C’est au détour d’une page d’un registre paroissial que j’ai rencontré Marie GROSSIN. Un registre de Saint-Servan, ancienne commune jouxtant Saint-Malo et dont le port, à cette époque, servait d’embarquement pour des navires en partance pour la Nouvelle France et l’Acadie.
Ses parents, François GROSSIN, qui semble savoir écrire, et sa mère, Jeanne DAGOBERT, se sont mariés au même endroit en 1702, et Marie est la dernière de leurs enfants lorsqu’elle nait le 14 août 1722.
La vie de cette famille dont on ne connaît pas l’occupation, doit être rythmée par les arrivées et les départs des navires, croisant des gens et des marchandises qui s’en vont vers le Canada ou en reviennent. Peut-être le père est-il marin ou pêcheur, pourquoi pas corsaire aussi.
Le 22 novembre 1746, déjà âgée de 24 ans donc, Marie GROSSIN épouse Mathurin HOUZÉ originaire du village de Saint-Denoual, dans le diocèse de Saint-Brieuc. Le couple aura une fille, Marie Anne rose née le 15 août 1747 à Saint-Servan. Mathurin décède rapidement. On sait par un document ultérieur qu’il était marin et, sans doute est-il perdu en mer, car je n’ai pas trouvé d’acte de sépulture à Saint-Servan, ce qui indique qu’il n’est pas décédé chez lui.
Marie épouse en deuxièmes noces Jacques COUSIN, toujours à Saint-Servan, le 28 janvier 1749. Il est natif de Condé-sur-Noireau dans le Calvados où il serait né vers 1723 (les actes ont semble-t-il disparu), fils de Pierre COUSIN et de Charlotte BRISSET.
Leur vie va changer drastiquement, puisqu’ils s’embarquent à destination de Louisbourg sur l’île Royale, sans doute peu de temps après le mariage, avec Marie Anne Rose.
1er Tableau : De l’Acadie, De l’Ile-Royale, Louisbourg et le Petit Lorembec
L’Acadie fut âprement disputée depuis les origines de sa colonisation au début des années 1600 par les Français et les Anglais. Elle était historiquement constituée de la péninsule devenue la province Canadienne de Nouvelle-Ecosse. Ceux qu’on appellera a posteriori les « Acadiens », sont des Français venus en particulier du Poitou. Ils vont mettre en valeur un territoire vierge, grâce à leur maitrise des digues et des marais qui leur permet d’utiliser des terres de bonne qualité pour une agriculture principalement vivrière. Jusqu’en 1713, l’Acadie change régulièrement de propriétaire, et par le traité d’Utrecht qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne, l’Acadie passe définitivement aux Anglais. Cependant, les populations françaises sont autorisées à rester sur place et à garder leur religion catholique. La France perd aussi la moitié de Terre-Neuve (colonie de Plaisance alors) qu’elle possédait. La France garde le contrôle de ce qui devient l’Acadie « continentale » (New-Brunswick actuel), mais aussi de l’île Saint-Jean (Prince Edward Island) et l’île Royale (Cap Breton faisant partie de la Nouvelle-Ecosse actuelle) et ensemble, ces deux dernières vont former la colonie de l’Ile-Royale.
La France décide de transporter ses colons de Terre-Neuve vers l’île du Cap Breton, et de construire à partir de 1720, une ville-forteresse de type Vauban sur la côte Est de l’île, Louisbourg, qui deviendra aussi la capitale de la colonie de l’Ile-Royale. Il est prévu que cette forteresse permette de garder l’entrée du Saint-Laurent vers le Québec. Elle sera aussi une place de pêche et d’échanges commerciaux entre l’Amérique, la France et les Antilles.
Lors de la prise de l’Acadie péninsulaire, les Anglais, bien qu’important des populations Ecossaises, gardent les populations Françaises sur place, principalement pour continuer l’agriculture dont ils ont besoin pour alimenter les habitants, mais aussi, pour les empêcher d’aller grossir les populations des colonies françaises voisines. En tant que sujets du Roi d’Angleterre, les populations Acadiennes doivent lui prêter serment d’allégeance, mais aussi, accepter, en temps de guerre, de porter ses couleurs contre la France et donc, potentiellement, des membres de leurs familles partis rejoindre les français. Pour beaucoup, cette dernière obligation est impossible. D’autant qu’ils sont Catholiques et les Anglais et les Ecossais Protestants, et que les prêtres Français continuent à faire pression sur eux, les menaçant d’aller directement en enfer s’ils prenaient les armes contre des Catholiques.
Finalement, en 1730, les Anglais acceptent la neutralité des populations françaises et leur permettent de prêter un serment sous conditions. Les « Acadiens » de Nouvelle-Ecosse s’accommodent au mieux de ces conditions, et, bien que pris entre deux feux, ils réussissent à profiter d’un commerce florissant grâce à la paix anglaise, assistant, quand ils le peuvent, les Français.
Pendant ce temps là, Louisbourg se construit et la colonie de l’Ile-Royale continue de s’établir. Le gros œuvre de la forteresse est terminé en 1728 grâce au travail de deux mille ouvriers. La ville devient le centre français de la pêche à la morue, drainant des pêcheurs et toute une industrie pour la transformation sur place. Louisbourg devient un lieu de commerce.

En 1745, pendant la guerre de succession d’Autriche, la forteresse imprenable tombe aux mains des Anglais après un siège de six semaines. La colonie de l’Ile-Royale devient anglaise sous le nom de Cape-Breton Island, et les populations françaises rentrent en France.
En 1748, suite au traité d’Aix-la-Chapelle, la France récupère l’île du Cap-Breton et l’Île Saint-Jean, et recrée la colonie de l’Ile-Royale. Le lecteur aura remarqué que les vicissitudes vécues par les colons d’Acadie et de l’Ile-Royale ressemblent en tout point à celles vécues par leurs cousins des Antilles, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, essayant de vivre ou de survire dans un monde qui semble perpétuellement en guerre et dans lequel ils n’ont pas grand-chose à dire.
C’est sans doute à ce moment là que Jacques COUSIN, Marie GROSSIN et sa fille Marie Anne Rose HOUZÉ âgée d’à peine trois ans, font la traversée. En effet, ne sont encore présents dans l’île que quelques centaines d’Acadiens, et si beaucoup des anciens colons réfugiés en France y retournent, de nouveaux colons s’y rendent aussi. Ils sont nombreux de Saint-Servan, de Saint-Brieuc et des environs de Bayeux sans doute encouragés par les autorités. Avec eux, il y a au moins deux sœurs de Jacques, Charlotte et Marie COUSIN. Peut-être ont-ils voyagé en famille, avec un cercle de gens qu’ils connaissaient ? Sans doute ont-ils vécu ce départ comme la chance d’une vie meilleure pour eux et leurs enfants. La traversée est souvent difficile, et peut durer jusqu’à deux mois ! Si les maris sont des pêcheurs habitués au roulis et aux tempêtes, leurs femmes et leurs enfants ne sont sans doute pas préparés à ce qui les attend. On n’est jamais sûr d’arriver !

Jacques est pêcheur, en effet, la famille s’installe non pas à Louisbourg, mais un peu au nord, dans un petit établissement appelé « Le Petit Laurent Bec » ou « Lorembec » ou « Havre du petit Laurent lebec ». Cet endroit, avec un autre établissement appelé « Havre de la Baleine » forme la paroisse de Sainte-Claire. Ce sont de petits regroupements d’habitations de pêcheurs, éparses et en bordure de petites baies entrant dans les terres, et dans lesquelles il est facile d’installer de petits havres bien protégés. Les terres rocheuses sont impropres à l’agriculture, les hommes vont donc à la pêche à la morue avec des barques, et les poissons sont traités à leur retour à terre. Ils ne sont pas riches, mais s’arrangent des conditions difficiles et d’un climat ingrat, froid et humide. La paroisse de Sainte-Claire a même son église dès 1753, visitée par un missionnaire exerçant les fonctions curiales.

Après la rétrocession de la colonie par les Anglais, le registre paroissial qui avait été interrompu depuis le 5 mai 1745, reprend en octobre 1750 avec une naissance dans la famille YVON, famille acadienne installée là depuis 1726 et n’ayant pas quitté l’endroit pendant l’intermède anglais. S’ils doivent se réjouir de l’arrivée de ces nouveaux venus, ces Acadiens vont surement aussi faire en sorte qu’ils soient prêts à affronter l’hiver bien plus rigoureux que l’hiver breton auquel ils sont habitués. On retrouve la signature de Jacques COUSIN, témoin sur un acte d’abjuration le 25 octobre 1750, ce qui atteste de leur installation à cette date.
Le 17 décembre 1750 le premier enfant du couple, Simone Marie COUSIN née le même jour, est baptisée.
Le 15 décembre 1751, on baptise Pierre Julien COUSIN né le 1er du même mois. Sa mère est dite Mathurine GROSSIN.
Au printemps de 1752, le Sieur LAROQUE, arpenteur du Roi de France, entreprend un voyage d’inspection et de recensement de toute la colonie de l’Ile-Royale. Il part à pied, et visite toute l’île, décrivant les lieux, listant les habitants des différents établissements : ce qu’ils font, d’où ils viennent, ce qu’ils possèdent. Grâce à ce document, on comprend mieux la vie de ces petites communautés de pêcheurs isolés, et, en particulier, celle de la famille COUSIN.
En fin de la page 71, on trouve « Jacques COUZIN, habitant compagnon pêcheur, natif de Saint-Martin de Condé, évêché de Bayeux, âgé de 26 ans, marié avec Marie GROSSIN, veuve de défunt Algrain, native de Saint-Servan, âgée de 29 ans ». Je ne sais pas qui est ce monsieur « Algrain », sans doute une erreur ou une mauvaise transcription de « Mathurin » ou peut-être un surnom qu’il avait, car à son mariage avec Jacques COUSIN, Marie est bien dite veuve de Mathurin HOUZÉ, elle n’a donc pas pu se remarier entre temps.
« Ils ont trois enfants, deux garçons et une fille :
Pierre âgé de 2 ans,
Julien âgé de 4 mois,
Marie HOUZE, âgée de 5 ans »
Je reste perplexe devant la liste des enfants. En effet, celui qui figure sous Julien, âgé de 4 mois, ne peut-être que celui qui est baptisé sous « Pierre Julien » en décembre 1751. Mais Pierre âgé de 2 ans me pose un problème : il serait né vers mars 1750, peut-être un peu avant, mais cela semble difficile car sa mère donne naissance à Simone Marie en décembre 1750 (celle-ci, ne figurant pas sur le recensement de 1752 doit être déjà décédée, mais je n’ai pas d’acte de sépulture pour elle).
Je n’ai trouvé qu’un seul Pierre Charles COUSIN dans les registres de Saint-Véran en juin 1750, mais il est le fils d’un autre couple. J’ai cherché dans les registres de Louisbourg mais il n’est pas là non plus. Ce pourrait-il qu’il soit né sur le bateau avant l’arrivée à Louisbourg ? Ou pendant les premiers temps de l’installation au Petit Lorembec, avant même la mise en place du registre paroissial ? J’avais pensé à une erreur, mais nous retrouverons bien un Pierre et un Julien COUSIN plus tard, en 1764. On peut trouver bizarre d’avoir deux enfants portant le même prénom certes, mais on trouve ici aussi des Pierre et Jean-Pierre, ou des François et des Jean-François dans une même famille.
Avec la famille COUSIN, habite « Mathurin BRIAND, natif de Saint-May, évêché de Saint-Malo, trente-six mois qui fini son temps le 27 mai prochain ». Compte tenu du fait qu’il est en train de terminer son contrat d’engagé, faudrait-il comprendre que la famille est arrivée dans la colonie vers le mois de mai 1749 ? Cela pourrait expliquer la naissance non documentée de Pierre COUSIN.
Le terrain sur lequel Jacques et sa famille sont établis lui a été accordé verbalement par Messieurs DESHERBIERS et PREVOST. « Il y a défriché environ un arpent en superficie, une grave et des vigneaux pour la sècherie de deux chaloupes. Il n’a point de chaloupe, il espère d’en louer une ». Visiblement, la famille est relativement bien installée, et les perspectives d’une vie meilleure, lorsqu’il aura sa propre chaloupe, semblent proches. La grave (rivage de gravier) sert à échouer la chaloupe en revenant de la pêche et à rincer le poisson, les vigneaux, à sécher la morue. Tous les terrains ont une face bordée par la mer plutôt étroite, puis courent en longueur vers l’intérieur des terres. D’après le recensement, Jacques COUSIN est arrivé sur un terrain en friche. Il a donc dû d’abord investir du temps et de l’argent pour construire une cabane afin d’abriter sa famille et son engagé, puis ensuite, créer son établissement comprenant l’aménagement de la grave et la construction des vigneaux. Il faut aussi construire un entrepôt pour y stocker les poissons lorsqu’ils sont prêts et un autre pour l’équipement et les réserves de nourriture. Tout cela indique que les COUSIN sont arrivés avec le capital nécessaire à ces travaux d’installation. Ils sont sans doute venus avec cette idée en tête, peut-être s’étant familiarisés avec cette vie de pêcheur sédentaire en avance, en rencontrant d’anciens habitants expulsés à Saint-Servan. Peut-être que Jacques est venu pêcher dans les parages auparavant.
On remarquera que Jacques n’a pas racheté une pêcherie prête à fonctionner qui lui aurait couté beaucoup d’argent. Il préfère commencer avec un petit capital, quitte à investir en heures de travail pour compenser le manque d’argent. Les familles transforment elles mêmes leur poisson pour vendre un produit fini qui sera ensuite probablement exporté, en fonction de sa qualité. Le recensement précise qu’ils ont trois poules, sans doute le début d’une richesse, tout le monde n’en n’a pas … Les œufs permettent, avec les quelques produits du jardin potager, quelques légumes obtenus au prix d’un dur labeur aussi, quand il y en a un, de rompre la monotonie des quelques aliments disponibles. Du poisson, sans doute beaucoup, des biscuits, des pois secs, du beurre, du porc salé, de la mélasse et de l’eau de vie ou du rhum. Comme tous ces produits sont importés, ils coûtent cher ! Localement, les habitants produisent de la bière d’épinette qui permet un complément intéressant pour compenser le manque de légumes … et de boire de l’alcool à moindre cout !
Dans le recensement, sur l’habitation qui semble voisine de celle des COUSIN et qui est occupée par Françoise DESROCHES veuve DUBORDIEU, une Acadienne de l’ancienne colonie de Plaisance, on trouve quatre « trente-six mois » qui finissent leur temps en juillet 1752. Parmi eux, se trouvent Yvon de KEMAIRE et Pierre BELLET, tous deux natifs de l’évêché de Tréguier en Bretagne, et que nous retrouverons plus tard.
Les pêcheurs installés comme ceux du Petit Lorembec, sont des pêcheurs sédentaires. Ils pratiquent une pêche proche des côtes et rentrent chez eux chaque jour. Etant donné le travail que cette pêche demande avec le traitement des poissons, les pêcheurs ont recours au travail d’engagés et à celui de saisonniers. Jacques est compagnon pêcheur car il n’a pas de chaloupe à lui. Il doit donc louer ses services et ceux de son engagé auprès d’un maître de chaloupe du lieu, ce qui fait de lui un compagnon pêcheur. Ils sont surement payés en poissons. L’exploitation de ces pêcheries implique de pêcher le poisson, de le découper, de le vider, de le laver et de le saler. Le poisson était mis à saler une dizaine de jours, puis, sorti et relavé pour le débarrasser de l’excèdent de sel et s’assurer de la blancheur irréprochable de la chair. On égouttait ensuite le poisson avant de le mettre à sécher sur les vigneaux, on pouvait le terminer posé comme des tuiles sur la grave, peau vers le haut. Ce processus nécessite beaucoup de travail et de manipulations, mais aussi de savoir faire. Il faut compter avec les éléments climatiques pour aller à la pêche, puis, lors des préparations, pour empêcher la pourriture de s’installer et de ruiner le poisson. Les chaloupes utilisées sont de petites embarcations non pontées. Elles sont équipées de rames et d’un petit mat qu’on peu utiliser ou non. Ces bateaux ne permettent donc qu’une pêche côtière, jusqu’à cinq ou six milles du rivage. Ils ne sont pas faits pour y passer la nuit, ni pour y traiter le poisson ; ils embarquent trois personnes. On part le matin de bonne heure, on rentre en fin d’après midi. Pendant ce temps là, l’équipe à terre s’occupe de traiter les poissons des jours précédents. Le poisson pouvant être préparé à terre le jour même, il nécessite moins de sel, et la qualité finale est meilleure que celui produit par les gros navires. Ceux-ci ne retournant à terre qu’en fin de leur campagne de pêche et leurs poissons sont saturés de sel. La morue ainsi traitée se vendait plus cher. La pêche à la morue sèche se faisait en deux saisons, estivale et hivernale. Pour appâter les lignes à morue, les pêcheurs devaient aussi pratiquer une pêche au filet pour ramener du hareng et du maquereau. Les occupations ne manquaient pas !
La famille s’agrandit encore. Le 7 février 1753, on baptise Jaquemine Charlotte COUSIN,née la veille.
Puis, le sort frappe à nouveau Marie GROSSIN. Le 2 Mars 1753, moins d’un mois après la naissance de son quatrième enfant, Jacques COUSIN est enterré, âgé d’environ trente ans. Il est décédé la veille « après avoir reçu les sacrements, a rendu son âme à son créateur avec une entière résignation à la sainte volonté ». Pour la deuxième fois, Marie GROSSIN se retrouve veuve, elle a 31 ans et quatre enfants en bas-âge à sa charge. Elle doit se remarier rapidement pour pouvoir survivre. Heureusement, les statistiques sont telles qu’il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes dans la colonie, et, le 23 octobre 1754, Marie GROSSIN épouse Yves LE QUEMENT (Également sous QUEMIN, QUIMINE, REMIN, Le QUEMAIN ou De KEMAIRE), un breton né en 1721 à Trévérec, évêché de Tréguier, pêcheur lui aussi. Son nom n’est jamais écrit de la même façon, mais c’est lui qu’on a vu en tant que trente-six mois sur l’habitation d’à côté, sous le nom de Yvon de KEMAIRE. Marie sait signer, mais Yves ne sait pas. L’ancien trente-six mois devient chef de famille, à la tête d’une petite pêcherie, peut-être aussi maintenant, d’une chaloupe. Travaillait-il déjà pour la famille avant le décès de Jacques ?
Entre temps, les deux sœurs de Jacques COUSIN se sont mariées à Louisbourg. Marie, en février 1753 avec Dominique SOUKERES, soldat, et Charlotte en octobre 1753 avec un Bernard NICOLAS originaire de Bourgogne, soldat également.
A la fin de 1753, un nouveau gouverneur anglais prend en charge la Nouvelle-Ecosse. Charles LAWRENCE n’a pas de patience ni de compassion pour les trop nombreux « Français neutres », catholiques de surcroît, qui peuplent sa colonie. Pour lui, le plus simple, c’est de s’en débarrasser au plus vite.
Le 3 juillet 1755, il convoque des représentants Acadiens pour entendre leurs griefs. En fait c’est un piège, et le gouverneur exige qu’ils prêtent un nouveau serment d’allégeance inconditionnel au roi George II, sans liberté religieuse ni neutralité. Comme il s’y attendait, les Acadiens refusent le lendemain. Le Gouverneur leur indique alors qu’il « ne peut plus les considérer comme des sujets de sa Majesté britannique, mais comme des sujets du roi de France ». Les représentants Acadiens comprenant leur erreur, demandent alors à prêter le serment inconditionnel, mais, pour le Gouverneur, il est trop tard, on ne peut pas prêter un serment qu’on a d’abord refusé. Les représentants sont jetés en prison dans l’instant.
La vie des « Français neutres » vient de basculer. Ils ne peuvent plus se rebeller, et les Anglais ne veulent plus de leur « coopération ». Dans la foulée les Anglais organisent la déportation des Acadiens de Nouvelle-Ecosse. C’est le terrible et traumatisant « Grand dérangement » de 1755 qui hante encore les descendants d’aujourd’hui de cette grande diaspora Acadienne.
Au même moment, le 3 août 1755, Marie donne naissance à Marie Jeanne QUEMIN qui est baptisée le 7.
Puis, le 22 novembre 1756, on baptise Perrine née la veille.
Mais bientôt, la situation se dégrade dans toute la région avec l’arrivée de la guerre de Sept Ans ; les Français et les Anglais se préparent. Les Français arment les populations isolées de Louisbourg. Les femmes et les enfants sont enjoints à se réfugier dans les bois en cas d’attaque anglaise. On imagine que la vie des colons isolés à l’extérieur de Louisbourg doit être de plus en plus difficile.
En 1757, les choses s’accélèrent. Les Anglais mieux préparés et organisés, empêchent les renforts français de quitter les ports de métropole, et ils ont acheminé sur la zone une bien plus grosse force armée, sans compter l’appui des milices de la Nouvelle-Angleterre toute proche qui ne demandent qu’à se débarrasser de cette population catholique installée à leur porte.

La famille Le QUEMENT abandonne sa pêcherie, et se réfugie dans la ville de Louisbourg dès avant le mois de mai 1758, car Marie y accouche du troisième enfant du couple, Yves Pierre, le 27 avril. Ils ont sans doute laissé presque tout derrière eux, la chaloupe et les installations qui les faisaient vivre, l’investissement de huit années de travail est perdu, au moins pour l’instant. De toutes façons, les sorties en mer les exposaient aux harcèlements des navires anglais rendant chaque tentative de pêcher encore plus dangereuses que le vent ou la mer.
Le 8 Juin 1758, les Anglais passent à l’attaque et réussissent à débarquer des troupes devant Louisbourg. A partir du 19 juin, la ville est bombardée lourdement depuis la terre ferme et depuis les bateaux pendant cinq semaines. Les Français offrent une vaillante résistance, mais leurs effectifs sont bien trop faibles. On imagine les civils à l’intérieur de La ville sous un déluge de feu auquel ils ne sont pas habitués. Les pêcheurs et les autres, artisans, commerçants, participent activement à la défense, organisés en milices. On dit même que la femme du gouverneur est aux canons. La ville et les remparts sont très endommagés. On ne peut plus attendre de renfort avant l’hiver, et les Anglais menacent d’une attaque générale sur la forteresse si celle-ci ne capitule pas sans conditions. Le 27 juillet, une nouvelle fois donc, Louisbourg tombe entre leurs mains. A la capitulation, les Anglais ne transigent pas, et refusent les honneurs de la guerre aux soldats français, pire, ils sont considérés comme des prisonniers de guerre et traités comme tels. Ils sont presque six mille soldats, envoyés en Angleterre dans des conditions sordides, quatre cent d’entre eux meurent avant même d’arriver.
Le sort des populations civiles, représentant près de quatre mille personnes, sans compter un nombre équivalent sur l’île Saint-Jean, ressemble à celui des Acadiens de 1755. Ils sont entassés sur de vieux navires qui partent à destination de la France. Ceux de Louisbourg principalement vers Rochefort, La Rochelle et Saint-Malo, ceux de l’île Saint-Jean, vers Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre et Boulogne. Plusieurs bateaux coulent en route perdant leurs passagers. On estime que pendant l’été 1758, sur près de trois mille personnes expulsées de la ville, mille sept cent cinquante d’entre elles périrent pendant le transport vers la France.
2eme Tableau : Le retour en France, Rochefort et Saint-Servan
Marie GROSSIN se trouve embarquée avec son mari, et à leur suite, leur ribambelle d’enfants. La fille de son premier mariage, Marie Anne Rose HOUZÉ, les trois enfants survivants de son deuxième mariage, Pierre, Pierre Julien et Jaquemine Charlotte COUSIN et les trois enfants de son troisième mariage, Marie Jeanne, Perrine et Yves Pierre Le QUEMENT, ce dernier à peine âgé de quatre mois. Ils sont sur un des bateaux qui va vers Rochefort, partis sans doute à la mi-août. Il est difficile de se représenter la violence de ce déracinement forcé pour ces populations, après avoir tout perdu et subi un siège armé pendant presque deux mois. Entassés sur des bateaux qui n’ont pas été préparés pour recevoir des familles de réfugiés et leurs nombreux enfants, leur voyage va durer jusqu’à six semaines pour certains. Les biscuits secs, la morue ou le bœuf salé que les Anglais leur donnent comme pitance, sont souvent infestés d’asticots, les malades tombent comme des mouches et on jette leurs cadavres par dessus-bord. Des familles entières sont décimées pendant le voyage.

L’arrivée à Rochefort ne signifie pas la fin de leur cauchemar. Les autorités françaises ne sont pas préparées à cet afflux de réfugiés qui n’ont plus rien, qui sont malades et infestés de vermines. Les premiers arrivent quasiment en même temps que les nouvelles de la chute de Louisbourg. Où les loger ? Comment les nourrir ? Lorsqu’ils débarquent à Rochefort, sans doute sont-ils sur un des premiers navires qui abordent la ville à partir du 18 septembre 1758, notre famille est en piteux état. Je suppose que Perrine Le QUEMENT est décédée pendant le voyage.
Ils sont près de cent quarante réfugiés à mourir à Rochefort dans les deux mois suivant l’arrivée des navires, et comme les autres, notre famille est frappée de plein fouet. La fatigue, la maladie, les privations, peut-être aussi le désespoir, ont raison de Yves Le QUEMENT qui décède le 18 octobre, puis, de Marie Anne Rose HOUZÉ le 22 du même mois. Marie GROSSIN est à nouveau veuve avec cinq enfants à sa charge, dans une ville qu’elle ne connaît pas et dépassée par l’ampleur du désastre de Louisbourg. Comment s’en sort-elle ? Les autorités, une fois passée la première vague des expulsés de l’Ile-Royale, vont mettre en place des aides. On procure du secours, de l’argent. On cherche des solutions pour les installer quelque part.

Yves Pierre Le QUEMENT qui était né dans Louisbourg juste avant le début du siège, décède à son tour le 11 janvier 1759.
Sans doute Marie GROSSIN n’est pas arrivée seule à Rochefort, car le 16 août 1759 elle épouse Pierre BELLEC qu’on avait rencontré comme engagé à Lorembec. Il a dû accompagner la famille Le QUEMENT pendant son exile à Louisbourg et ils ont probablement voyager ensemble jusque Rochefort. Ils se connaissent, il connaît les enfants, peut-être même qu’il a travaillé avec la famille lorsque son compagnon Yves Le QUEMENT a épousé Marie en 1754. Pierre BELLEC est né le 22 mars 1727 à Penvénant dans les Côtes-d’Armor et il ne semble pas avoir été marié auparavant.
Le 4 juillet 1760, à Rochefort, le couple baptise un enfant, Mathieu BELLEC, né le même jour. Leur vie doit être des plus simples, Pierre est journalier, il doit essayer de survivre, de penser à des solutions pour améliorer leur condition.
Quand quittent-ils Rochefort ? Impossible de le savoir, mais on retrouve le couple à Saint-Servan pour la naissance de leur deuxième enfant, Marie Françoise, qui nait le 17 avril 1763 et qui est baptisée le même jour. Puis, le 2 juin, Mathieu, leur premier enfant né à Rochefort, décède. L’enterrement est « gratis ». C’est dire le dénuement dans lequel se trouve la famille. On peut penser qu’ils ont cherché de l’aide ou du réconfort auprès de leurs familles en Bretagne, ou d’autres survivants de l’expulsion de Louisbourg.
Les autorités françaises cherchent toujours des solutions pour recaser ces malheureux réfugiés, qui sont d’ailleurs nombreux à Saint-Malo, arrivés de l’île-Royale et de l’Île Saint-Jean entre temps.
Le 10 février 1763 est signé le Traité de Paris qui met fin à la guerre de 7 ans dont la chute de Louisbourg n’était qu’un épisode. La France perd définitivement l’Ile-Royale, L’île Saint-Jean, l’Acadie continentale, le Canada, les Grands Lacs, la rive droite du Mississipi, Saint-Vincent, la Dominique, Grenade et Tobago. En échange, la France récupère la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue et Saint-Pierre-et-Miquelon, et Saint-Barth aussi. Espérant contrebalancer la perte du Canada, la France se rappelle qu’elle a des terres en Amérique du sud dont elle ne s’est jamais occupée : la Guyane.
3eme Tableau : La France Equinoxiale, Sinnamary
En dehors de quelques aventuriers Français qui passaient le long des côtes de Guyane lors de voyages mixtes (commerce et course) vers « les iles du Pérou, le Brésil et autres îles et parties de l’aval » ou « à cannibales et autres lieux en la côte du Brésil » il n’y avait pas eu de véritable établissement Français fixe en Guyane avant l’arrivée d’Henry de Chantail et de Primpaux de Caen. Rappelez vous, nous les avions vus dans l’article sur la Colonisation de Saint-Christophe vers 1626. Cette installation contrariée par les maladies, les Indiens, les Hollandais et les Anglais tourne court, et les survivants quittent la Guyane en 1643.
En 1664, la Compagnie de la France Equinoxiale est créée par Colbert, et reprend Cayenne à des Hollandais. Près de cent ans plus tard, en 1762, on estime qu’il y a moins de 7000 habitants dans toute la Guyane, dont environ 750 blancs, 100 libres, 5000 esclaves et 700 Amérindiens. A l’échelle du territoire, même en ne prenant en compte que la bande côtière, c’est bien peu. La France ayant besoin de redorer son blason aux yeux des autres nations européennes, et pensant que la Guyane pourrait remplacer le Canada, se dit que cela pourrait être un bon endroit où envoyer ces « Acadiens » dont elle ne sait quoi faire. Le Duc de Choiseul, ministre de la guerre a l’intention de créer une nouvelle colonie dans la partie nord-ouest de la Guyane, entre Kourou et le Maroni (l’essentiel des anciens habitants étant jusque là installés au sud, entre Cayenne et la frontière avec le Brésil). L’idée générale est d’installer une population blanche à proximité des Antilles, pour, en cas d’attaque anglaise, disposer d’une force quasi sur place (un peu comme les milices de Nouvelle-Angleterre dans les attaques sur l’Acadie et le Canada). Au même moment, un Français rentré de Guyane pour publier un livre expliquant comment la coloniser au mieux, en particulier la partie entre Kourou et le Maroni, Jean Antoine Brûletout, Sieur de Préfontaine, est présenté à Choiseul par Jean Baptiste de Chanvallon. Convaincu par ses explications, le duc de Choiseul, sous les conseils de Turgot, décide de mettre le projet en route. Et, comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, le premier acte du gouvernement est d’attribuer à Choiseul la propriété de toutes les terres entre la rive gauche de Kourou et la rive droite du Maroni avec comme seule obligation, celle de pouvoir la défendre. Ce territoire est inhabité et borde la frontière avec les Hollandais.
Préfontaine est nommé Commandant de la partie nord de la Guyane, et chargé de choisir un site, et d’aller sur place organiser l’arrivée des premiers colons. La Guyane est alors présentée comme un pays de cocagne à ceux que l’on veut attirer, aussi bien colons, que fonctionnaires.
Au début de 1763, de Chanvallon est nommé intendant général de la colonie, et il décide d’envoyer Préfontaine préparer l’arrivée des colons, c’est à dire repérer le bon endroit pour l’installation, puis, construire des abris. Parti en retard de Rochefort avec trois navires transportant cent-vingt-sept colons et le nécessaire pour la mise en route, Préfontaine arrive à Cayenne à la mi-juillet, puis se rend sur place mais la construction du camp d’accueil prend beaucoup de retard surtout à cause de la saison des pluies. Le départ de Chanvallon quant à lui, initialement prévu en juin, ne se met en route que le 14 novembre 1763. Les plans établis pour arriver pendant la période de sècheresse sont compromis. Le convoi de onze navires qui se met en route transporte 1429 colons, l’équipement et bagages, des vaches, des chevaux, des porcs et de la volaille. Entre temps, 533 colons ont déjà rejoint la Guyane. A Cayenne rien n’est prêt pour acheminer les arrivants sur Kourou. Ni les navires léger pour tout transporter jusqu’au camp, ni les pilotes. Lorsqu’il arrive à Kourou, Chanvallon y trouve 833 colons, et un camp bien trop petit. Mais sur place, ni Préfontaine, ni Chanvallon ne sont au courant du nombre de colons qui vont arriver de France. Et d’ailleurs, ils arrivent, comme en avril 1764, avec 1216 colons, alors qu’il n’y a déjà plus de place dans le camp de Kourou, et que les derniers arrivés ont été entassés sur les îles du Salut. Beaucoup arrivent de Lorraine, d’Alsace, du Palatinat en Allemagne. Et d’autres convois sont en route, de Rochefort, de Saint-Jean-d’Angély ; et d’autres encore, tellement, qu’on perd le fil, qu’on est plus très sûr de rien. Des épidémies à bord des bateaux, des épidémies à terre, pas d’abris, la fièvre jaune, dysenterie, typhoïde, pas assez de nourriture. L’expédition de Kourou part à vau-l’eau !

C’est à ce moment là que Marie GROSSIN et sa famille embarquent à Saint-Malo sur « Le Fort » pour se rendre vers ce qu’ils s’imaginent sans doute être un peu comme la terre promise : l’enfer de la Guyane. Le navire quitte Saint-Malo le 20 avril pour arriver à Cayenne le 15 août, près de 4 mois en mer !
A l’arrivée, ils sont 48 de l’Île-Royale, 40 de l’île Saint-Jean, 17 de Québec, 11 d’Acadie, 2 de Montréal et 1 de Saint-Malo, soit un total de 119 colons, bébés compris. On retrouve :
BELLEC Pierre, 33 ans de l’Ile-Royale,
GROSSIN Marie, 40 ans
COUSIN Julien, 14 ans, fils du premier lit de Marie GROSSIN
COUSIN Pierre, 13 ans, fils du premier lit de Marie GROSSIN
COUSIN Jaquemine Louise, 11 ans, fille du premier lit de Marie GROSSIN
QUEMIN Marie Anne, 9 ans, fille du deuxième lit de Marie GROSSIN
BELLEC Marie Françoise, 1 an, fille
Ce document est assez exceptionnel, car beaucoup des arrivées ne sont pas documentées. En fait, on ne connaît pas le nombre exact de colons partis de France ou arrivés en Guyane. Il ne semble y avoir eu aucun registre. Les chiffres des colons décédés oscillent entre 10 000 et 14 000 pour environ 16 000 colons arrivés. C’est proprement hallucinant. Il suffit d’ailleurs de feuilleter le registre paroissial de Sinnamary de 1765 pour se faire une idée du désastre. Une litanie de familles disparues
Arrivée à Cayenne, notre petite famille doit être acheminée par la mer vers Sinnamary avec peut-être une escale à Kourou. On a du mal à s’imaginer encore une fois ce que ces pauvres gens ont pu ressentir en débarquant. Il faut se réinventer, encore une fois, et faire face au plus vite pour rebondir, pour espérer survivre. La chaleur, l’humidité, c’est sans doute « l’esprit du colon » qui les anime et les maintient en ordre de marche, sinon c’est l’abandon qui guette, et au bout, la mort, de faim, de maladie ou comme pour d’autres, le suicide. La mort et la souffrance sont partout autour d’eux, mais Marie GROSSIN doit se battre pour ses enfants.
Le 4 février 1765, à peine sont-ils arrivés à Sinnamary, que Pierre BELLEC décède. Je ne vais pas récrire le passage précédent, mais, encore une fois, Marie GROSSIN tient bon. Elle s’installe avec ses cinq enfants et la vie continue. Les abris ne sont que des huttes en bois avec un toit en paille et il n’y en a pas pour tout le monde.

Le 1er mars 1765, on retrouve notre famille dans le recensement de Sinnamary :
Marie GROSSIN, 40 ans, native de Saint-Servan, veuve « BELIER »
Jaqueline COUSIN, 12 ans, de Louisbourg
Julien COUSIN, 14 ans, de Louisbourg
Pierre COUSIN, 16 ans, de Louisbourg
Marie Jeanne GUENAIN, 10 ans, de Louisbourg
Manifestement, Françoise BELLEC est décédée depuis son arrivée en Guyane, mais je n’ai pas trouvé l’acte correspondant. D’après le recensement, il y a 282 personnes vivant à Sinnamary, dont 56 de « la Cadie », 46 de Louisbourg, 26 de l’Île Saint-Jean, et 8 du Québec / Canada, soit 136 personnes des anciennes colonies d’Amérique du nord, presque la moitié des colons. On croise aussi quelques Allemands, Alsaciens et Lorrains.
Le 17 février 1766, Marie GROSSIN épouse son cinquième mari, Antoine GRIPOUX CRIPOUX ou CREPON de Saint-Flour en Auvergne qui a déjà un fils, Antoine, né à Louisbourg et âgé de 10 ans.
A partir de 1767, un Acadien, Louis-Thomas Jacau de Fiedmont, reprend les choses en mains. Au lieu d’attribuer des concessions pour des familles séparées les unes des autres avec peu de chance de survie, il met en place cinq regroupements de plusieurs familles qui mettent en commun leurs forces. Ainsi installées, les familles vont réussir à se maintenir, en pratiquant l’élevage et une agriculture vivrière.
Sur le recensement de mai 1767, on retrouve notre famille installée à « l’Habitation du Roy, au poste de Chirurgien au haut de la rivière ».
Il est indiqué qu’ils sont là depuis le mois d’octobre 1765 et qu’ils se trouvent à douze lieues du camp de Sinnamary. Il est à noter que ni Antoine GRIPOUX, ni son fils, ne figurent sur ce document. Il y a 35 familles pour un total de 107 personnes.
La colonie de Sinnamary (les cinq postes) est habitée par 213 personnes libres dont 47 natifs de Louisbourg, 15 de l’île Saint-Jean, 15 Allemands, 16 Acadiens, 10 Lorrains, 4 Alsaciens, le reste principalement de toute la France. A présent, nos habitants de Louisbourg sont les plus nombreux dans la colonie.
La colonie reste misérable. L’économie ne commencera à décoller que plus tard, en particulier lorsqu’un Français de passage mettra en place un system pour permettre aux familles de se lancer dans l’élevage intensif de bovins. Plus tard, un autre incite à l’assèchement des marais pour y lancer une agriculture plus productive, les terres basses (inondables) étant plus riches que les terres hautes (savanes).
Marie Jeanne Le QUEMENT née à Lorembec en août 1755, épousera Jean Louis BUSSON, un Breton, en 1771, puis, Etienne SAULNIER, un Acadien, en 1776
Pierre COUSIN né à Louisbourg vers fin 1749, début 1750, épousera Rose PICKENER le 13 novembre 1775 à Sinnamary. Elle est native de l’Ile-Royale.
Jaquemine Charlotte COUSIN née à Lorembec en février 1753, aura plusieurs enfants avec Antoine Julien ROUSSE, mais je ne retrouve pas l’acte de mariage s’il y en a un.
Marie GROSSIN, laisse derrière elle trois enfants en Guyane, et de nombreux petits-enfants lorsqu’elle décède à Sinnamary, anse Mepelo le 19 décembre 1786.
Mais nous allons laisser la Guyane et suivre les traces du quatrième enfant survivant de Marie GROSSIN.
4eme Tableau : Les COUSIN de Saint-Barthélemy et leur descendance
Le premier septembre 1773, à Saint-Barthélemy, le curé donne « la bénédiction nuptiale et lie par les nœuds sacrés du mariage, le sieur Pierre Julien COUSIN, natif de Québec, fils légitime de feu Jacques COUSIN et de Marie GROSSEIN, avec demoiselle Elisabeth Reine BERNIER, fille légitime de feu Alexis BERNIER et de Marie Magdelaine LAPLACE habitants de cette Isle Saint-Barthélemy ».
Elisabeth Reine BERNIER est la fille d’un ancien capitaine de milice de l’île. Avec son frère Alexis fils (qui est à l’origine de la branche des BERNIER de Corossol) ils sont les seuls enfants survivants du couple Alexis BERNIER père et Marie Magdelaine LAPLACE. Il semble qu’ils aient habité les hauteurs de Gustavia, le long du grand chemin courant proche du fort dans les parages du « réduit ».
Il est également précisé dans l’acte de mariage que « la dite demoiselle BERNIER ayant un garçon âgé d’environ sept ans, le dit Pierre Julien COUSIN l’adopte pour le sien, quoi qu’il ne fut pas de ses œuvres ». On ne sait donc pas qui est le père biologique de l’enfant, mais, avec cette adoption, le patronyme COUSIN entre dans la généalogie de Saint-Barthélemy, et fait des descendants de Charles Julien, des descendants de Jacques COUSIN et de Marie GROSSIN.
Dans l’acte de mariage, il est dit que Pierre Julien est natif de Québec, ceci s’explique car Louisbourg et l’Ile-Royale dépendaient de l’évêché de Québec, le seul en Amérique du nord. Le certificat de baptême doit donc mentionner Québec, et c’est ce qui a été retenu par le curé qui ne devait de toutes façons, n’avoir jamais entendu parler de Louisbourg. On peut penser que Pierre Julien est marin et qu’il rencontre Reine Elisabeth au Carénage où il n’y a qu’une poignée d’habitants à cette époque. C’est peut-être une bonne occasion pour le père de marier une fille pour qui il aurait eu du mal à trouver un époux localement, étant donné qu’elle a eu un enfant sans père légitime.
On n’entendra plus parler de Pierre Julien COUSIN. Sans doute est-il mort en mer, car le 9 mai 1786, Reine Elisabeth est dite veuve de « Pierre Julien » lorsqu’elle épouse James RYN,un Irlandais de la paroisse de Wexford (Ce couple n’aura pas d’enfant).
Charles Julien COUSIN, qui semble avoir été Capitaine de navire, aura plusieurs enfants avec une Magdelaine QUESTEL que je n’ai pas pu identifier pour l’instant, par faute d’acte de mariage.
- Victoire Antoinette COUSIN, née le 23 août 1794 à Colombier. Elle épouse Pierre Jacques LAURE de Caen dans le Calvados. Ils auront une fille, Clémentine Célestine qui épousera Pierre Joseph Vitalis MAGRAS du Corossol. Je n’ai pas de descendance pour eux.
- Jeanne Louise ou Marie Louise COUSIN, née en 1795 qui épouse François DANET du Platon, civilement, le 1er février 1819, ils auront 2 enfants.
- Charlotte COUSIN, née vers 1800, qui épouse Charles BRIN de Saint-Jean le 9 novembre 1825. Il a 66 ans au mariage, veuf de Marguerite DANET. Ils auront 3 enfants.
C’est par Jeanne Louise COUSIN et François DANET que la famille COUSIN aura une descendance. Leur fille Victoire Julienne épouse Pierre Louis dit Dodote BRIN de Public, et ils auront 6 enfants dont :
Joseph BRIN qui épouse Anne Louise TURBÉ le 11 avril 1888 et dont trois de leurs filles, Marie Eugénie, Marie Béatrice et Anne Clémence, épouseront des Saint-Barth à Trinidad, d’où descendance aujourd’hui.
Il se peut qu’il y ait des descendants à Saint-Thomas par Pierre Louis BRIN et Louise DUZANT mais je n’ai pas d’information à ce sujet.
L’histoire de Marie GROSSIN c’est aussi celle de beaucoup de colons français des 17ème et 18ème siècles. Ces colons inconnus, brinquebalés par-delà les mers, parfois contre leur gré, et qu’on mettait tantôt ici, ou tantôt là, et qu’on abandonnait bien souvent à eux mêmes dans des guerres auxquelles ils ne comprenaient pas grand chose. Ces Acadiens, ces Louisbourgeois et les autres, comme les Saint-Barth d’alors, ne demandaient rien d’autre que vivre en paix.
Ces hommes étaient accompagnés de femmes dont on ne parle jamais.
Des femmes silencieuses dans la grande Histoire, mais sans qui la France n’aurait pas pu s’ancrer, temporairement ou définitivement, dans ces territoires lointains. Des femmes de fer, bâillonnées par l’oubli. Des femmes qui se devaient de tenir le cap, quoi qu’il arrive. Pour leurs enfants, elles acceptaient de traverser les océans, à la recherche d’un monde meilleur.
Ce texte n’est pas l’éloge du Colonialisme, mais celui de ces colons innocents, partis vers des destinations inconnues, avec en tête le seul espoir que leurs enfants pourraient y vivre mieux que sur la terre de leurs ancêtres.
Marie GROSSIN, c’est l’archétype de ces migrants, hommes ou femmes.
Des chercheurs et de nombreux passionnés partagent leurs recherches en ligne, c’est aussi grâce à eux que j’ai pu recoller ensemble les différentes parties de cette histoire.
Merci à :
Marcel Walter LANDRY https://www.mwlandry.ca/
F.ROUX https://froux.pagesperso-orange.fr/
René Claude COETA https://www.editions-harmattan.fr/livre-sinnamary_1624_1848_une_cite_des_hommes_rene_claude_coeta-9782738415363-2828.html
Dominique et Henrene sur geneanet,
Les Acadiens en Guyane (1765-1848) : une « société d’habitation » à la marge ou la résistance d’un modèle d’organisation sociale, par Bernard Cherubini, Université Sainte-Anne
La pêche de la morue à l’île Royale, 1713-1758 de B.A. Balcom, Direction des lieux et des parcs historiques nationaux, Parcs Canada, Environnement Canada, 1984
Les publications de l’Université Laval en ligne, portail de la francophonie pour l’histoire de l’Acadie, de Louisbourg et de la colonie de l’Ile-Royale
Merci aussi à Amelie pour la relecture
Catégories :Acadie, BERNIER, COUSIN, Guyane, Ile-Royale, Kourou, Louisbourg, Sinnamary, Uncategorized
Quelle histoire incroyable! Merci de redonner une voix à ces femmes fortes et courageuses bien trop souvent oubliées dans les pages de notre Histoire, qui pourtant méritent que leurs histoires soient racontées.
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Absolument incroyable! What a life!
To tell the story of this indomitable woman and her family is an amazing accomplishment only achieved by extraordinary researching.
Bravo!
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I really appreciate how you set the scene for their lives by describing the historical landscape of the time. It gives this extraordinary tale the depth of empathy it deserves.
I salute your hard work sir.
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A monument to the human spirit.
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cette femme a cotoyé plusieurs de mes ancêtres
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