Revenons sur l’époque qui précède l’attaque d’octobre 1746, sur l’attaque proprement dite et sur ce que l’on en sait grâce aux sources officielles françaises et aux nouvelles sources anglaises dénichées par l’historien Christopher Baldwin.
Dans l’article précédent, nous avons vu que la guerre de Succession d’Autriche, qui éclate en Europe en 1740, lorsque la mort de l’empereur Charles VI et la contestation de la succession de sa fille, Marie-Thérèse, mettent à feu les rivalités entre les grandes puissances. Le conflit gagne rapidement les Antilles, où Français et Britanniques, déjà en tension dans une région stratégique pour le commerce du sucre, se mettent à s’attaquer mutuellement en mer et autour des îles dès 1744, transformant la Caraïbe en un véritable champ de bataille colonial.
Dans les échanges entre Français ci-dessous, on perçoit le manque d’informations fiables et précises sur la situation réelle dans les îles du Nord, même s’ils ont bien compris que les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy sont en danger.
Les archives françaises
Le 7 septembre 1744, le sieur de CHAMPIGNY écrit au ministre que les Anglais ont pris possession de la partie française de Saint-Martin. Il indique aussi, qu’après plusieurs attaques sur Saint-Barthélemy, les Anglais, repoussés à plusieurs reprises, ont finalement convenu d’un accord avec les habitants. Ce courrier fait référence à l’attaque sur Saint-Martin du mois de juillet 1744, lors de laquelle les Anglais ont pris 200 esclaves. Les Français sont également déjà au courant de l’accord passé entre les Saint-Barth et les Anglais en juillet de cette année-là.
Le 6 janvier 1745, le ministre écrit à de CAYLUS (il vient de remplacer de CHAMPIGNY au poste de Lieutenant-Gouverneur Général des Îles du Vent) que si les habitants de Saint-Barthélemy y sont toujours, il faut les en faire sortir et les placer sur une autre île.
Le 20 avril 1745, de POINSABLE, gouverneur particulier de la Martinique écrit « Depuis huit mois, Monseigneur, il n’a paru ici aucun Français de Saint-Barthélemy, nos corsaires nous ont confirmé que s’étant mis sous la protection des Anglais, ils les traitent comme neutres. Trois de nos corsaires ont fait une descente dans la partie française de Saint-Martin dont les Anglais avaient au commencement de cette guerre chassé les Français et pris possession ».
Le 9 juin 1745, de CHAMPIGNY écrit que, conformément aux ordres du roi, il a fait l’établissement de Sainte-Lucie et qu’il a toujours eu en vue d’y attirer les habitants de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, car il pensait qu’en cas de guerre il ne pourrait pas défendre ces deux îles. Il ajoute « je ne m’y suis pas trompé, celle de Saint-Martin a été enlevée par les Anglais peu de temps après la déclaration de la guerre, les habitants de Saint-Barthélemy ont soutenu plusieurs attaques et se sont maintenus pendant quelques temps ». Le commandant anglais leur a fait accepter la neutralité « qu’ils n’ont pas cru pouvoir refuser ».
Dans ce courrier, il y a une référence à l’attaque de Saint-Martin par les Anglais l’année précédente, mais, également, à « l’arrangement » que la délégation des Saint-Barth avait fait avec le gouverneur Mathews d’Antigua.
Le 1er juin 1746, de CAYLUS indique qu’un certain VERET, commandant de Saint-Barthélemy, a accepté la neutralité proposée par les Anglais, sans contrainte. De Caylus ajoute qu’il lui a écrit « une lettre très aimable pour l’engager à venir ici, et s’il est assez dupe pour s’y rendre, je changerai de style, en le faisant mettre en prison jusqu’à ce qu’il ait rendu compte de sa conduite ». Il est aussi dit qu’un corsaire français va passer par ces deux îles avec deux frégates pour proposer aux habitants de les transférer « avec leurs nègres » vers la Martinique, en promettant de leur donner des terres à Sainte-Lucie.
Là encore, c’est une référence à l’accord passé avec les Anglais, même si on ne sait pas qui est ce Veret. Les corsaires sont-ils passés ? Les habitants ont-ils refusé de quitter leur île, se sentant suffisamment protégés contre les attaques anglaises ?
Dans un autre courrier daté du 18 mai 1747, soit près de dix mois après l’attaque, le même Marquis de Caylus, qui répond à une lettre à lui, envoyée le 10 du même mois, indique que c’est par cette lettre qu’il a été mis au courant de l’attaque sur Saint-Barthélemy ! L’attaque a eu lieu plus de six mois auparavant !
De Caylus, toujours, en mai 1748, écrit qu’il n’a pas pu se faire informer des détails de l’incursion des corsaires anglais sur Saint-Barthélemy. A cette époque, l’attaque date de près d’un an et demi !
Dans ses mémoires, en 1749, de Caylus, en parlant des deux îles du nord, écrit « ces isles sont de nulle considération par leur petitesses, la mauvaise qualité de la terre, et leur situation parmi des isles étrangères, elles ne peuvent servir qu’à favoriser le commerce prohibé, et les Français ne sauraient s’y maintenir en temps de guerre quand même elles seraient fortifiées, si elles valaient la peine de l’être ».
Les corsaires anglais attaquent donc notre île en 1746 ; chez les Français, on en parle enfin avec quelques détails, près de quatre ans plus tard, dans le courrier ci-dessous. Mieux vaut tard que jamais !
En décembre 1750, M. de Malherbe fait un rapport après avoir effectué une visite des deux îles du nord « Je parlai au sieur GRUAU que les habitants ont choisi pour leur commander, et lui ayant demandé quelle était la situation des habitants, il me répondit que leur condition ne pouvait être plus malheureuse, qu’ils n’étaient que trente hommes portant armes ». Il dit aussi qu’au commencement de la guerre, ils ont fait une convention avec le général MATHEW d’Antigua, qui stipulait que les habitants demeureraient à l’abri de toutes inquiétudes à condition cependant qu’ils permettent aux Anglais d’y venir faire du bois pour leur usage, mais qu’un colonel n’avait pas respecté cette convention et avait envoyé trois bateaux corsaires qui « enlevèrent 400 nègres, saisirent toutes les denrées et marchandises et transportèrent les Français, après les avoir dépouillés, dans différentes îles françaises, en sorte que ces malheureux ont été dispersés au point que de trois cent habitants, ils sont réduits actuellement à trente ». « Pendant la guerre, les Anglais ont détruit le bois de gayac qui était la seule chose précieuse que cette île possédait ». Il ajoute « la terre est d’une très mauvaise qualité, n’étant qu’un amas de rochers stériles, si on excepte quelques fonds assez fertiles mais d’une très petite étendue. Elle manque d’eau, les Anglais ont pris soin de détruire les citernes et les puits, les habitants n’ont que celle que leurs fournissent quelques rochers creusés naturellement. Avant la guerre, ils ne subsistaient que du profit qu’ils retiraient des vivres et volailles qu’ils vendaient aux îles voisines, et par le débit du bois de gayac que cette île produisait en abondance. Il y a dans la partie sud une saline très féconde dans les temps de sècheresse et dont les Anglais viennent enlever le sel. Les habitants ne vivent que par le cours du bœuf salé que les Anglais leur vendent. Frappé par l’extrême misère de ces habitants, je demandais au sieur Gruau quel pouvait être le motif qui l’avait déterminé à revenir dans cette île, il me répondit qu’il y avait été entrainé par l’amour de la patrie et par une petite possession qu’il tenait de ses ancêtres et que d’ailleurs, il n’avait pas entrevu d’autre ressource. Il ajouta qu’il n’y avait dans l’île que cinq nègres appartenant à la dame KETEL, qu’elle avait faussés par adresse des mains des Anglais lors de leur descente ».
Cette communication de M. de Malherbe est l’une des rares traces de l’attaque anglaise sur notre île de fin octobre 1746.
Parmi les précieuses archives retrouvées à Providence par le chercheur Baldwin, figurent plusieurs documents de première main, puisqu’il s’agit de dépositions faites à Antigua, devant le tribunal (Anglais) par des habitants de notre île. Ces dépositions éclairent bien mieux la situation, telle qu’elle est vécue à Saint-Barthélemy par ses habitants. Je n’ai eu accès qu’à quelques documents que monsieur Baldwin a bien voulu partager, et je les retranscris ci-dessous.
Les archives anglaises
Pièce 1
« Déposition du 12 février 1747
Par Jean Gréaux (fils de Gilles Gréaux, gouverneur de Saint-Barthélemy) et Alexis Brin, habitants de Saint-Barthélemy, déposition faite en français devant James Verchild, membre du conseil et juge de paix
À leur connaissance, le sieur Gilles Gréaux a souvent adressé des courriers au sieur William Pym Burt, de l’île de Saint-Christophe, pour lui fournir des renseignements sur les corsaires français qui passaient à Saint-Barthélemy. Il indiquait la date d’arrivée, le nombre d’hommes et de canons.
Les déposants ont déclaré la vérité, sans aucune contrainte et sans y avoir été obligés de quelque manière que ce soit ».
Pièce 2
« Deuxième déposition du 12 février 1747
Par Jean Gréaux et Alexis Brin, ayant juré en français le même jour, devant les mêmes personnes que pour la déposition précédente.
Jean Gréaux déclare avoir constaté que la déposition qu’on lui a donnée et fait signer le 24 décembre 1746 à Antigua est fausse. Il est venu rétablir les faits.
Il indique qu’il n’a jamais entendu M. Mardenborough dire que l’argent qu’il avait reçu pour la commission qu’il leur apportait de la part de Son Excellence, le général Matthew, était pour lui, mais qu’au contraire, les habitants de l’île de Saint-Barthélemy, persuadés que cet argent n’était pas destiné à Son Excellence, lui avaient envoyé, par l’intermédiaire de Gilles Gréaux, en cadeau, des outils et une génisse, cadeau que Son Excellence avait refusés et qu’il avait payés au prix en vigueur, comme en atteste le reçu donné par Gilles Gréaux au Gouverneur.
Il poursuit en indiquant que ce n’est pas M. Vittet qui a rempli les blancs dans la commission avec le nom « Baptiste » pour Gilles Gréaux, qui était indiqué comme étant gouverneur, mais c’est le gouverneur Gréaux qui l’a rempli lui-même, en présence de Jean Gréaux.
Il dit aussi que le général Matthew n’a pas dit « qu’ils aillent au diable », mais qu’il avait dit « ils peuvent s’en aller lorsqu’ils en auront envie ».
Gréaux ajoute que le général Matthew n’a jamais dit que les trois corsaires devaient prendre Saint-Barth, avec sa permission. Mais il a donné l’ordre de prendre tous les corsaires français qu’ils pourraient trouver, leur interdisant en même temps de piller l’île ou d’y semer le moindre trouble.
À son retour de Saint-Christophe, après la prise de l’île par les corsaires, Gilles Gréaux leur avait demandé s’il l’avait fait sous les ordres du général Matthew, et le capitaine Higgins avait répondu qu’il n’avait rien à faire des ordres du général, et que, malgré ses ordres, ils avaient pillé l’île.
Il continue en disant que, loin de traiter les habitants de Saint-Barthélemy avec humanité, ils avaient agi comme des pirates, pris leurs vêtements, leurs troupeaux et leurs volailles, et que, en un mot, ils avaient pillé et volé tout ce qu’ils pouvaient. Qu’ils ont tiré le prêtre capucin qui était en fonction sur l’île par la barbe, en le traitant de vieille chèvre, que Madame Vittet leur avait montrée, à Gréaux et à Alexis Brin, les marques des cordes avec lesquelles les corsaires l’avaient attachée pour la forcer, bien qu’elle fût très âgée.
Le sieur Gréaux indique qu’il ne s’est pas rendu aux corsaires, mais qu’ils l’ont pris dans sa maison, en lui attachant les mains au dos » … (il me manque la fin du texte).
Piece 3
Déposition non datée, mais d’après la date indiquée sur le document précédent, sans doute courant 1746.
Déposition de François Questel, anciennement commandant du Victory, corsaire de Martinique.
« Il y a environ dix-huit mois, alors qu’il était à l’ancre sur un navire corsaire qu’il commandait à l’île de Saint-Barthélemy, il avait été attaqué par un corsaire anglais bien plus fortement armé que le sien. Il se trouvait à distance d’un coup de pistolet du rivage, d’où les habitants auraient pu lui venir en aide. Néanmoins, ils ne firent rien pour lui, se contentant de rester spectateurs d’une drôle de bataille. Il dit qu’il avait réussi à se dégager de l’attaque et que, plus tard, alors qu’il reprochait aux habitants leur conduite envers lui, ils lui avaient répondu qu’ils avaient un accord avec les Anglais et qu’ils les protégeaient. Qu’ils ne pouvaient pas violer leurs engagements, même en voyant Questel et son équipage se faire massacrer devant eux. Le capitaine Questel ajoute que les corsaires français, qui passaient de temps en temps à Saint-Barthélemy, se plaignaient que les habitants étaient des traîtres aux intérêts français, que les habitants faisaient des signaux de fumée à chaque fois qu’ils arrivaient pour faire venir les corsaires anglais, et que c’est ce que les gens disaient à la Martinique ».
Pièce 4
Non datée
« Deuxième déposition de Jacques Gréaux et de René Lédée, faite le même jour, et devant les mêmes personnes que pour la première déposition.
Qu’ils se rappellent parfaitement qu’en juillet dernier, la lettre annexée a été écrite à Saint-Vincent à Son Excellence le général Matthew, d’un commun accord entre les habitants de Saint-Barthélemy, qui s’apprêtaient alors à quitter l’île de Saint-Vincent, et envoyée par un navire hollandais qui allait directement à Saint-Eustache. Jacques Gréaux jure que le nom « Jacques Gréaux » figurant sur le feuillet précédent est sa véritable et courante signature. René Lédée fait la même déclaration pour sa signature. Ils déclarent qu’ils étaient présents lorsque les habitants ont signé leur nom ou mis leur marque usuelle, et que tout ce qui est écrit dans la lettre, concernant l’invasion de l’île, les pillages et les cruautés que les habitants ont subies, est la pure vérité, sans la moindre exagération, et que la lettre a été écrite sans aucune demande ou pression de la part du général ou en son nom, directement ou indirectement, sur les habitants, dans le but de l’obtenir ».
Piece 5
Déposition faite par René Lédée, Jacques Vittet et Pierre Gréaux, le 21 décembre 1747.
« Ils disent que Gilles Gréaux, pendant « cette » guerre, n’a jamais été, d’aucune manière, ni capitaine ni propriétaire d’un navire corsaire armé contre les Anglais. Vittet et Gréaux disent qu’après avoir reçu la commission de protection de Son Excellence le général Matthew, les conditions, en ce qui les concerne, ont été strictement respectées par les habitants de Saint-Barthélemy. Ils n’ont jamais commis d’acte d’hostilité contre les Anglais qui visitaient l’île régulièrement. Pendant le mois de novembre 1746, deux corsaires anglais appartenant à Benjamin King, de l’île d’Antigua, avec un autre navire corsaire anglais, ont fait une descente sur l’île de Saint-Barthélemy, qu’ils ont prise et pillée pendant deux jours, commettant des actes de cruauté contre les hommes, les femmes et les enfants qu’on n’a jamais vus dans un pays chrétien. Cette attaque était totalement inattendue par la population, étant sous la protection que leur avait accordée le général Matthew, et de leur conduite aimable envers les Anglais, que, depuis la conclusion de la commission, ils ont toujours « religieusement » respectée, considérant les Anglais comme des amis, et étant toujours contents de voir des gens de cette nation arriver sur cette île. Une entreprise qu’ils auraient néanmoins pu approuver s’ils avaient pu penser que ces corsaires viendraient en tant qu’ennemis, enfreignant, comme ils l’ont fait avec toutes sortes de violences, la commission de Son Excellence le général Matthew.
Questionnés sur les pertes que les habitants de Saint-Barthélemy avaient subies à la suite de cette invasion, Jacques Vittet et Pierre Gréaux dirent que le pillage des corsaires avait duré deux jours, prenant tout ce qu’ils trouvaient dans les maisons, y compris les vêtements des enfants et ceux des enfants à naître, détruisant et arrachant tous les vivres en terre, tuant le bétail, les chèvres et les volailles. Pour faire court, tout, sans distinction, plus par plaisir que parce qu’ils en avaient besoin, sans rien en donner aux habitants, même à ceux qui étaient malades, et que pendant tout le temps où ils sont restés sur l’île, ils ont presque affamé les habitants. Ils ajoutèrent qu’à leur départ, les corsaires ont emporté une grande quantité de bétail et de butin des maisons, avec, de ce qu’ils ont estimé, trois cent trente nègres qui étaient censés être présents au moment de l’attaque, n’ayant pas connaissance de ce qu’il est advenu de ceux qui n’ont pas été emmenés. Peut-être auraient-ils réussi à s’échapper et à rejoindre d’autres îles proches de Saint-Barthélemy.
Vittet et Gréaux ajoutent qu’ils n’ont pu se retrouver tous ensemble depuis l’attaque et leur déportation, seulement à la fin du mois de juillet 1747, sur l’île de Saint-Vincent, lorsqu’ils ont été libérés. Ils n’ont jamais eu le droit d’adresser de courrier à Son Excellence le général Matthews afin de solliciter sa protection ou le retour de leurs maisons et effets, si injustement attaqués et pillés par les corsaires. Lédée, Vittet et Gréaux ajoutent qu’il n’y a aucun autre port que celui du Carénage, qu’à son entrée il n’y a que dix à douze pieds d’eau, et qu’à l’intérieur, peut-être huit à neuf pieds, que les deux corsaires avaient dû rester dehors au mouillage à cause du faible tirant d’eau.
Lorsqu’on leur demande s’il est vrai qu’il y a eu jusqu’à cinquante prises anglaises amenées en une fois par des corsaires Français, ou, s’il y a eu, en differentes occasions, jusqu’à trente prises amenées par les Français, ils répondent qu’il n’y a jamais eu plus qu’un bateau anglais ramené à la fois par les Français, et qu’il n’y a eu, en tout, depuis le début de la guerre, que deux schooners et un petit bateau.
Pierre Gréaux ajoute qu’il a enterré, dans une boîte en fer-blanc, il y a une douzaine d’années, une commission du gouverneur de Saint-Barthélemy que son père avait obtenue durant la guerre de la reine Anne, et qui était signée par le gouverneur anglais de l’époque.
Jacques Vittet ajoute qu’à la fin de cette guerre, il avait voyagé entre Saint-Barthélemy et la Martinique sous la protection du général anglais.
Renée Lédée, Jacques Vittet et Pierre Gréaux déclarent qu’ils ont fait cette déposition volontairement et sans aucune contrainte ».
Conclusion
Ces quelques documents sont d’une valeur inestimable à plusieurs titres pour les habitants actuels de Saint-Barthélemy.
Ils permettent de comprendre, factuellement cette fameuse attaque des corsaires anglais de 1746. On en connaît à présent le déroulement, et les atrocités commises contre les habitants. Ces documents éclairent également sur l’attitude des habitants.
Sont-ils des traîtres à la France, lorsqu’ils signent un accord de neutralité avec les Anglais à Antigua ? Se commettent-ils en signant cette commission avec le gouverneur Matthew ? Trahissent-ils François Questel, le corsaire, lorsqu’ils ne cherchent pas à l’aider, à le sauver de la situation désespérée dans laquelle il se trouve, attaqué par les Anglais, là, juste là devant la côte ? On les voit presque, les bras croisés, comme au spectacle, à compter les points, pendant que Questel se démène comme un furieux, sabrant à droite, à gauche, pour sauver sa peau et celle de son équipage.
Trahissent-ils lorsqu’ils transmettent aux Anglais des informations sur les mouvements des corsaires français ? Essaient-ils de corrompre le général Matthew en lui envoyant des outils et une génisse, ou veulent-ils simplement le remercier ?
Et si, tout simplement, on pouvait admirer ici ce pragmatisme et cette résilience légendaires dont fait preuve la population de Saint-Barthélemy ? Ont-ils vraiment d’autres choix, ces habitants ? Ils sont là-haut, tout au nord du chapelet que forment les îles des Antilles, séparés de la Guadeloupe par les colonies anglaises de Montserrat, de Nevis, d’Antigua, de Saint-Christophe. Ils sont isolés, sans aucune défense ni ressource. Que peuvent-ils faire d’autre, sinon se faire oublier, et des uns, et des autres ?
Quand on n’a rien d’autre pour se défendre que le courage de supporter l’ennemi, alors on baisse un peu la tête, on ravale sa salive, on continue de s’appliquer à survivre, et on attend des jours meilleurs. On fait le mort, on courbe l’échine.
On pourra noter que cela n’est d’ailleurs pas la première fois que les Saint-Barth semblent avoir recours à une commission avec les Anglais, puisque Jean Gréaux indique bien que son père, Gilles, gouverneur de notre île, l’avait déjà fait dans les temps de la guerre d’avant, celle de la Succession d’Espagne, et Pierre Gréaux, son neveu, déclare qu’il l’a lui lui-même enterré dans une boite en fer – et d’ailleurs, cette boite en fer, est-elle encore enterrée là, quelque part ?
Ces documents nous permettent de grapiller quelques vues, quelques instantanés de la vie sur notre île au milieu du 18e siècle. Ce ne sont sans doute pas les meilleurs moments, les heures les plus heureuses pour observer nos habitants, c’est sûr, mais sinon, en aurait-on parlé ? C’est la guerre qui fait qu’on rédige ces affidavits qui nous montrent à voir nos Saint-Barths, non pas vivre, mais tenter de survivre. S’il n’y avait pas eu cette guerre, ces attaques, alors, nous n’aurions rien su du tout de François Questel, de René Lédée, d’Alexis Brin, de Gilles, de Jean et de Pierre Gréaux. Leurs noms continueraient à n’être que des pierres dans un mur, des noms sur les feuilles d’un arbre généalogique.
Réjouissons-nous de ces quelques archives ; savourons-les. Observons nos habitants se démener et louvoyer entre Français et Anglais.
Mais, surtout, n’oublions pas l’enseignement que nous fournit l’historien Baldwin, qui, lui, a réussi à lire entre les lignes, à détecter le vide tellement sidéral qu’il en devient presque invisible. Baldwin a vu ce que peu de gens auraient pu remarquer en lisant ses documents : l’absence des esclaves, en tant que personnes, qui, pourtant, à ce moment-là, représentaient au moins 50 % de la population vivant sur notre île.

Les habitants mentionnés dans les archives anglaises
Madame Vittet
Elle ne peut être que Marie Briard, l’épouse de François Vittet, ancêtre connu de nos Vittet et de leurs descendants. Marie Briard serait née à Saint-Christophe vers 1675, ce qui, au moment des tragiques événements de 1746, lui fait 70 ans !
Gilles Gréaux
Il serait né vers 1671, fils de Jacques et de Madame Lacroix.
Il est épouse Catherine Magras, fille d’un Irlandais, vers 1697, ils auront au moins 9 enfants.
Il décède à Basse-Terre, en Guadeloupe, le 29 mars 1748, « fort âgé, habitant de Saint-Barthélemy, dont il a été chassé par les Anglais ».
Nous ne savions pas jusqu’ici qu’il avait été gouverneur de notre île.
Jean (Jean-Baptiste) Gréaux
Fils du précédent, il serait né vers 1714. Il épouse Marianne Jacques le 2 mars 1734. Ils ont au moins sept enfants. Très grande descendance.
Pierre Gréaux
Il doit s’agir du fils de Jacques Gréaux et de Marie Marguerite Masson. Pierre, né vers 1710, serait donc un cousin de Jean-Baptiste, un neveu de Gilles.
Il épouse Marie Catherine Questel vers 1728, et ils ont au moins cinq enfants. Je ne connais pas de descendance pour cette branche.
René Lédée
Je pense que c’est celui qui nait en 1693 au Carbet, en Martinique, fils de Jean René et d’Elisabeth Brin, mais sans aucune certitude. Il épouse Catherine Gréaux vers 1716, et ils ont au moins 14 enfants. Ancêtre commun de tous les Lédée de notre île.
Alexis Brin
Né vers 1720, fils de l’ancêtre Nicolas Brin et de Marie Magdelaine Bernier. Il épouse Marianne Laplace en 1740, et ils ont 13 enfants. Ancêtre de tous les Brin de notre île.
François Questel
Je pense que c’est celui qui serait né vers 1697, fils de Jacques et d’Isabelle Hode. Il épouse Marie Magdelaine Gréaux à Saint-Barth en 1724, et ils ont deux enfants. Il est négociant à Saint-Pierre en Martinique. Les dernières traces de ses descendants se trouvent à Saint-Vincent et à Sainte-Lucie.
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