révolutions et les changements de souveraineté.
En l’occurrence, pour cet article, les révolutions françaises puis haïtiennes (1791-1804), le 1er Empire, la guerre de la Reconquête de Saint-Domingue (1808-1809) et la politique migratoire espagnole de la Cédula de Gracias (1815) modifient profondément la carte humaine et politique des Antilles. Dans ce contexte, de nombreuses familles françaises installées à Saint-Domingue depuis longtemps, ainsi que d’autres nouvellement arrivées, sont contraintes à l’exil, cherchant de nouveaux horizons économiques et une stabilité politique après avoir fui les troubles de l’île d’Hispaniola.
Nous allons étudier ici l’histoire d’une famille originaire de Saint-Barthélemy, qui s’est installée un temps sur l’île d’Hispaniola, en 1803, avant de rejoindre Porto Rico vers 1804-1805. Cette famille illustre parfaitement ce phénomène de migrations volontaires ou forcées, mêlées à des opportunités économiques. De plus, elle semble ouvrir le bal de ces migrations vers l’île de Porto Rico en tant que précurseurs. Nous ferons également un tour d’horizon des familles recensées comme ayant émigré de Saint-Barthélemy vers Porto Rico jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.
En 1792, la France révolutionnaire affronte la Première Coalition des monarchies européennes (Autriche, Prusse, Grande-Bretagne, etc.). Après une série de défaites et l’invasion prusso-autrichienne, les troupes françaises se ressaisissent à Valmy (20 septembre), sauvant la Révolution, puis, remportent une grande victoire offensive à Jemappes (6 novembre) qui ouvre la conquête de la Belgique.
En 1793, l’exécution de Louis XVI choque toute l’Europe. L’Espagne de Charles IV, Bourbon lui aussi, et cousin du roi guillotiné, rejoint alors la guerre contre la République française. Les armées espagnoles connaissent d’abord quelques succès dans les Pyrénées, mais dès 1794, la dynamique s’inverse : les généraux français remportent plusieurs victoires (Le Boulou, siège de Bellegarde) et envahissent la Catalogne et la Navarre, menaçant directement le territoire espagnol. Affaiblie et craignant une invasion prolongée, l’Espagne cherche à conclure la paix, et des négociations s’ouvrent à Bâle (Suisse), terrain neutre. Le 22 juillet 1795, un traité (traité de Bâle) est signé entre la France et l’Espagne. Par ce traité, la France restitue les zones conquises en Catalogne et au Pays basque, tandis que l’Espagne cède en contrepartie la partie orientale d’Hispaniola (Santo Domingo), jugée secondaire comparée à Cuba ou Porto Rico. Dès lors, en droit, la France contrôle toute l’île : l’ouest (Saint-Domingue, colonie française depuis 1697) et l’est (Santo Domingo, cédé en 1795). En pratique, pourtant, la présence française dans la partie espagnole restera fragile et contestée, la population créole restant attachée à sa mère patrie. Mais l’Espagne sort ainsi de la Première Coalition et se rapproche progressivement de la France.
Un temps de bouleversements dans les Caraïbes
En 1801, Toussaint Louverture, gouverneur général de Saint-Domingue, envahit Santo Domingo et administre l’est de l’île au nom de la République française, tout en agissant de façon très autonome. Il promulgue la même année une constitution qui le désigne comme gouverneur à vie et lui permet de choisir son successeur : ce n’est pas une déclaration d’indépendance, mais une quasi-indépendance de fait. Bonaparte, inquiet, envoie début 1802 une expédition placée sous les ordres de son beau-frère, le général Charles Leclerc (époux de Pauline Bonaparte). La flotte, forte de près de 80 navires et de 30 000 hommes — certaines sources évoquent jusqu’à 50 000 soldats et marins —, est conduite par l’amiral Villaret de Joyeuse : elle mouille d’abord dans la baie de Samaná le 29 janvier, avant de débarquer l’essentiel des troupes au Cap-Français. L’objectif est clair : renverser Louverture, replacer l’île sous contrôle direct de la France et préparer le rétablissement de l’esclavage.
La péninsule de Samaná occupe alors une place particulière : Napoléon projette d’y fonder une cité moderne et modèle, surnommée un temps « Puerto Napoleón », avec un port militaire et commercial destiné à concurrencer les Britanniques dans la Caraïbe. La région est fertile, favorable à la culture du café, en plein essor à l’époque. Les autorités françaises y offrent des concessions de terres pour attirer une population française loyale et fiable : des colons venus de Saint-Domingue occidental (Haïti), mais aussi de petites îles françaises et voisines, comme la Martinique ou la Guadeloupe. Des familles saint-barth, informées par leurs réseaux marchands, s’y installent également, sans doute dès 1802-1803.
Le succès agricole est réel : le café prospère dans les montagnes de Samaná, et les colons français y connaissent quelques années de prospérité relative. Mais l’expérience est brève : les guerres, les maladies (fièvre jaune), la résistance haïtienne et l’hostilité locale réduisent rapidement l’implantation française. On estime que plusieurs centaines de colons français s’installèrent à l’est de l’île entre 1802 et 1804, dont une partie à Samaná — mais les chiffres précis manquent.
Le temps des désillusions
En 1804, l’indépendance est proclamée en Haïti (ouest). L’est reste nominalement français, mais sans réelle assise. Finalement, en 1809, une insurrection créole, soutenue par les Britanniques et les Espagnols, expulse les Français de Santo Domingo, début de la période dite de l’« España Boba », et laisse les projets napoléoniens à Samaná inachevés.
Pour les familles françaises établies dans la région depuis 1802, la situation devient alors intenable. Associées à l’occupation napoléonienne et perçues comme étrangères, elles sont déclarées indésirables : beaucoup sont expulsées, d’autres quittent d’elles-mêmes la région pour éviter les représailles. Chassées de Santo Domingo, elles ne regagnent pas toutes la Guadeloupe, la Martinique ou Saint-Barthélemy. Beaucoup se tournent alors vers Porto Rico, pourtant également possession espagnole. Ce choix s’explique par la situation particulière de l’île voisine : sous-peuplée, encore peu mise en valeur, elle cherche à attirer des colons catholiques, capables de cultiver la terre et de développer l’économie locale. Bien avant la Cédula de Gracias de 1815, qui ouvrira largement les portes aux étrangers — et dont nous reparlerons plus loin —, les autorités portoricaines tolèrent déjà en partie l’installation de familles utiles, prêtes à reconnaître la souveraineté espagnole et à apporter leur savoir-faire agricole.
Ainsi, entre 1804 et 1810, plusieurs groupes de colons français originaires de Saint-Barthélemy et passés par Santo Domingo s’installent dans le sud de Puerto Rico — autour de Peñuelas, Ponce, Salinas, Coamo ou Guayama. Ils y trouvent des terres disponibles, propices notamment à la plantation du café, et une administration pragmatique qui préfère accueillir des cultivateurs expérimentés plutôt que de laisser les campagnes en friche. Ce déplacement illustre à la fois le rejet des familles françaises d’Hispaniola après 1809 et l’opportunisme portoricain, qui fit de ces migrants contraints des acteurs du peuplement et du développement agricole de l’île.
Le grand départ vers Hispaniola
Dans l’article intitulé “Pierre Bernier, Elisabeth Borniche et les habitations de Saint-Jean”, nous avions assisté à la consolidation de plusieurs habitations par Pierre Bernier pour le compte des nombreux enfants qu’il avait eus avec Elisabeth Borniche, bien que non mariés, et ne semblant pas vivre en concubinage. Nous avions parlé des habitations Vendôme, Le Logis, La Croix, Renaud et Monte-au-Ciel, en particulier, habitations toutes situées à Saint-Jean.
C’est avec cette famille que nous allons débuter notre périple.

Dans le texte ci-dessous, issu des documents de la Cour de Justice de notre île, on voit que, dès avant octobre 1802, Elisabeth Borniche a déjà acheté la terre sur laquelle elle se propose d’installer sa famille à Samaná (Santo Domingo). Tout semble prêt. Elisabeth est une organisatrice. Elle anticipe, et tout est calculé. Ce qui nous semble être une grande et folle aventure n’en est sûrement pas une pour elle, puisqu’elle s’y prépare depuis longtemps déjà. Elisabeth décide de revendre les habitations de Saint-Jean, et, pour ainsi dire, faire table rase du passé.
Le 22 octobre 1802 “la Cour examine la pétition présentée par Elisabeth Borniche, afin d’obtenir l’autorisation de vendre les biens-fonds en cette île appartenant à ses six enfants, vu l’apparence qu’elle possède de pouvoir faire un sort à ses dits enfants dans (à la) Samana ci-devant partie Espagnole de l’île de Saint-Domingue où elle a déjà fait l’acquisition de terres plus que suffisantes pour venir placer les biens fonds dont elle souhaite disposer ici, les enfants majeurs, Jean Pierre Bernier, François Bernier, André Bernier et la veuve Lamontagne ayant consenti à la dite vente par leur signature à la dite pétition.
La Cour trouva juste d’octroyer à la suppliante et à ses enfants majeurs la permission de vendre à l’encan public dans la voie légale les dits biens fonds moyennant dépôt à être fait au conseil du montant des quoteparts revenants aux enfants mineurs, à savoir Damas Bernier, Maurice Bernier, Gustave Bernier et Delphine Bernier, ou caution valable approuvée par le Conseil jusqu’à ce que la dite demoiselle Elisabeth Borniche aura été déchargée par un acte de sécurité aux mêmes effets fourni des lieux où elle va fixer son domicile.”
Le 10 décembre 1802 Elisabeth Borniche demande l’autorisation à la Cour “de toucher le net produit de l’habitation LA CROIX, ses dépendances et bestiaux, soit 1174 piastres gourdes aux fins qu’elle soit en état de remplir l’engagement des terres qu’elle a acquises à (la) Samana au compte de ses dits enfants, les enfants majeurs ayant consenti à ladite requête par leur signature.
La Cour accorde ladite demande, déduction faite de la somme de 580 piastres gourdes qui est due à la succession de Jean Baptiste Lamontagne et aux conditions que la demoiselle Borniche et ses enfants majeurs, « l’un pour tous, et tous pour un », hypothèquent et affectent leur intérêt dans l’habitation nommée RENAUD pour servir de sécurité aux enfants mineurs de la somme qui leur revient du net produit de l’habitation LACROIX.”
On note comment le tribunal ne veut pas lier le sort des enfants mineurs, qui n’ont pas leur mot à dire, à celui de leur mère et de leurs frères et sœurs majeurs, qui décident pour eux-mêmes. Le tribunal veut leur laisser une chance, « au cas où ».
Saint-Barthélemy, à cette époque, est encore un centre de commerce prospère sous pavillon suédois, mais il dispose de ressources agricoles limitées, avec des terres peu adaptées et de mauvaise qualité. Dans le contexte des guerres napoléoniennes et des troubles politiques qui secouent les Antilles, de nombreux colons cherchent des terres plus fertiles et de meilleures opportunités économiques pour leur famille. La péninsule de Samaná, dans la partie orientale de Saint-Domingue nouvellement française, peut donc représenter une alternative attrayante pour une famille de Saint-Barth possédant les moyens d’une émigration pensée et organisée.
Pourtant, avec les événements en cours sur l’île d’Hispaniola à ce moment-là, on peut tout de même s’interroger sur la pertinence d’un tel déménagement. En effet, la partie ouest de l’île est à feu et à sang, en pleine guerre d’indépendance, et les Français ont bien du mal à s’installer durablement sur la partie orientale.
On le rappelle, le 29 janvier 1802, la flotte française commandée par l’amiral Villaret de Joyeuse est justement arrivée dans la baie de Samaná, qui, avec son port naturel stratégique, devient un point d’appui pour l’administration française. De nouveaux colons français, réfugiés du reste de l’île, s’installent donc dans la région en 1803, attirés par les perspectives agricoles et commerciales offertes par ce territoire encore peu peuplé, relativement isolé et protégé du reste de l’île.
Les nouvelles n’étaient-elles donc pas arrivées jusqu’ici ?
En tout cas, c’est le 6 juin 1803 que les annonces officielles du départ de la famille sont rédigées. Elisabeth Borniche publie un « avertissement » pour le public dans lequel il est écrit : « La soussignée prévient le public qu’elle est sur le point de partir de cette colonie pour celle de Samaná. Elle prévient ceux à qui elle doit de se présenter chez elle pour être payés, comme ceux qui la doivent de la payer de même. »
Le même jour, une annonce identique est publiée et signée par Antoine Giraud « fils », la veuve Lamontagne et André Bernier.
Elisabeth Borniche a eu huit enfants avec Jean-Pierre Bernier :
Jean-Pierre Bernier, né en 1774, a épousé Adélaïde Éléonore Perrot à Gustavia en 1801. Au départ de Saint-Barthélemy, ils n’ont qu’une fille, Élisabeth, née en avril 1802. On peut noter qu’Adélaïde est la fille de Jean-Pierre Perrot, natif de Périgueux, celui à qui Élisabeth Borniche a vendu les habitations Vendôme et Renaud.
Elisabeth Louise Justine Bernier, née vers 1780, a épousé Jean-Baptiste Lamontagne, natif des Marches en Italie, en 1796. Le couple a eu au moins quatre enfants avant 1803, peut-être six.
André Bernier, né vers 1780, a épousé Anne Rose Pimont, originaire de Barrouallie à Saint-Vincent, en 1799. Au moment du départ, le couple a un enfant né en 1801.
Marie Delphine Bernier, née vers 1780, a épousé Antoine Giraud « fils » en mars 1803. Le couple n’a pas encore eu d’enfant avant le départ. On peut noter ici qu’Antoine est le fils illégitime qu’Antoine Giraud père a eu avec Florence Borniche, sœur d’Elisabeth. Marie Delphine et Antoine fils sont donc cousins germains.
Damas Bernier, né vers 1782, épouse sa cousine germaine Émilie Bernier en 1803. Émilie est la fille d’Adélaïde Borniche, une autre sœur d’Elisabeth. Ils auront au moins trois enfants.
Maurice Bernier, né à Saint-Martin en 1784.
Gustave Bernier sur lequel je n’ai absolument rien.
François Bernier va s’installer en Guadeloupe, et s’y marier, à Sainte-Rose en 1803. Il aura de nombreux enfants avec une de ses esclaves sur cette île.
D’après les annonces officielles que nous avons vues plus haut, Elisabeth Borniche embarque donc avec ses enfants mineurs, Maurice et Gustave, sa fille Delphine, qui vient d’épouser Antoine Giraud « fils », sa fille Elisabeth Louise Justine, dont le mari Jean-Baptiste Lamontagne vient de décéder (c’est elle la veuve Lamontagne) et ses quatre ou six enfants, ainsi qu’André Bernier et son épouse, Anne Rose Pimont, avec leur première fille.
La famille qui s’embarque constitue donc un groupe d’au moins quinze personnes (Damas ne doit pas participer au voyage car il doit se marier en décembre 1803 à Saint-Barthélemy). Sans doute ont-ils également pris leurs esclaves avec eux. Il est possible que ce voyage se fasse à bord du bateau d’Antoine Giraud, qui est lui-même capitaine.
Ils doivent être chargés de tous leurs biens transportables lorsqu’ils se lancent pour la longue traversée qui doit les mener vers la côte nord de Santo Domingo.
Adieu Saint-Barthélemy, voguons vers notre nouvelle vie !

À Saint-Domingue, la situation politique et militaire se dégrade rapidement. En novembre 1803, les troupes françaises capitulent, et l’indépendance d’Haïti est proclamée en 1804. Bien que située dans la partie orientale de l’île, encore sous contrôle français, Samaná devient une zone instable. En 1805, une expédition militaire menée par les dirigeants haïtiens Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe menace la région, incitant de nombreux colons à quitter Samaná pour éviter d’éventuelles représailles.
La situation empire encore en 1808 lorsque la guerre de la Reconquête éclate. Suite à l’invasion napoléonienne de l’Espagne, les habitants de la partie orientale de Saint-Domingue, appuyés par les Britanniques et Haïti, se révoltent contre l’occupation française. En juillet 1809, les forces espagnoles reprennent officiellement le contrôle de la colonie. Les colons français, perçus comme des occupants et souvent en situation précaire, sont alors contraints de partir. Beaucoup choisissent de se réfugier dans des territoires espagnols voisins, tels que Cuba et Porto Rico.
D’Hispaniola à Porto Rico
Alors, où sont passés nos Bernier, Giraud, Pimont et Lamontagne ? Partie de Saint-Barthélemy en juin 1803, la famille va-t-elle vraiment jusqu’à Hispaniola (Saint-Domingue ou Santo Domingo) ? S’installe-t-elle vraiment sur les terres achetées à Samaná par Elisabeth Borniche ? Combien de temps y reste-t-elle et dans quelles conditions va-t-elle y vivre ? Je n’ai trouvé aucune information directe concernant la famille sur l’île d’Hispaniola, ni pour l’instant de piste pour des sources dans lesquelles chercher. Néanmoins, on sait avec certitude, grâce à plusieurs mentions tardives, que la famille est bien arrivée à Hispaniola, et qu’elle s’y est établie au moins temporairement dans deux zones distinctes, sans pouvoir expliquer pourquoi.
Avec l’aide d’actes paroissiaux rédigés à Porto Rico, on peut en effet y situer plusieurs membres de la famille.
Le baptême d’un enfant du couple Jean-Pierre Bernier et Éléonore Perrot à Guayama, Porto Rico, en mai 1804, dans lequel on parvient à déchiffrer (avec beaucoup d’efforts) que le couple vient d’arriver de Jacmel dans la partie française de Saint-Domingue.
L’acte de mariage de Mauricio Bernier à Guayama en 1805, dans lequel il est dit « natural de Jacomeli parte Francesa de la isla de Santo Domingo » et émigré dans ce lieu. Cela veut dire, qu’à Guyama, en 1805, il est considéré comme un habitant arrivé de Jacmel (Haïti).
Elisabeth Louise Justine BERNIER, à son remariage à Guayama en 1805, est dite « viuda de Juan Bautista Montaña, hija legítima de Pedro e Isabel, emigrados, naturales de Santo Domingo en la parte francesa ». Ce passage confirme donc que Elisabeth Louise Justine Bernier (et ses parents ?) sont des migrants en provenance de Haïti (Partie française de Saint-Domingue). Nous n’avons malheureusement pas plus de détails.
On peut donc, sans se tromper, récapituler la situation en affirmant qu’une partie au moins de la famille est arrivée jusqu’à l’île d’Hispaniola, qu’elle y a vécu un temps court, en particulier dans la partie française (Jacmel, aujourd’hui Haïti).
Maurice Bernier, étant toujours considéré comme un mineur à son départ en 1803, on peut supposer qu’Elisabeth Borniche, sa mère, ainsi que ses jeunes frères et sœurs, s’y trouvaient également.
On peut aussi dire que dès le début de 1805, ou peut-être dès 1804, ils ont quitté Hispaniola et se sont établis à Porto Rico.

Pourquoi se sont-ils retrouvés à Jacmel, sur la côte sud de l’île, alors qu’ils auraient dû être à Samaná, sur la côte nord ? D’autant qu’au tournant de 1803, la ville portuaire de Jacmel, sur la côte sud de Saint-Domingue, se trouvait dans une situation très précaire. Restée aux mains des troupes françaises alors que le reste de la colonie basculait vers l’indépendance, elle vivait assiégée, coupée de ses arrières et soumise aux blocus maritimes (de la marine anglaise, en particulier). Les denrées se faisaient rares, la sécurité s’effritait, et chacun pressentait la fin prochaine de la présence française. Lorsque les insurgés remportèrent la victoire décisive de Vertières en novembre 1803, les garnisons isolées furent contraintes à l’évacuation ou à la fuite. Jacmel, rapidement investie, connut, comme ailleurs, la désorganisation des plantations et la mise au pas imposée par Dessalines. Les familles d’origine européenne ou créole, prises entre pénurie et menaces, n’eurent d’autre choix que de quitter la ville en hâte, embarquant pour les îles voisines comme Cuba ou Porto Rico, où elles espéraient trouver un refuge plus sûr.
Et à Samaná, alors, personne ?
À force de chercher, j’ai pu trouver quelques actes très intéressants.
Le premier, daté du 6 juin 1805. D’après ce document, on donne le baptême à un fils d’André Bernier et d’Ana Rosa Pimont, né le 10 janvier de la même année à Samaná, dans la partie espagnole de l’île de Santo Domingo.
Dans un autre acte du mois de juin 1805, on baptise Juan, un petit garçon né à Samaná, partie espagnole de Santo Domingo, âgé de 4 mois, plus ou moins quelques jours, de Constansa, esclave de Louise Isabelle Bernier. L’enfant n’avait pas reçu le baptême faute de curé, ni même l’eau bénite. Le parrain fut Maurice Bernier, arrivé de Jacmel, partie française de l’île.
Dans un autre acte, du même mois de juin 1805, on baptise Juana, esclave de Pierre LÉDÉE, née à Jacmel également (il avait reçu l’eau bénite). Son parrain est Juan Bautista, esclave de Louise Isabelle Bernier.
Grâce à ces deux actes, on peut affirmer avec certitude qu’au moins une partie de la famille a vécu à Samaná et s’y est maintenue jusqu’à peu après janvier 1805. Pourquoi et comment la famille s’est-elle retrouvée séparée ?
Il n’existe aucun document permettant de savoir de quelle manière les membres de cette famille sont arrivés à Porto Rico, contrairement à ceux qui viendront après 1815 et pour lesquels on peut trouver quelques détails. Tout ce que l’on sait, c’est grâce aux quelques mentions lisibles qui figurent dans les registres des paroisses des communes où ils ont décidé de s’installer.
On sera, encore une fois, bien obligé de constater cette résilience qui permet à nos pauvres Saint-Barthélemy de retomber une fois de plus sur leurs pieds. Comme leurs ancêtres, expulsés par les Anglais ou déménagés de force par les Français, continuellement depuis la première occupation de Saint-Barthélemy, ils ont toujours trouvé leur chemin à travers les îles, que ce soit pour se mettre un temps en sécurité, pour émigrer ou pour revenir.
Elisabeth Borniche et ses enfants
Je n’ai rien trouvé concernant Elisabeth Borniche après son départ de notre île en 1803. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, cette femme née à Sint-Eustatius lors d’un des exils forcés vécus par ses parents, puis partie voir ailleurs si l’herbe y était vraiment plus verte. Il n’y a aucune trace de la famille dans les quelques registres disponibles de la dernière année française à Saint-Domingue.
Nous allons maintenant retrouver les membres de la famille Bernier installés à Porto Rico. Il semble qu’ils soient tous arrivés sur l’île par Guayama.
Il me paraît plus clair de procéder d’abord par les enfants de Jean-Pierre Bernier et d’Elisabeth Borniche, un par un, sans tenir compte de la chronologie des actes.
Puisque nous sommes sur une île espagnole, les noms des enfants prennent le nom du père auquel on ajoute le nom de la mère. Très souvent, les noms sont hispanisés : par exemple, Laplace donne Laplaza, Lamontagne, Montaña, Giraud, Giró, etc. Les prénoms aussi changent régulièrement, rendant la recherche difficile.
Jean-Pierre Bernier et Adélaïde Éléonore Perrot
Ils ont une fille, dont je pense qu’elle est née à Jacmel, et qui a été baptisée au mois de juillet 1804 à Guayama. Peut-être Maria Simona, celle qui épouse Joseph Emmanuel Lédée le 20 janvier 1823 à Guayama. Ils ont une fille, Josefa, née à Guayama en mars 1824.
Ils ont un garçon, Juan Pedro, né et baptisé à Guayama en mai 1805. Il épouse sa cousine Victoire « Victoriana » Lamontagne avec descendance. Juan Pedro est un notable de Patillas,vers 1850, puisqu’il est dit « Procurado Sindico » de Patillas.
Ils ont une fille, Maria Augusta, née et baptisée à Guayama en 1809.
Leur fille Elisabeth, née à Gustavia en 1802, épouse Silvestre Renaus, Français natif de Châteauroux, en 1822 à Guayama.
On peut noter que, comme de nombreuses familles, nos Saint-Barth de Puerto Rico continuent à se déplacer d’une île à l’autre. En l’occurrence, Jean-Pierre et Adélaïde ont un garçon, Stéphane, baptisé à l’église de Lorient le 11 septembre 1812. Il est dit que l’enfant est né le 27 avril de la même année, mais on ne sait pas où.
Louise Justine Bernier (veuve Lamontagne)
Le 29 octobre 1805, elle se remarie avec Pierre Lédée, dit « Gayac », à Guayama. Il avait déjà été marié deux fois, et sa deuxième femme n’était autre que Magdelaine Borniche, la tante de Louise Justine.
Le couple aura un enfant, Domingo Lédée Bernier, qui naît à Guayama en 1808.
À noter qu’il y a deux autres enfants sur lesquels je n’ai aucune information. Sont-ils nés de pères inconnus alors qu’elle était toujours connue comme « la veuve Lamontagne » ? Sont-ils des enfants de Pierre Lédée, nés avant le mariage ?
Victoria Lamontagne, elle a au moins deux enfants avec Juan Pedro Bernier, qui n’est autre que son cousin né à Guayama en 1805.
Isabel Bernier Lamontagne, qui serait née à Guayama vers 1844, et Sergio Bernier Lamontagne, qui serait né vers 1858 à Patillas.
Maria Lamontagne a eu une fille en 1859 à Patillas, avec José Nuñez.
La fille de Louise Justine, Louise Elisabeth Lamontagne, est retournée se marier à Saint-Barthélemy. En effet, elle épouse Alexis Bernier en 1813. Ils auront cinq enfants à Saint-Barthélemy, mais aucune descendance connue.
Je n’ai rien sur les trois autres enfants Lamontagne (Jean François, Philibert et Eugénie).
André Bernier et Anne Rose Pimont
Ils sont partis de Saint-Barth avec une fille, Marie-André, alors âgée de deux ans. Je n’ai rien de plus sur elle.
Je pense que le baptême d’un enfant né à Samaná le 10 janvier 1805 et baptisé à Guayama en juin est celui d’André Bernier, « fils », connu à Porto Rico sous le nom d’Andrés Bernier Pimont. Il épouse une Bernardina Rivera Lebron, d’où sa descendance.
Ils ont une fille, Ana rosa Bernier Pimont, qui nait à Guayama en 1810,
Une fille née à Saint-Barth en 1813 et qui y est baptisée en 1814. Encore une fois, on voit que les émigrés n’hésitent pas à retourner un temps à Saint-Barth.
Ils ont aussi un garçon, Juan Bernier Pimont, qui épouse Juliana Colón à Guayama en 1840, d’où la descendance.
André Bernier « père » est décédé à Guayama le 9 décembre 1825 ; je n’ai rien d’autre concernant Anne Rose Pimont.
Antoine Giraud « fils » et Marie Delphine Bernier
Contrairement à ce qui est dit sur leur mariage à Saint-Barthélemy, Antoine Giraud n’est pas un fils légitime d’Antoine Giraud. En effet, à son baptême, en mai 1778, il est simplement indiqué le nom de sa mère, Florence Borniche, et le nom de son parrain, qui n’est autre qu’Antoine Giraud. Il est donc un fils illégitime d’Antoine Giraud, qui, d’ailleurs, à sa naissance, est toujours marié avec Marie Marthe Vittet. Antoine « fils » n’est même pas mentionné dans la succession de son père.
Dans les documents de Porto Rico, on trouve souvent Marie Delphine sous le nom de Maria Serafina et Antoine sous le nom d’Antonio Giró. Les deux sont cousins germains.
Maria Antonia Giraud Bernier, baptême en 1805 à Guayama, mais le document est très difficile à déchiffrer.
Antonio Giraud Bernier, né le 9 juin 1806, et baptisé à Guayama le 9 août 1806. Rien de plus.
Maria Lucia Giraud Bernier, née le 30 avril 1809 et baptisée à Guayama le 13 juin 1809. Peut-être une descendance par son mariage avec Francisco Uribe.
Ana Isabel Giraud Bernier, baptisée à Guayama le 30 juin 1812. Rien de plus.
Rosa Maria, née le 15 juin 1812, baptisée le 30 juin 1812 à Guayama. Rien de plus.
Maria Martha Giraud Bernier, impossible de trouver quoi que ce soit sur elle.
Maria del Rosario Giraud Bernier, sœur jumelle de la suivante,
Maria del Carmen Giraud Bernier, née le 22 septembre 1817 à Patillas et baptisée au même endroit le 12 décembre 1817. Son parrain est son oncle Mauricio Bernier, dont elle épousera le fils – son cousin germain, donc – vers 1837, avec descendance.
Maurice « Mauricio » Bernier et Maria Simona Salas y Rodriguez
Maurice est né à Saint-Martin en décembre 1784, et il y a été baptisé le 22 avril 1785. Il épouse Maria Simona Salas Rodriguez, native de Guayama, le 29 octobre 1805 à Guayama.
Avant ce mariage, Maurice a déjà eu un enfant avec Simona Castillo : Domingo Bernier Castillo, né à Porto Rico. Domingo aura des enfants de deux femmes différentes, d’où sa descendance.
De son mariage, Maurice aura plusieurs enfants, dont deux avec descendance :
1-Marcos Ramon Bernier Salas, né à Cayey vers 1811 et qui épouse sa cousine Maria del Carmen Giraud Bernier. Il semble qu’ils s’installent à Coamo, où ils auront six enfants (le premier étant né à Aibonito).
Segundo Bernier Giraud, né vers 1838, se marie deux fois, il a trois enfants dont la descendance, et il décède à Coamo en 1911.
Felipe Bernier Giraud, né vers 1839, épouse Julia Colón. Ils ont trois enfants, d’où une descendance.
Eulalia Bernier Giraud, née vers 1840, épouse Federico Matos Gonzalez à Comao en 1865, et ils ont six enfants, d’où leur descendance.
Seferina del Carmen Bernier Giraud, née vers 1845. Elle épouse un immigré corse, José Blasini Mattei, en 1864 à Comao avec qui elle aura cinq enfants d’où descendance. Après le décès de José, elle se remarie avec Juan Zayas Miranda, sans enfants. Elle est décédée en 1894 à Comao.
Federico del Pilar, né à Coamo vers 1854. Il épouse Lucia Gréaux Rivera, née à Patillas vers 1856. Son père est arrivé sur l’île après 1815. Ils auront trois enfants, d’où descendance.
Teresa de Jesus, née à Coamo en 1856, épouse Felipe Santiago Torres et ils ont deux enfants, d’où descendance. On peut noter que leur fille Carmen Teresa Santiago Bernier épouse son cousin germain Marcos Segundo Bernier Rivera à Comao en 1916. Ils auront cinq enfants.

On peut noter que Marcos Ramon Bernier Salas aura aussi une fille hors mariage avec Francisca Maria Perez Rivera. Herminia épouse Francisco Matos Mercado en 1881 à Comao et ils auront douze enfants d’où descendance.
2-Maria Lucia Bernier Salas, née à Coamo en 1813, elle épouse Juan Mas vers 1840 et ils auront deux enfants dont,
Demetrio qui épousera Claudina Lédée Roche, petite-fille d’un couple arrivé de Saint-Barth après 1815. Un fils de Demetrio, Felis, épousera à son tour une descendante de Lédée de Saint-Barth.
On peut rajouter un fils né de Jean-Pierre Bernier et d’Elisabeth Borniche qui m’est totalement inconnu. Augustin Bernier, décédé à Guyama le 16 décembre 1807, âgé de 22 ans avec la mention « natural de Santo Domingo en el reino de Francia y vecino de este de edad veintidós años de estado soltero , hijo legítimo de D. Pedro y de Ysabel Bornis ». C’est vraiment très bizarre.
Pierre Bernier et Elisabeth Borniche sont sans doute à l’origine d’un mouvement de migration plus important, même si c’est involontaire, qui, à la faveur du décret royal de la « Cédula de Gracias », va se mettre en place dans les années qui vont suivre, à destination de Porto Rico.
Ils ont une très grande descendance de nos jours, qui, pour certains, portent toujours le patronyme Bernier, à Porto Rico, et ailleurs !
Dans un article à venir, nous ferons un tour d’horizon des autres familles Saint-Barth émigrées vers Porto Rico.

Catégories :BERNIER, borniche, EMMIGRATION, GIRAUD, ledee, PERROT, Porto Rico, Puerto Rico, Saint Domingue, Santo Domingo, SWEDISH PERIOD, Uncategorized
Passionnant!!!
J’aimeJ’aime